Lettre ouverte au président Marzouki
Monsieur le Président,
J’ai hésité longtemps à vous écrire, mais il est un moment où le silence devient inacceptable. Je suis attaché à la Tunisie et surtout à l’Université de Tunis que j’ai créée en 1959 dans le cadre de la coopération entre la France et la Tunisie, dans les débuts de la République Tunisienne. J’ai eu l’honneur d’être reçu à différentes reprises par feu le Président Bourguiba, notamment après la crise terrible de Bizerte en 1961 que j’ai contribué à résoudre avec quelques collègues courageux. Je suis intervenu aussi quand plusieurs de mes étudiants avaient été arrêtés sur ordre de quelques irresponsables politiques. Devant notre détermination,le ministre d’alors Mr Messa’adi a ordonné leur libération. Et je m’en suis félicité avec les collègues qui m’avaient suivi .
Aujourd’hui, l’affaire est grave, elle met en danger l’avenir politique de la Tunisie. Je me suis félicité l’an dernier quand les Tunisiens ont obligé Ben ‘Ali à fuir avec sa famille. Mes amis Tunisiens et nous ici nous nous en sommes félicités. Nous espérions que les Tunisiens retrouveraient le chemin de la démocratie,d’une démocratie reposant sur le respect des textes ,des lois ,des règlements en usage , des hommes et surtout des femmes .
Aujourd’hui et depuis le mois d’octobre, mes collègues de la Manouba sont soumis à l’action menée par une poignée d’irresponsables qui se nomment « salafistes » et qui ignorent les règles élémentaires de l’Islam authentique. Ils dévergondent cet Islam dans lequel les Tunisiens ont vécu jusqu’ici et le rendent odieux.
Il n’est pas acceptable que les Ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’Intérieur ignorent le trouble à l’ordre public que ces « étudiants masqués » font régner. Que diriez vous si une ou plusieurs de vos collaboratrices arrivaient masquées dans votre bureau ? Elles auraient été arrêtées par les policiers et les soldats qui gardent le palais présidentiel. Ce qui vaut pour votre palais et vous-même vaut aussi pour la Faculté des Lettres de Manouba et mes collègues, doyen en tête.
Monsieur le président, comme dans toutes les universités du Monde, cet établissement public doit être protégé sécurisé à l’intérieur de son enceinte par un corps de vigiles dépendant uniquement du doyen. Le Ministre de l’Intérieur et celui de l’enseignement supérieur doivent respecter les lois et l’ordre public. Ils doivent secourir l’institution lorsque le doyen appelle la police à son secours.
Vous perdrez à ne pas user de la loi dont vous êtes le gardien. Vous risquez de voir des forces extérieures à la loi agir à votre place et imposer un régime à la Ben ‘ali aux Tunisiens. Vous jouez avec le feu en laissant faire les salafistes. La démocratie ne se partage pas dans ses principes. Elle se défend contre ses ennemis. Il y va de l’avenir politique de la Tunisie et de sa crédibilité à l’échelle internationale. Le courage est d’affronter la crise et non de l’ignorer. Avez vous pensé aux conséquences de cette crise sur l’économie de la Tunisie ?
Croyez à ma meilleure considération
André Nouschi
Professeur honoraire de l’Université
Fondateur et Enseignant à l’Université de Tunis (1959 à 1964)