News - 27.05.2012

Les vraies raisons de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie

Depuis quelques jours la Tunisie a perdu sa notation de grade d’investissement et a été reléguée à la catégorie spéculative. La Tunisie n’a jamais connu ce territoire puisque depuis sa première notation en 1997, le pays est directement entré dans le club restreint des pays Africains de catégorie d’investissement. Aujourd’hui, la note de la Tunisie est comparable à celle de pays tels que le Portugal ou la Jordanie… Malheureusement, au lieu d’en tirer toutes les conséquences et de changer de stratégie, cette dégradation a été reprise par un certain nombre d’observateurs pour tirer à l’artillerie lourde sur le gouvernement et le taxer de tous les maux… Pire encore, les vieux appels à ne pas repayer la dette ont resurgie et ont été présenté comme la panacée aux problèmes dont la Tunisie fait face aujourd’hui.
 
Cette dégradation est certes un événement très négatif dont on se serait passé volontiers car non seulement elle entraînera une hausse du coût des nouveaux emprunts souverains de la Tunisie sur les marchés internationaux (via une hausse de la prime de risque de crédit et une exclusion des dettes Tunisiennes de la gamme des instruments éligibles de certains investisseurs ou fonds de pension) mais encore pourrait entraîner une augmentation de l’aversion au risque Tunisien par les investisseurs étrangers à un moment où leurs interventions sont plus que nécessaire pour renflouer les réserves en devises et créer des emplois. D’autant plus qu’il suffit de voir les conditions sécuritaires de certaines régions pour comprendre qu’elles ont probablement été durablement exclues du radar de certains investisseurs étrangers. 
 
En même temps, cette dégradation devrait servir de réveil. S&P a certes parlé de « l’incapacité du gouvernement transitoire de prendre des mesures proactives face à une économie et un secteur financier affaiblis par rapport à ce qu’on attendrait d’un pays de grade d’investissement » Mais, il faut certainement replacer cette opinion dans son contexte et entendre par gouvernement toutes les parties prenantes au sommet de l’Etat ainsi que la Banque Centrale. Une part de cette dégradation est certes due aux impacts négatifs attendus de la récession en Europe sur les IDEs, les flux de tourisme et les exportations et plus généralement la balance de paiement du pays. Mais une majeure partie de cette dégradation et surtout son amplitude, découlent de l’absence de mise en place de réformes structurelles qui devraient permettre un retour à l’orthodoxie budgétaire à laquelle la Tunisie nous a habitué sur les 15 dernières années. Ce retour ne se ferait que si la Tunisie essaye de réduire ses dépenses via une réduction des subventions et une meilleure efficacité de l’administration. Ces actions devraient être entreprises au-delà de tout calcul politique et tout en ayant comme simple objectif de servir le pays à un moment difficile. Une bonne partie des subventions ne va pas à la population cible et quand bien même une réforme en profondeur pourrait ne pas être faisable à court terme à cause de ses impacts potentiels sur la stabilité sociale du pays, quelques mesures fortes pour réduire ce fardeau devraient être implémentées.
 
Parallèlement, la BCT devrait s’attaquer de manière plus radicale aux problèmes accumulés par le système bancaire tunisien sur les vingt dernières années. Une accélération du nettoyage du système et une refonte de sa structure s’imposent afin de réduire les risques de recours à l’Etat en tant que sauveur de dernier ressort ou de réduire les dettes contingentes qui pourraient découler du système bancaire et qui pèsent sur les comptes de l’Etat et sa qualité de crédit.  Améliorer la capitalisation du système via une augmentation du capital minimum exigé afin de pousser vers la consolidation du système pourrait être envisagée. Un système bancaire sain peut remplir son objectif de financement de l’économie tandis qu’un système affaibli ne peut que peser lourd sur les finances publiques et impacter négativement la notation des banques elles-mêmes (toutes en catégorie spéculative depuis bien longtemps) et la notation souveraine.
 
Quoiqu’il en soit, le gouvernement devrait trouver des relais pour endiguer les pressions sur les réserves de change et financer ses projets d’investissement. Une accélération de la vente des actifs saisis notamment pour des investisseurs étrangers ne peut qu’être bénéfique pour ces réserves bien que ces opérations sont tributaires de l’appétit des investisseurs qui a probablement diminué après la dégradation de la note souveraine et au vu de l’incertitude quant à l’évolution de la scène politique tunisienne (prochaine structure du système politique, constitution qui reste à écrire et élections)… 
 
Aujourd’hui la Tunisie est notée en grade d’investissement par deux sur les trois principales agences qui notent le pays. Minimiser l’impact de la dégradation de la notation de Standard & Poor’s serait une grave erreur. Tirer les leçons et agir en conséquence afin de garder les notes des autres agences serait une sage décision. Une réorientation des priorités au-delà de tout calcul politique, une mise en œuvre rapide de ces nouvelles priorités et une stratégie de communication claire vis-à-vis des deux autres agences et de S&P elle-même pourrait éclaircir l’horizon car tôt ou tard, la Tunisie aura besoin d’accéder de nouveaux aux marchés financiers puisque la capacité des créditeurs officiels (Union Européenne, Organisations multilatérales, etc.) à financer le pays n’est pas illimitée et qu’un scénario d’effondrement aussi rapide que certains pays Européens périphériques ne peut pas être totalement exclu.