Opinions - 04.05.2012

Un Dinar léger, insouciant

Le déficit commercial de la Tunisie n’est pas conjoncturel et ne date pas d’aujourd’hui.
Apparu en 1970, quasi structurel depuis, son enjeu est grave. Il doit nous interpeller.

La question du déficit n’est d’ailleurs pas la seule question qui préoccupe. La structure même de nos échanges en biens et en services pose problème. Cette structure, bien particulière et bien prononcée, est sans doute la question centrale à laquelle nous devrons prêter attention en premier lieu. Le déficit n’en est que conséquence et résultat.

En effet, il est important de noter que, toutes proportions gardées, la Tunisie exporte et importe beaucoup plus que les économies motrices mondiales. Plus que les USA, plus que la France, plus que l’Allemagne, plus que la Chine.

Sur la durée, depuis 1970, nous avons échangé par année pour un équivalent de 30 à 60% de nos PIB. Les importations toujours supérieures aux exportations. 

Comparées aux proportions similaires des économies dites motrices mondiales tels que les USA, à peine 11 à 14% de PIB, ou la Chine qui est dans les 20% de ses PIB ; les proportions tunisiennes sont nettement plus élevées, plus risquées aussi.

Sans doute, à partir de 1970, le tirage de la croissance a été recherché par les exportations. L’on constate aujourd’hui que cette option a été mal prise et  très mal menée.

Mal prise car l’option s’est révélée en réalité plutôt avantageuse aux importations et donc générant des déficits. D’un excédent record de +10.04% de PIB en 1968 nous sommes passés à des déficits continues, et ce, à partir de l’année 1970 avec -2.7% de pertes en PIB. Le déficit record a été de 11.3% du PIB en 1984.



Ces déficits commerciaux ont eux-mêmes entraînés le déficit de la balance des paiements. Les recours récurrents à l’endettement extérieur que nous avons connus, que nous continuons à subir, ne sont que les conséquences directes des déficits décrits

L’option de chercher la croissance par les exportations a été aussi très mal menée et gouvernée. Le moins que l’on puisse dire c’est que le suivi des chiffres des échanges ne s’est pas opéré et que par conséquent le déficit dont il s’agit n’a pas été dégagé ou alors que sa portée fut négligée.

L’option a été davantage mal menée car la solution apportée au déficit s’est faite principalement par la dévaluation du dinar.

Le dinar a tout subi. Il a été la solution de facilité qui a synthétisé toutes nos défaillances économiques passées. Le dinar est maintenant à une parité de change plus que double en faveur de l’€. Il ne s’agit même pas d’avancer les chiffres ou les courbes des taux TND / $ US ou TND / € tellement la faiblesse du dinar est bien admise et caractérisée.

Le recours à la dévaluation semble être d’ailleurs une de nos pratiques anciennes. La 1ère des dévaluations s’est même opérée après l’indépendance et a été dans les -25% par rapport à la valeur du Franc Français d’alors, l’ancien, de 1965. Des 12 FF, le cours du dinar a été ramené dans les 9 FF.

Depuis son faux départ, la marche du dinar n’a pu être corrigée. Et ce qu''il faut retenir, c’est que  plus on dévalue, plus, on importe, et plus le coût  de nos dettes augmente.

La persistance du déficit couplée à une parité de change toujours désavantageuse est le cercle -vicieux- dans lequel s’est enfermée notre économie, notre imagination.

Ne restons pas alors myopes, nos exportations comme nos exportateurs, n’ont pas pu répondre à l’appel. Il est  donc temps d'engagers notre grande bataille commune. La vraie.

Une bataille économique et monétaire qui nous conduirait à un dinar fort. Un dinar évalué plutôt suivant une économie réellement portée par les exportations. Une économie ajustée aussi suivant une demande intérieure qu’il faudrait savoir enclencher, booster et développer.

A voir des pays comme la Suisse dont les proportions d’échanges sont semblables aux nôtres et qui réalise 5% de son PIB en excédent commercial, le Luxembourg qui fait 165% de son PIB en export et qui dégage 31% d’excédent, la Malaisie qui réalise en export 97% de son PIB pour 79% en import soit 18% de PIB en excédent ; nous pouvons dire que, durant 40 ans, nous n’avons pas travaillé assez. 

La situation demeure quand même gérable. Les proportions des déficits ne sont pas insurmontables. Il s’agit certainement de savoir poser les bons et sérieux objectifs à la nation.

Un objectif clé et fédérateur de tous nos problèmes économiques et monétaires, qui devrait nous lier tous, serait de fixer une échéance pour arriver des -6% actuelles à un excédent budgétaire de 1% à l’horizon des 3-5 années à venir.

A dinar constant, sans enchère, à sa valeur € d’aujourd’hui.

Mohamed Abdellatif Chaïbi
Banquier; Statisticien ISUP - Paris