Du traité du Bardo, de la Zitouna… et de l'hommage de François Hollande à Jules Ferry
Il ne semble pas que grand monde se soit souvenu, samedi dernier, de l’anniversaire du Traité du Bardo du 12 mai 1881 imposé par la force à l’Etat tunisien représenté par Sadok Bey et faisant de la Tunisie un Protectorat de la France, le signataire côté français n’étant rien d’autre qu’un général !
C’est pourtant ce samedi qu’a été annoncée la reprise de cours traditionnels à la Zitouna, en présence de trois ministres de la République s’il vous plaît ! A cette occasion, on a rendu grâce à Dieu pour la reprise des cours de théologie mais pas de ceux, semble-t-il, dispensés en parallèle, dans le temps, par la Khaldounia et qui donnaient quelques lumières de sciences exactes à des étudiants farcis d’Ibn Acher, d’Alfia et d’Ajroumia.
Ce 15 mai 2012, le nouveau président de la République française va rendre hommage à Jules Ferry, fondateur de l’école laïque. Or, ce politicien - il a été président du Conseil et ministre des Affaires Etrangères - est l’artisan du traité du Bardo car, outre son œuvre en faveur de l’école, Jules Ferry était un des tenants les plus forcenés de la colonisation et de la construction de l’empire colonial français. Celui que l’on a surnommé « Ferry-Tonkin » a été à l’origine de la colonisation de l’Indochine, de Madagascar et du Congo – ce qui provoquera du reste sa chute en 1885 mais l’homme ne quittera pas la politique jusqu’à sa mort en 1893. Il a jeté son dévolu sur notre pays convoité par l’Angleterre et l’Italie et a pris prétexte d’escarmouches tribales sur la frontière avec l’Algérie pour envoyer 8000 soldats sur Bizerte, faire bombarder Sfax par les bâtiments de la Marine, attaquer Kairouan et briser la résistance des Hmamma. Les représentations de Jules Ferry en France associent toujours son œuvre en faveur de l’école à son action colonisatrice comme on peut le voir, par exemple, sur sa statue dans sa ville natale de Saint-Dié des Vosges : un jeune Indochinois lui rend hommage. Pour Ferry, la colonisation revêt un aspect « humanitaire et civilisateur ». Dans un discours prononcé à la Chambre des Députés le 28 juillet 1885, il définit « les fondements de la politique coloniale » de son pays en ces termes: « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le droit de civiliser les races inférieures… De nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. » Georges Clémenceau, leader de la Gauche à la Chambre devait lui répliquer deux jours plus tard – faisant référence à la guerre de 1870 qui a vu la défaite de la France et la fuite de son empereur - que « des savants allemands démontrent scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. » et ajoutait : « N’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. »
On le voit : M. François Hollande aurait pu rendre hommage à un autre « génie » de la France, à un personnage moins contestable – visé par pas moins de trois attentats ! - car, pour nous, de la rive sud de la Méditerranée, l’œuvre de Ferry en faveur de l’école est toute théorique. Ainsi, Ferry a plié en Algérie devant l’opposition des colons à la scolarisation des Arabes. Résultat : en 1914, 5% des enfants algériens allaient à l’école, 34 musulmans seulement étaient bacheliers et 12 avaient décroché une licence d’après Jean Ganiage (in « Histoire contemporaine du Maghreb », Fayard, Paris, 1994, p. 247).
Dans sa réponse à « Ferry-Tonkin », Clémenceau précisait : « La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie. »
Si donc nous avons été colonisés, c’est parce que « la civilisation scientifique » ne nous avait pas atteints. Il est vrai que le général Philippe Thomas a exploité les mines de phosphates de Gafsa dès 1883 et que le télégraphe permit aux autorités françaises une communication aisée d’un bout à l’autre du pays pour en connaître la température sociale et militaire… bien mieux que la mehalla de Zarrouk qui ravagea le Sahel !
Aujourd’hui, il s’agit de savoir si l’enseignement zitounien nous donnera un meilleur rang dans le classement des Universités dressé annuellement par l’Université de Shanghaï et qui nous attribue actuellement la place 6700 et des poussières ! Enfin, comme il aurait été élégant, lors de cette cérémonie à la Zitouna, en présence de trois ministres, d’entendre condamner l’ignoble profanation de la tombe du zitounien Tahar Haddad….
Mohamed Larbi Bouguerra
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