La Commission Bouderbala présente son rapport final : elle a recensé 338 morts et 2147 blessés
Entamée le 18 février 2011, la mission de la commission nationale d’investigation touche à son terme. Son président, Taoufik Bouderbala, qui présentait, vendredi, le rapport final de la commission a affirmé que le nombre de victimes recensées de la révolution s'élève à 338 morts et 2147 blessés. Ce dernier chiffre étant encore provisoire, « plusieurs personnes [ayant] remis leurs dossiers directement aux gouvernorats et au ministère des Droits de l'homme et de la justice transitionnelle ».
La commission s'est rendue dans les prisons, les services judiciaires et administratifs ainsi que dans les hôpitaux pour établir ce rapport, a-t-il précisé, ajoutant que des correspondances ont été adressées aux procureurs de la République pour s'informer des affaires pendantes devant la justice.
La commission a accompli son travail dans des conditions difficiles et sous la pression, en l'absence d'un texte juridique protégeant les témoins, a-t-il expliqué.
Pour sa part, Amel Wahchi, rapporteur général de la commission, a indiqué que « le rapport n'a pas une valeur contraignante mais constitue plutôt un document permettant d'éclairer les autorités juridictionnelles sur les agissements illégaux et les abus commis lors d'une étape bien déterminée ».
Pour ce qui est des responsabilités respectives des autorités impliquées dans les évènements ayant accompagné la révolution, elle a affirmé que la responsabilité des meurtres et des actes de violence incombe au président déchu, au ministère de l'Intérieur, au ministère de la Défense nationale, au ministère de la Santé publique et au ministère de la Communication.
Evoquant le dossier des tireurs d'élite (snipers), Mme Wahchi a affirmé qu'il n'y a pas un corps particulier qualifié comme tel, mais plutôt des actes de meurtre commis avec préméditation par les forces de l'ordre.
Une équipe en toute synergie
Dans le numéro de décembre de "Leaders" (version papier), Me Taoufik Bouderbala revient sur les circonstances de la création de la Commission d'investigation. Au moment où les travaux de cette commission prennent fin, nous avons jugé utile de reproduire ce témoignage :
«J’ai eu la main heureuse en choisissant mes collègues membres de la Commission », se félicite Me Taoufik Bouderbala. « Totalement indépendante du gouvernement, cette commission n’obéissait à aucune désignation et j’avais toute la latitude de choisir ses membres. Je ne connaissais personnellement que trois ou quatre d’entre eux : Slaheddine Jourchi, Abdellatif Fourati… Quant aux autres, j’ai consulté nombre d’amis qui me les ont recommandés. Tous bénévoles, ils ont accepté de sacrifier week-ends et vacances, de s’imposer une confidentialité absolue et de s’éloigner plusieurs jours durant de chez eux pour se rendre sur le terrain. Leur probité, leur professionnalisme et leurs hautes valeurs sont exemplaires. Un grand motif de satisfaction, sur 15 membres, nous comptons 9 femmes ».
« En formant cette commission, ajoute-t-il, j’ai essayé de réunir des magistrats, professeurs de droit, avocats, médecins, psychologues et même un historien qui vient de nous rejoindre dans cette phase finale de rédaction du rapport, tant une approche globale est indispensable ».
Taoufik Bouderbala, Zouheir Jerbi (médecin, membre du Comité d’éthique médicale), Amel Ouahchi (magistrate), Monia Ben Jemii (enseignante universitaire), Héla Ammar (enseignante universitaire), Hayet Ouertani (psychologue), Cherifa Telili (psychologue), Serra Baltagi (médecin spécialiste en ana-pat), Hajer Ben Chiekh (enseignante universitaire), Nesma Madani (enseignante universitaire), Naceur Kéfi (spécialiste en communication), Chawki Gueddas (enseignant universitaire), Slaheddine Jourchi (journaliste), Abdellatif Fourati (journaliste), et Abdelkérim Allagui (historien).
L’appui administratif est assuré par une dizaine de fonctionnaires et techniciens mis à disposition, mais la Commission ne dispose d’aucun budget de fonctionnement qui lui est propre. Aussi, aucune rémunération n’est accordée aux membres et au président. Seuls les frais de déplacement à l’intérieur du pays sont directement pris en charge.
Me Taoufik Bouderbala toujours en première ligne, sans répit
«En quelques mois, je me suis senti rajeuni de plusieurs années », confie Me Taoufik Bouderbala, 70 ans, la ligne bien conservée. Le stress enduré, les émotions vécues, les 160.000 km parcourus pour effectuer plus de 70 déplacements à l’intérieur du pays, les visites de prisons et d’hôpitaux, sans connaître de week-end et les centaines d’auditions tenues n’ont fait que stimuler son énergie. Fils d’interprète assermenté, ce Nabeulien avait nourri depuis son jeune âge l’ambition d’endosser la robe pour défendre la veuve et l’orphelin. Son père l’y avait encouragé en lui disant que c’est un beau métier pour celui qui sait l’accomplir dignement, il pourra alors trouver facilement le sommeil, sans le moindre souci, la conscience étant tranquille. Il en fera sa devise.
A la faculté de Droit de Tunis, il aura pour camarade de promotion, durant 4 ans, Abdelfettah Amor. Sortis tous deux en 1967, Bouderbala s’inscrira au barreau, tout en continuant son troisième cycle à Tunis, alors qu’Amor partira pour la France. L’un sera publiciste et l’autre privatiste, mais leurs chemins convergent souvent. Sa prestation de serment, le 8 mai 1970, reste gravée dans sa mémoire. Ils étaient 4 jeunes avocats stagiaires (Maîtres Samir Annabi, Guelmami et Azzouzi), face au président Ben Jaâfar, seuls dans une grande salle, en fin de journée, sans la présence d’amis et parents, ni youyous ni gâteaux et boissons, comme ce qui se fait actuellement. La solennité de l’acte le marquera.
Me Bouderbala a eu la chance de rejoindre un cabinet prestigieux groupant Mes Ahmed Chtourou et Dali Jazy. Dans pareil moule, la politique et le combat pour la démocratie et contre l’oppression ne peuvent que couler dans les veines. Avocat, enseignant à la faculté des Sciences juridiques, actif au sein de l’Ordre et de la société civile, militant des Droits de l’Homme, il sera élu à la tête de la LTDH jusqu’en l’an 2000. Son mandat sera l’un des plus lourds assumés, tant l’exacerbatiion du pouvoir déchu contre la Ligue, ses dirigeants et ses militants était féroce. Sans jamais songer à la retraite et encore moins renoncer à la lutte, il demeurera de tous les combats, jusqu’à réclamer le 6 janvier 2011, lors d’une réunion houleuse à la maison de l’Avocat, la constitution d’une commission d’enquête...