Syphax où l'âpre lutte pour la réussite
« Autant je veille aux intérêts de la compagnie nationale Tunisair, autant je tiends à ce que Syphax réussisse ! » affirme, le ministre du Transport, Abdelkérim Harouni, sans parvenir, cependant, à apaiser et encore moins convaincre les membres de l’Assemblée nationale constituante qui l’interpellaient fortement ce lundi matin. Le weekend était très perturbé pour la dernière-née des compagnie aériennes privées, lancée à partir de Sfax, par Mohamed Frikha. Samedi, tôt le matin, ses passagers, presque tous touristes, qui devaient embarquer à 5 heures de Djerba vers Paris essuyaient à l’aube, un refus d’enregistrement de la part du personnel au sol de Tunisair Handeling, la filiale du transporteur public national. Les négociations menées par les représentants de Syphax n’ayant pu aboutir, ce sont les touristes qui ont dû se battre eux-mêmes pour obtenir, finalement, gain de cause.
Le même scénario s’est répété, dimanche après-midi, à l’aéroport de Tunis-Carthage. Le vol à destination de Roissy Charles-de-Gaulle, subissait le même refus, avec une plus forte tension. Programmé à 18 heures, il n’a pu prendre les airs que vers minuit. De quoi faire sortir Mohamed Frikha de ses gonds, n’hésitant pas à envisager la dissolution de la compagnie. A peine annoncée sur les ondes, cette option a dissuadé une vingtaine de passagers sur les 45 qui devaient emprunter, lundi matin, le vol Sfax-Paris. La tension était alors montée d’un cran et le personnel de Syphax s’est mobilisé pour aller manifester devant le siège régional de Tunisair à Sfax.
Un sentiment d’injustice
Au Bardo, sous la coupole de l’Assemblée, nombre d’élus ont saisi l’occasion du débat avec le gouvernement sur le budget de l’Etat et la loi de Finances, pour interpeller le ministre Harouni. Jamel Gargouri, Chokri Yaiche, Jalel Bouzid et Slaheddine Zahaf, plus particulièrement ont posé le problème dans ce qui leur semble ainsi qu’à un grand nombre de sfaxiens, son vrai contexte : une obstruction manifeste contre une compagnie régionale qui a eu le courage de se lancer au lendemain de la révolution et préfigurant l’ouverture du ciel et la concurrence internationale. Ce ressentiment vivement exprimé par la région trouve un large écho qui s’amplifie particulièrement sur les réseaux sociaux. « Encore une injustice contre Sfax, encore un plombage de toute bonne initiative économique », clament-t-ils d’une même voix. « Dûment autorisée à opérer à partir de tous les aéroports tunisiens et ayant conclu dans ce cadre une convention d’assistance avec Tunisair Handeling qui s’engage à fournir ses prestations à partir de tous les aéroports, insiste Jalel Bouzid, on ne trouve aucune explication au blocage manifesté. D’autant plus qu’une nouvelle compagnie française a été autorisée à opérer dès fin juin prochain à partir de Tunis en vol quotidien. Alors, si vous voulez réellement protéger Tunisair, c’est contre cette concurrence directe qu’il faudrait la prémunir».
La régionalisation du problème, bien qu’évitée, devient de plus en plus évidente. Badreddine Abdelkéfi (Ennahdha, Sfax), affirmera « qu’il ne faut pas tomber dans ce travers et on doit tenir compte de l’opinion publique tunisienne dans son ensemble, Mohamed Frikha étant un entrepreneur compétent qui a fait ses preuves et s’élève au dessus de ces considérations ». Salah Chouaieb, dissident d’Ettakatol (Sousse) s’inscrira en faux contre « ce débat qui ne relève pas de l’intérêt général, ne concernant que deux compagnies ». Mais, les protestations des co-équipiers de Zahaf, remettront la question encore plus bruyamment en débat, relayant un sentiment d’injustice et de frustration.
Les explications du ministre Harouni
Le ministre du Transport essayera d’expliquer le contexte général. « Au départ, dit-il, l’accord stipulait que Syphax opèrerait en partance de Sfax, avec deux vols hebdomadaires à partir de Djerba. Mais face aux difficultés qu’éprouve le secteur du transport aérien et à la non-rentabilité de cette option initiale, Syphax a changé de cap en décidant d’opérer également en partance de Tunis-Carthage à destination de Paris, sans concertation avec Tunisair, ni autorisation préalable de l’Aviation Civile. Face aux vives protestations de Tunisair, une réunion tenue samedi 21 avril, sous la présidence du ministre a permis de débloquer la situation. Syphax a, en effet, été autorisée, à opérer à partir de tous les aéroports, en veillant à la complémentarité avec la compagnie nationale et à la non-concurrence, un examen plus approfondi devait permettre de fixer les modalités d’opération à partir de Tunis-Carthage afin de ne pas porter préjudice à Tunisair. Une réunion était fixée au 25 avril pour prendre la décision finale».
Toujours selon le ministre du Transport dont les propos ont été confirmés dans la journée par un communiqué de presse publié par Tunisair, celle-ci avait accepté que Syphax puisse lancer 3 vols hebdomadaires à partir de la capitale mais doit s’engager à ne pas pratiquer des tarifs concurrentiels, prendre en considération les horaires de vols de Tunisair et ne pas débaucher son personnel. Sur cette base, Mohamed Frikha a été reçu samedi 28 avril par le chef de Cabinet du ministre, puis, le ministre lui-même, et invité à déposer ses plans de vol et lui promettant d’envisager, à l’avenir, l’extension du nombre de fréquences autorisées.
La version officielle du ministre se termine en indiquant que Syphax a programmé le vol du dimanche 29 avril sans avoir déposé au préalable le plan demandé. Quant à l’attitude du personnel de Tunisair, à l’encontre de la nouvelle compagnie, Abdelkérim Harouni a indiqué qu’elle peut s’apparenter, sans la justifier, à une psychose de ce qu’avait provoqué un désastre au transporteur public, Karthago. A peine la phrase prononcée, Slaheddine Zahaf, appuyé par d’autres élus s’est élevé en vives protestation contre cet amalgame que rien ne justifie. Le ministre a dû alors préciser ces propos, réaffirmant sa bonne foi et ses bonnes dispositions. « D’ailleurs, je tiens à vous dire, a-t-il indiqué, que je me suis concerté avec les syndicats qui n’ont manifesté aucune hostilité à l’égard de Syphax. Aussi, et suite aux incidents de dimanche soir, une séance de travail a été tenue au cabinet du ministre jusqu’à une heure tardive. Il y a été convenu de réunir, lundi après-midi, au niveau des experts, les représentants des deux compagnies et de l’Aviation Civile ainsi que les autres parties prenantes, pour parvenir à un accord définitif fixant les modalités de coopération entre Syphax et Tunisair».
Le ministre Harouni parviendra-t-il à faire aboutir un accord acceptable à même d’éponger la vive indignation suscitée non seulement dans la région de Sfax, mais aussi au sein d’une bonne partie de l’opinion publique tunisienne et des professionnels du transport aérien. Des TO étrangers qui ont conclu des accords avec Syphax n’ont pas manqué de l’exprimer, s’interrogeant sur les engagements publics affichés. « C’est un combat d’arrière- garde à éviter, dira l’un d’eux. Avec l’ouverture du ciel qui ne saurait tarder, la concurrence sera rude pour tous. Alors, autant préparer Tunisair à s’y habituer ».