« Leurs voix sont fortes et leurs actes s’exhibent dans les rues, constituant ainsi un bon sujet pour les médias : les mouvements extrémistes n’ont pas en fait tout le poids que certains croient leur attribuer ». C’est ce qu’estime Rached Ghannouchi, ajoutant que « cela risque de donner l’impression qu’ils sont l’incarnation de l’Islam, ce qui ne l'est guère ». Le leader d’Ennahdha, rappelle que «la grande majorité des tendances salafistes avaient boycotté les élections et ne font pas de ce fait, partie de notre base électorale. D’ailleurs, ils ne constituent pas un courant homogène, mais se divisent en plusieurs tendances. Celles qui limitent leur extrémisme aux convictions, nous pouvons traiter avec elles, par le débat et la discussion. Quant aux autres qui prônent la violence, il n’y a que la loi à leur opposer. C’est d’ailleurs ce que nous n’avons pas hésité à faire lorsque certains sont passés aux armes ».
Ghannouchi qui intervenait samedi devant le Groupe des Sages de l’Union africaine, formé d’anciens chefs d’Etat et d’experts en paix et sécurité, réunis à Tunis, paraît confiant dans sa démarche. Il cite en exemple le cas des extrémistes européens, comme les Brigades Rouges, Bader Meinhoff et autres qui ont fini par renoncer à la violence et rentrer dans les rangs des forces démocratiques. Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des Pays Arabes, lui fera remarquer cependant que les régimes européens avaient adopté, en plus du dialogue, une attitude très ferme et irréductible de tolérance zéro contre les extrémistes ce qui a fini par être payant.
Interrogé par Ahmed Maher, le président du collectifs des jeunes révolutionnaires égyptiens sur les relations avec l’Egypte en particulier et les mouvements islamistes en général, Ghannouchi dira qu’Ennahdha « entretient des liens solides avec tous les mouvements islamistes modérés de par le monde ». « Nous nous sentons plus proches du mouvement turc Justice et Développement, comme nous avons beaucoup appris des Frères Musulmans en Egypte qui est un mouvement pluraliste, sans leader particulier. Nous espérons qu’il soit consensuel, car il constitue le parti le plus important et se doit à ce titre d’être rassembleur, s’élargissant à tous, libéraux, salafistes, coptes et autres. L’Egypte a besoin aujourd’hui d’un large consensus. »
Invité à établir un parallèle avec la situation en Tunisie, Rached Ghannouchi a estimé que « le contexte égyptien est beaucoup plus complexe, notamment du fait de la position de l’armée qui est au pouvoir depuis 50 ans et bien d’autres problématiques. Nous remercions le Bon Dieu de nous avoir donné en Tunisie une armée républicaine, attachée à sa mission et qui n’entend jouer aucun rôle politique ». Comment apprécie-t-il la candidature d'aboul Fettouh à la présidence ? « C’est mon ami, répond le leader d’Ennahdha, et j’estime qu’il est un bon candidat » Mais, c’est là une affaire interne, propre à l’Egypte et il appartient aux égyptiens de s’y prononcer ».
Question cruciale dont la réponse était attendue par tous : comment voit-il la Troïka tunisienne à l’épreuve du pouvoir ? « Dès le départ, rappellera Ghannouchi, et bien avant les élections, nous avons estimé qu’il ne nous appartient pas de gouverner seul, même si le scrutin nous donnera une large majorité. Nous devons associer avec nous d’autres forces et promouvoir la pluralité dans la synergie des visions et des efforts. Aujourd’hui, la Troïka constitue pour nous une alliance stratégique et il est dans l’intérêt du pays qu’elle continue, se renforce, mais aussi s’élargisse encore plus ».