Mamia El Banna Zayani : Mon parti, c'est le développement durable
Indépendante de tout parti politique, n’ayant milité qu’au sein d’associations scientifiques, Mamia El Banna Zayani, Maître de conférence en chimie, était bien surprise de se voir proposer le poste de ministre de l’Environnement. Elle était en France, en novembre dernier pour signer à l’université Paris Diderot un accord de co-tutorat de thèse pour l’un de ses étudiants, lorsqu’elle reçoit un appel de Tunis. Hamadi Jebali, qui formait alors son gouvernement, était à la recherche d’un scientifique de haut niveau pour lui confier un portefeuille bien délicat, celui de l’écologie et du développement durable. On lui conseilla cette jeune directrice de l’Institut supérieur des sciences et technologies de l’environnement (ISSTE) à Borj Cédria. Evidemment, elle ne s’y attendait pas du tout. Certes, des partis centristes l’avaient approchée l’année dernière pour figurer parmi leurs candidats à la Constituante, en lui proposant la circonscription de Nabeul dont ils la croyaient originaire ainsi que son époux. Mais, elle avait courtoisement décliné toute sollicitation, préférant conserver son indépendance et se consacrer à son domaine scientifique.
Cette fois-ci, la proposition du portefeuille de l’Environnement l’a intéressée. « Etre ministre dans un gouvernement légitime et pour un mandat à durée limitée offre une bonne expérience, mais puis-je y apporter modestement ma contribution?, s’était-elle demandée. L’effet de surprise passé, elle consulta deux personnes qui lui sont proches : son mari, universitaire comme elle, et son ancienne professeure, Néjia Ariguib, chercheure émérite qui, avec le Pr Mohamed Larbi Bouguerra, avaient longtemps parrainé son parcours. La réponse fut concordante : allez-y !, d’autant plus que c’est une mission ponctuelle au sein d’un gouvernement appelé à assurer la transition avant la nouvelle Constitution.
Commence alors pour Mamia El Banna Zayani un nouveau parcours auquel elle n’était pas préparée mais qui ne lui paraît pas particulièrement impossible. La charge gouvernementale la conduit dans les palais de la République et obéit aux rites du protocole de certaines cérémonies officielles, mais ne la détournent pas du sens de la responsabilité qui a toujours été le sien et de sa détermination à être utile à son pays. Issue d’une modeste famille de Tunis dont les racines sont plongées dans l’histoire (El Banna, qu’on retrouve ailleurs en Tunisie et même en Egypte), elle est née, ainsi que son unique frère, dans un appartement de la rue Houcine-Bouzayène, donnant sur l’avenue Bourguiba. Son père, fonctionnaire au ministère des Finances, avait son bureau non loin, rue de Marseille. Evoluant comme un poisson dans l’eau dans ce périmètre, elle fera ses premières classes chez les Bonnes Soeurs de Nazareth, toute proche, puis au Lycée de la rue de Russie. Comme les jeunes de son âge, elle s’adonnera au sport, en jouant au basketball au sein de l’Association sportive féminine (ASF), et à la musique, au Conservatoire de l’avenue de Paris.
Bachelière en 1986, elle optera pour la faculté des Sciences de Tunis, tentée par des études en physique-chimie, au départ, et une spécialisation en chimie par la suite. D’emblée, elle adhèrera au Club d’astronomie à la faculté des Sciences de Tunis et sera, plus tard, présidente du Club d’échange multidisciplinaire pour l’environnement et le développement. Studieuse et appliquée, elle enchaînera les réussites. Maîtrise, DEA en chimie analytique, thèse de doctorat qu’elle enrichira par des recherches effectuées en France où elle passera une année au CRDM (CNRS) d’Orléans et une autre année à l’INPG de Grenoble. En parallèle, elle commence une carrière d’enseignante, d’abord vacataire à la faculté des Sciences de Tunis, puis en décrochant un poste à celle de Bizerte où elle enseignera pendant onze ans. Persévérante, elle obtiendra son habilitation, et son titre de maître de conférences.
Nommée à l’ISSTE à Borj Cédria, ces dernières années, elle n’avait jamais pensé briguer la direction de l’Institut, d’autant plus que cela se faisait sur désignation. Mais, au lendemain de la révolution et l’instauration du principe d’élection, ils n’étaient que 3 enseignants du corps A habilités à s’y présenter. Encouragée par ses collègues, elle finira par y postuler et remporter le scrutin. La découverte de la gestion administrative n’était pas facile, surtout avec le départ à la retraite du secrétaire général, et l’absence de tout cadre. Mais en s’appuyant sur l’équipe en place, en retroussant les manches et en adoptant la bonne démarche scientifique qui est la sienne, elle a rapidement compris le fonctionnement du système et appris les règles de gestion administrative et financière.Ce rapide passage managérial lui sera utile dans ses nouvelles fonctions de ministre. Au quatrième étage de cette grande bâtisse qui abrite le siège du département, au Centre Urbain Nord, elle officie calmement, avec rigueur et perspicacité. Le ministère avait été réduit sous les derniers gouvernements en secrétariat d’Etat et rattaché de nouveau au ministère de l’Agriculture, ce qui avait découragé les équipes maintenues en hibernation durant toute l’année écoulée. Il fallait relancer la machine, stimuler de nouveau les différentes directions ainsi que les organismes sous tutelle et s’atteler aux mille et un dossiers chauds qui ne sauraient attendre davantage. Bonne surprise : nombre d’équipes n’avaient pas chômé, continuant à travailler leurs projets et faire avancer les dossiers. Elles n’attendaient qu’une nouvelle impulsion. Les urgences ne manquent pas : les décharges contrôlées, le centre de Jradou, le traitement préventif contre les moustiques, la dépollution du lac de Bizerte, le traitement du site de l’usine de cellulose de Kasserine, l’écotourisme, le nouveau code de l’environnement, la protection du littoral, la préservation du domaine public maritime, le soutien aux associations et bien d’autres.
Avant de prendre la moindre décision, Mamia El Banna Zayani se pose toujours la même question : comment l’inscrire dans la durabilité du développement, comment la rendre encore plus utile, encore plus profitable à l’environnement? Dans sa démarche, elle s’emploie également à favoriser une implication encore plus grande de la société civile. Une véritable poussée de nouvelles associations a été engendrée par la révolution et il s’agit de leur permettre de contribuer fortement à assumer cette responsabilité environnementale. La ministre de l’Environnement, habituée à la rigueur de la recherche, n’aime pas la précipitation, et ne limite pas ses horizons à l’échéance du gouvernement de transition. Tout en veillant à l’accélération des dossiers, quitte à s’oublier le samedi soir au bureau jusqu’à une heure tardive, elle s’attache à accorder l’attention et le temps qu’il faut à chaque question pour la traiter au mieux.
Prend-elle goût à la politique ? Certainement pas. Elle se plaît dans son statut de scientifique. Compte-t-elle s’engager, ne serait-ce que pour défendre son idéal écologique, au sein d’un parti que ce soit parmi ceux formant la Troïka ou un autre? Mamia El Banna Zayani n’y pense pas pour le moment, affirme-t-elle. Evidemment, pour le moment sans doute.