Le désordre salafiste en marche !
En réponse à la question d’une journaliste, notre Premier Ministre a déclaré, récemment, lors d’un bref séjour à Beyrouth, que les salafistes ne sont pas des extraterrestres, mais, plutôt, les enfants du pays et le produit d’une situation historique et socio-économique donnée. Propos, on s’en doute aisément, qui n’ont pu être interprétés par les intéressés que comme des encouragements. Certains faits passés en revue ci-dessous le démontreront. D’où l’impérieuse nécessité, vu les menées des éléments les plus radicaux des jihadistes, de donner un avis qui contredit catégoriquement l’affirmation de M. Hamadi Jbali. A partir de ce que chacun d’entre nous peut quotidiennement et librement constater actuellement, on est en droit d’avancer, en effet, que tout nous sépare de ces jeunes qui tiennent le haut du pavé dans nos cités et quartiers. Leur attitude agressive, leur accoutrement afghan, leur drapeau noir et leurs références religieuses, en particulier, nous sont complètement étrangers et ne correspondent ni à nos us et coutumes traditionnels, ni à notre esprit d’ouverture et de tolérance et sont, plutôt, d’inspiration radicale et, plus précisément, wahabite.
Les nombreuses profanations et destructions, à travers tout le pays, de mausolées de saints, objet d’une piété superstitieuse et, surtout, populaire, ne nous rappellent-elles pas des comportements similaires sous d’autres cieux et qui ont rendu les talibans tristement célèbres de par le monde ? Qui oserait voir dans ces malheureuses déprédations une quelconque conformité à nos mœurs pacifiques ainsi qu’à nos pratiques cultuelles ou à nos valeurs culturelles ? Sans parler de l’absence du moindre souci de sauvegarder notre patrimoine historique et architectural ou du pieux respect que l’on lui doit ?
Les violences exercées à l’arme blanche à la mosquée Bilal à Sousse, samedi 19 mai 2012, par des salafistes jihadistes sur de paisibles fidèles des deux sexes dont le seul crime serait d’être opposés au prosélytisme agressif des premiers, ne sont-elles pas les dangereuses prémices d’une guerre civile et religieuse à venir telle que celles qui ont ravagé le Liban et l’Irak ou encore actuellement l’Afghanistan ?
La fermeture forcée, à Sidi-Bouzid, le même jour, des bars et autres dépôts de boissons alcoolisées avec les graves destructions qui l’ont accompagnée ne nous prédisent-elles pas une somalisation du pays ? Sommes-nous en train de nous orienter vers la mise prochaine du pays sous la coupe de bandes armées qui auront tout loisir de décréter ce qui est haram et ce qui est hallal et cela au mépris des libertés individuelles les plus élémentaires ? Le gouverneur de la région qui s’est exprimé au télé journal d’El Watania, dimanche 20 mai, à 20 h., était-il, vraiment, sérieux quand il a cherché à expliquer, sinon à justifier, ces graves désordres par la volonté populaire qui refuserait ce type de commerce en raison des nuisances dont il serait porteur ? Il nous a promis de donner satisfaction à cette soi-disant revendication des habitants en transférant ces débits de boissons dans d’autres quartiers. En procédant de la sorte et au mépris du droit, en acceptant le fait accompli et en se soumettant au diktat des fauteurs de troubles, n’est-ce pas donner libre cours aux énergumènes malheureusement désœuvrés pour bafouer la loi à volonté, perturber l’ordre public par des mercenaires patentés au service des plus offrants et porter atteinte aux biens et aux personnes sous prétexte d’obéir à la vox populi ? N’est-ce pas encourager désormais la sédition et les agitateurs qui prétendent entendre la voix de Dieu et agir en Son nom alors qu’ils ne servent souvent que des intérêts particuliers, égoïstes et mesquins ? N’y aurait-il pas ici le début de réalisation du programme énoncé par le sieur Rached Ghanouchi qui promettait à ses partisans que le peuple finirait tout seul par imposer le strict respect des vrais préceptes de l’islam ? Faudrait-il rappeler, pourtant, à nos gouvernants cette déclaration rapportée, le 4 novembre 2011, sur RMC.fr par Tom Heneghan, correspondant de Reuters à Tunis où M. Rached Ghanouchi assurait juste après les élections du 23 octobre dernier qu’il « ne devrait pas y avoir de loi qui tente de rendre les gens plus religieux. » Et le journaliste de commenter en parlant du chef d’Ennahdha : « Dans la foulée de sa victoire aux élections constituantes, son parti s'est engagé à ne pas interdire l'alcool et les vêtements occidentaux et à poursuivre les politiques économiques en faveur du tourisme, de l'investissement étranger et de l'emploi. » Ces belles promesses sont-elles déjà lettre morte et faudrait-il se résigner à croire qu’elles appartiennent au passé ?
A Kairouan, c’est encore le rouleau compresseur salafiste qui s’est mis en marche ce dimanche 20 mai 2012. Les dirigeants intégristes, qui ont investi la ville en y convoquant leurs milliers d’adeptes habillés à l’afghane et accourus de toutes les régions du pays, ont voulu donner une idée impressionnante de leur force. N’ont-ils pas clairement exprimé par la bouche de leur chef Abou Yadh, sur les colonnes du journal arabophone Le Maghreb du 17 mai, leur intention de ne plus supporter la tutelle que leurs partenaires d’Ennahdha leur imposaient en quelque sorte jusqu’ici ? L’interdiction d’entrer en Tunisie faite lundi 14 mai à deux prédicateurs marocains invités par leurs homologues tunisiens a été ressentie par nos intégristes comme une injure inacceptable, d’où leur rassemblement en guise d’avertissement sans frais adressé au gouvernement. Abou Yadh n’a-t-il pas promis récemment à ses troupes dans un discours à la mosquée El-Fath à Tunis, mercredi 16 courant, qu’elles seront bientôt la relève certaine en cas d’échec du gouvernement de la Troïka actuel ? Ridha Belhaj, chef du parti Tahrir, n’a-t-il pas osé proférer au cours du rassemblement de Kairouan cette énorme contre-vérité en déclarant que la Révolution du 14 janvier a eu lieu afin que la chariâ soit établie en Tunisie ?
N’y a-t-il pas donc vraiment urgence pour les forces démocratiques de s’unir sérieusement afin de barrer la route au désordre salafiste qui s’est mis en marche un peu partout dans le pays, qui gagne chaque jour du terrain aux dépens des libertés individuelles et dont l’ampleur nous a été donnée par le défilé dans la cité des Aghlabites ce dimanche ? N’est-il pas temps aussi de condamner toutes ces gesticulations et pratiques d’un islam d’inspiration étrangère et inconnue jusqu’ici sous nos cieux, n’en déplaise à notre Premier Ministre qui hésite à faire simplement et seulement appliquer la loi contre tous ceux qui menacent la paix civile ? Il n’empêche que tous les vrais démocrates de ce pays persistent à tenir pour bien vivantes les promesses du 14 janvier 2011 et à continuer de croire en les vrais objectifs du mouvement initié par la Révolution, à savoir ceux de la Liberté, l’Égalité et la Dignité dans une Tunisie moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique. Mais ne nous gargarisons pas de mots car il est impératif d’agir vite dans l’unité, en rassemblant les forces vives du pays, tant qu’il est encore temps, afin de réaliser ces objectifs. Bientôt, les masses fascisantes grossissant et se structurant encore davantage, cela ne sera plus, hélas, possible.