Les mécanismes internes pour renforcer la bonne gouvernance à la BCT
A l’occasion de la conférence annuelle internationale organisée par l’Ordre des Experts Comptables de la Tunisie et portant sur le thème «Gouvernance et Transparence dans le Secteur Public», M. Mustapha Kamel Ennabli, gouverneur de la BCT a fait une communication que nous reproduisons ici in extenso compte tenu de son importance :
Je pense que le choix de ce thème est très pertinent étant donné la portée que revêtent ces deux concepts de bonne gouvernance et de transparence pour la réussite économique de la Tunisie post-révolutionnaire.
En effet, l’instauration effective de la bonne gouvernance et de la transparence demeure parmi les principaux facteurs de la réussite économique de tous pays et ce, compte tenu du changement institutionnel qui en découle et qui permet de rassurer tant les citoyens que les investisseurs et de relancer la croissance.
Comme vous le savez tous, parmi les éléments-déclencheurs de la révolution du 14 janvier figurent la corruption galopante, le clientélisme, le gaspillage des ressources publiques et la confiscation des structures de l’Etat au profit des intérêts d’une minorité tant au niveau de l’Administration publique que des entreprises publiques.
De ce fait, il me semble que l’instauration d’un secteur public mais aussi d’une administration publique fondés sur la bonne gouvernance et la transparence constitue, pour la Tunisie post-révolutionnaire, un facteur fondamental à même de consolider les piliers de l’Etat de droit et des institutions démocratiques, d’une part, et de relancer la croissance économique et la création des richesses, d’autre part.
Pour ma part, et en tant que Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, je vais axer mon intervention sur la bonne gouvernance et la transparence au sein de la Banque Centrale de Tunisie en tant qu’autorité publique chargée de la régulation du secteur bancaire.
Pour ce faire, je vais mettre l’accent dans un premier point, sur l’analyse du principe de l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie en tant que pilier fondamental pour sa bonne gouvernance.
Quant au deuxième point, je vais le consacrer à l’exposé des mesures prises depuis la révolution du 14 janvier, afin de renforcer les mécanismes internes de la bonne gouvernance de la Banque Centrale de Tunisie.
1. L’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie en tant que pilier fondamental pour sa bonne gouvernance
Mesdames et Messieurs
Parmi les principaux aspects de la bonne gouvernance en général de toute entité, on trouve l’équilibre entre les pouvoirs, la séparation entre les fonctions de gestion et de contrôle, la transparence dans la prise des décisions et leurs exécutions , la définition claire des attributions et la responsabilisation de manière à garantir la bonne performance et la correction des abus, en cas de besoin.
Ces principes s’appliquent à tous les domaines en l’occurrence l’administration publique, les corps de la magistrature, la sécurité, les autorités régionales, le secteur bancaire, le secteur financier…etc.
Mais aussi, ces principes de la bonne gouvernance s’appliquent, également, à la Banque Centrale de Tunisie en tant qu’institution publique majeure dans le système économique et financier.
L’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie figure parmi les principaux piliers à même de garantir une meilleure efficience dans l’accomplissement de sa mission et de consacrer le principe de sa bonne gouvernance en tant qu’autorité publique de régulation du secteur bancaire.
Pourquoi l’indépendance de la Banque Centrale ?
Mesdames et Messieurs
Il est communément admis que la consécration de l’indépendance de la Banque Centrale permet de créer une barrière institutionnelle entre le gouvernement et la politique monétaire qui doit être, exclusivement, du ressort de la Banque Centrale et ce, sans intervention, aucune, de la part du gouvernement.
En effet, la notion d’indépendance des banques centrales est apparue dans la littérature économique depuis, voila, trois décennies en tant que nouveau concept de la relation entre le gouvernement et l'Institut d’Emission. Elle a commencé à être consacrée dans plusieurs pays développés ou des pays en développement dans les deux dernières décennies.
Le recours à ce type d’organisation de la relation entre le gouvernement et l'Institut d’Emission sur la base du principe de l’indépendance est apparue à la lumière des résultats d’études exposant la tendance des gouvernements à utiliser la politique monétaire à des fins de court terme et souvent en relation avec des échéances électorales. Dans de nombreux cas, cette situation a conduit à une instabilité financière, une volatilité de la politique monétaire et à l'inflation avec ce qu’elles englobent comme répercussions négatives sur la croissance économique à moyen et à long terme.
Je voudrais remarquer que la question de l’indépendance de la Banque Centrale se pose en ce qui concerne la politique monétaire, mais aussi en tant qu’autorité de régulation et de supervision du secteur bancaire. Son rôle en tant qu’autorité chargée d’assurer la stabilité du système bancaire peut être fortement appuyé par une indépendance qui la soustrait aux interférences d’ordre politique.
Egalement, il y a lieu de noter que les institutions financières internationales utilisent l’indice de l’indépendance des banques centrales afin de mesurer le degré d’efficacité de leurs politiques monétaires et de leur dispositif de protection de la stabilité du système bancaire.
Aussi, ce même indice est pris en compte par les agences de notation dans leur évaluation des risques souverains.
Comment consacrer ce principe de l'indépendance de la Banque Centrale ?
Mesdames et Messieurs
La consécration du principe de l'indépendance de la Banque Centrale est possible à travers l’adoption de diverses mesures d’ordre organique et fonctionnel à l’instar de :
- L’indépendance organique qui concerne les conditions de nomination et de révocation des organes d’administration et de direction.
- L’indépendance fonctionnelle qui attribue à la Banque Centrale toutes les attributions pour la réalisation de sa mission.
- L’indépendance financière qui consiste, d’une part, en l’interdiction à la Banque Centrale de financer le déficit du trésor public et, d’autre part, le fait de la doter d’un budget indépendant du gouvernement.
Cependant l’adoption du principe de l’indépendance de la Banque Centrale doit être prise en respect de deux aspects fondamentaux à savoir la coordination entre la politique monétaire et la politique économique du Gouvernement, d’une part et la responsabilisation de la Banque Centrale, d’autre part.
D’abord, l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie n’est en aucun cas synonyme d’une liberté totale ou d’une déconnexion totale entre le Gouvernement et la Banque Centrale. En effet, la Banque Centrale en tant qu’institution publique doit veiller à la cohérence entre la politique monétaire, qui est de son ressort, et la politique économique générale adoptée par le Gouvernement.
Deuxièmement, l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie ne signifie pas qu’elle est dépourvue de toute responsabilisation. C’est tout à fait le contraire.
En effet, l’indépendance de la Banque Centrale intègre le principe de la mise en place de mesures de responsabilisation et de transparence y compris le contrôle financier.
Aussi, les objectifs fondamentaux de la Banque Centrale sont souvent prédéterminés par le législateur et la Banque doit rendre compte au pouvoir législatif mais aussi à l’opinion publique. Toutefois, il importe de préciser que tous les pays n’utilisent pas les mêmes approches nécessaires pour consacrer le principe de l’indépendance.
Qu’en est-il de L’indépendance de la Banque Centrale avant la révolution ?
Mesdames et Messieurs
À cet égard, l’on note que la Banque Centrale de Tunisie a été pionnière dans la mesure où, dès sa création, elle a été dotée d’une grande marge d’indépendance par rapport au Gouvernement. Ceci s’est poursuivi durant une longue période et a même été renforcé en fixant, par la loi, la durée du mandat du gouverneur à six ans.
Cependant, le problème de responsabilisation de la Banque Centrale a persisté, notamment du fait que le gouverneur est resté soumis à l’autorité du Président de la République ce qui a rendu son indépendance relative, voire-même ambigüe.
Qu’en est-il de L’indépendance de la Banque Centrale durant cette période de transition démocratique ?
Mesdames et Messieurs
Après la révolution du 14 janvier, et dans la perspective d’une démarche de transition démocratique fondée sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance fonctionnelle de la Banque Centrale a été, de manière pratique, renforcée, et ce, conformément à un consensus entre les parties prenantes, à savoir la présidence de la République et le Gouvernement.
Aussi, la loi constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011, relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, par son article 26, a amélioré le degré d’indépendance organique de la Banque Centrale de Tunisie.
Ce changement, se situe au niveau du mode de nomination et de révocation de ses organes de direction et d’administration. C’est une avancée importante, car elle met ainsi fin au mode de nomination unilatéral effectué par le seul chef de l’exécutif et ce, en faisant intervenir d’autres autorités dans la procédure de nomination et de révocation des organes de direction de la Banque.
C’est ainsi que le Gouverneur est nommé par un arrêté républicain après concertation entre le Président de la République et le Chef du Gouvernement. Cette nomination ne devient effective qu’après son approbation par la majorité des membres présents à l’Assemblée Nationale Constituante durant les 15 jours qui suivent la présentation de la proposition à l’Assemblée. Cette même procédure doit être respectée en cas de révocation.
Toutefois, la loi a accordé à l’Assemblée Nationale Constituante le pouvoir de démettre, à elle seule, le Gouverneur de ses fonctions et ce, à la demande du tiers de ses membres au moins.
Quant aux membres du Conseil d’administration de la Banque Centrale de Tunisie, ils sont nommés par un arrêté républicain après concertation entre le Président de la République, le Chef du Gouvernement et le Président de l’Assemblée Nationale Constituante. Cette même procédure doit être respectée en cas de révocation.
Cependant, la loi constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011 n’a pas prévu la mise en place de mesures de responsabilisation de la Banque Centrale qui vise à rendre compte, périodiquement, au pouvoir législatif.
Nous avons proposé à l’Assemblée Nationale Constituante de mettre cette pratique en œuvre même si ce n’est pas prévu par la loi.
La responsabilisation est aussi pertinente vis-à-vis de l’opinion publique quant aux politiques adoptées, aux objectifs suivis et aux résultats atteints.
Qu’en est-il de L’indépendance de la Banque Centrale dans la nouvelle constitution devant être écrite par l’Assemblée Nationale Constituante ?
Mesdames et Messieurs
La rédaction de la nouvelle constitution présente une opportunité historique afin d’y inscrire toutes les dispositions et les fondements à même de garantir l’adoption des meilleures pratiques de bonne gouvernance au sein des institutions nationales surtout en ce qui concerne les autorités de régulation à l’instar de la Banque Centrale de Tunisie et le Conseil du Marché Financier.
En effet, notre nouvelle constitution gagnerait à mentionner expressément le principe de l’indépendance fonctionnelle, organique et financière de la Banque Centrale de Tunisie et ce, tout en œuvrant à la coordination entre les objectifs de la politique monétaire avec celui de la croissance économique et l’intérêt général du pays et en prévoyant les mesures nécessaires de responsabilisation et de transparence et ce, à l’instar de la Suisse, le Mexique, le Chili ou de l’Afrique du sud.
Nous avons soumis des propositions à cet effet à l’Assemblée Nationale Constituante.
2. Les mesures prises afin de renforcer les mécanismes internes de la bonne gouvernance de la Banque Centrale de Tunisie
Mesdames et Messieurs
La modernisation du fonctionnement de la Banque Centrale de Tunisie et l’instauration des mécanismes internes de gouvernance constitue un autre pilier, non moins important que celui de l’indépendance précédemment évoqué, qui est à même de garantir une meilleure efficience dans l’accomplissement de la mission de la Banque Centrale et de garantir sa bonne gouvernance.
Les organes de gouvernance de la Banque sont constitués des organes d’administration et de direction, d’une part, et des organes de contrôle, d’autre part. Une distinction nette a été opérée entre ces deux fonctions de direction et de contrôle.
Les organes d’administration et de direction sont composés du Conseil d’administration, du Gouverneur et du Vice-Gouverneur. Alors que les organes de contrôle comprennent le Contrôle Général auquel sont rattachés l’audit et l’inspection internes, les Commissaires aux comptes et la Cour des Comptes.
En 2011, plusieurs mesures ont été prises afin de renforcer les pratiques de bonne gouvernance dont on peut citer :
• la révision de la composition du Conseil d’administration de la Banque Centrale de Tunisie par la désignation de personnalités éminentes reconnues pour leurs compétences dans les domaines économique et financier,
• la création du Contrôle Général, structure rattachée directement au Gouvernement de la Banque et comprenant l’audit interne et l’inspection interne, marquant ainsi la volonté de renforcer les pratiques de bonne gouvernance et consacrant l’indépendance et l’objectivité de l’audit, et,
• le lancement du projet de création d’un comité permanent d’audit rattaché au Conseil d’administration dont il est l’émanation.
Dans tout ce travail de mise à niveau et d’amélioration de la bonne gouvernance nous nous inspirons et suivons les recommandations qui sont basées sur les principes de Bale.
Ces principes édictés par le comité de Bâle ont trait principalement aux axes suivants :
• Objectifs et Responsabilité assignés à la Banque Centrale,
• Indépendance opérationnelle de la Banque Centrale,
• Transparence des procédures appliquées par la Banque Centrale,
• Coopération avec les autres autorités prudentielles.
Des efforts considérables sont entrepris afin de se conformer auxdits principes de bonne gouvernance comme je viens de décrire mais des améliorations restent à faire surtout en ce qui concernent les points suivants :
- Le renforcement de l'indépendance opérationnelle de la BCT.
Et ce, en Consacrant l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie dans la nouvelle organisation des institutions devant être définies par la nouvelle constitution en préparation et ses textes d’application.
- Le renforcement du contrôle bancaire en le dotant d’un cadre juridique approprié visant à couvrir :
- Premièrement, la protection juridique des autorités de contrôle en inscrivant des mesures permettant d’assurer une protection adéquate du personnel de la Banque centrale lors de la prochaine révision des statuts de la Banque.
- Deuxièmement, les compétences nécessaires pour traiter les problèmes de conformité avec la législation ainsi que les questions de sécurité et de stabilité.
En effet, si les infractions à la législation et à la réglementation bancaires sont poursuivies à l'initiative de la BCT, le pouvoir effectif d'imposer des sanctions n'est cependant pas du ressort direct de la BCT.
- La refonte de la procédure d’agrément d’établissements et la fixation des critères de rejet des candidatures.
En effet, les procédures ne sont pas formalisées et les contrôles exercés sur les candidatures insuffisants.
- Renforcement de la coopération avec les autorités de régulations.
En effet, les dispositions devraient régir, en outre, l’échange d’informations entre autorités prudentielles ainsi que la protection de la confidentialité de ces données.
- L’exigence de fonds propres minimales prudentes et appropriées pour toutes les banques en fonction des risques encourus par l’établissement.
Au moins pour les banques qui opèrent à l’échelle internationale, ces exigences de fonds propres ne doivent pas être inférieures à celles prévues dans le dispositif d’adéquation des fonds propres de Bâle.
Mesdames et Messieurs
Enfin, j’aimerai renouveler mes remerciements aux organisateurs de cette conférence ainsi qu’aux éminents intervenants au tour de cette question capitale de la gouvernance et la transparence du secteur public devant marquer le futur de la Tunisie postrévolutionnaire.