Faut-il tuer le messager ?
Dans l’antiquité, on mettait à mort les messagers porteurs de mauvaises nouvelles. Dans la Tunisie post-révolution, on ne tue pas les journalistes, on ne les embastille plus. On les harcèle par le biais des sit in et des phrases assassines et on agite, en ultime recours, l’épouvantail de… la privatisation des médias publics.
Entre le pouvoir et les journalistes, c’est une histoire faite d’incompréhensions réciproques et de malentendus. Les gouvernants ont deux défauts majeurs :
-ils cherchent à rassurer, surtout quand ça va mal, donc à privilégier les bonnes nouvelles (dans l’Egypte des années 50, Nasser se faisait un point d’honneur de lire jusque tard dans la nuit, les épreuves des journaux avant leur parution pour les expurger de toutes les informations susceptibles de démoraliser la population) alors que dans les pays démocratiques, les journalistes ne s’intéressent qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure. Car c’est en mettant l’accent sur les travers et les insuffisances qu’on avance, qu’on évite aussi aux gouvernants de tomber dans l’autosatisfaction, puis dans la déréalisation. Bien sûr, cela nécessite beaucoup de professionnalisme, un strict respect de l’éthique journalistique et une vigilance de tous les instants vis-à-vis des puissances d’argent. On n'en est pas encore là, mais les journalistes s'y emploient.
-ils adorent se voir et s'entendre parler et pensent que leurs moindres faits et gestes doivent être connus par la population surtout à travers les médias publics qui bénéficient généralement de la plus forte audience et qu'ils assimilent à tort à des organes gouvernementaux. Or entre "public" et "gouvernemental", la nuance est de taille. Elle échappe pourtant aux dirigeants, d'où les tensions qui surgissent régulièrement entre ces derniers et les journalistes depuis le premier gouvernement Ghannouchi.
La presse tunisienne s’apprête à célébrer la journée mondiale de la liberté de la presse en présence de la directrice générale de l'UNESCO qui remettra à cette occasion le prix de cette organisation pour la liberté de la presse. Au sortir de cinq décennies d’asservissement, ce sera pour les journalistes l’occasion de faire entendre leur voix en exprimant leur attachement à cette liberté et cette indépendance qu’ils doivent à la révolution et dont on espère qu'ils useront à bon escient, tout en résistant à la tentation d'en abuser. La presse doit rester le contre-pouvoir qu'elle était devenue depuis le 14 janvier.
Hédi B.
Lire aussi :