Les habits neufs de Hamadi Jebali
Jamais interview d’un chef de gouvernement n’aura bénéficié d’une telle couverture médiatique en Tunisie. Lotfi Zitoun serait désormais bien en peine de nous convaincre que les activités des dirigeants d’Ennahdha sont boycottées par les médias nationaux.
Que dire de cette prestation de M. Hamadi Jebali sinon que le Chef du gouvernement y a alterné le bon et le moins bon. On retiendra d’abord, sa condamnation sans équivoque des agressions salafistes, sans qu’ils soient désignés nommément, qui, sous couvert de défense de la religion essaient « d’islamiser » le pays en essayant d’imposer à l’ensemble de la population un autre mode de vie, leur conseillant d’avoir à l’esprit « le précédent algérien ». On l’attendait sur ce point. Pour la première fois, Hamadi Jebali a eu les mots qu’il fallait, évitant de recourir aux circonlocutions, comme il l’a fait souvent par le passé quand il abordait ce sujet. Il ne fait plus dans l’angélisme : « ce sont nos enfants, « Il faut engager le dialogue avec eux », « après tout, ils ne viennent pas de mars ». Il nous propose même une définition inédite de la charia « c’est la liberté, la démocratie, la tolérance, les valeurs universelles ». Mais, il ne rassure pas pour autant. Car il se garde bien de dévoiler les mesures qu’il compte prendre pour mettre un terme à leurs agissements. Et puis, parfois, comme s’il avait l’impression d’être allé trop loin, il relativise le phénomène, décochant encore une fois au passage quelques fléchettes aux journalistes lorsque ses interviewers lui font part de l’inquiétude des TO étrangers, surtout après les évènements de Jendouba. Par contre, il ne se fait pas prier pour stigmatiser les syndicats de police dont « les communiqués s’apparentent à des manifestes politiques », allant jusqu’à les menacer de sanctions.
A plusieurs reprises, Jebali rappelle que son gouvernement est fort parce qu'il tire sa légitimité des urnes, et n'a cure des attaques lancées contre lui par la gauche et les syndicats comme s'il voulait se convaincre lui-même. Aux journalistes qui évoquent le climat délétère dans le pays avec la multiplication des grèves et des sit in qui touchent à présent la magistrature, les médecins, les enseignants, il rétorque que le gouvernement remplira ses engagements envers les démunis et les régions intérieures et pour faire avancer la lutte contre la corruption et les malversations, mettant toute cette agitation sur le compte des mutations qui accompagnent généralement les révolutions. Au passage, il s’en prend à l’UGTT qui doit « se confiner dans le rôle qui doit être le sien qui est de défendre les intérêts de ses adhérents » dénonçant ceux qui évoquent « une année blanche » pour les élèves.
S’agissant de la situation économique, il relève que les quatre premiers mois de l’année ont été marqués par un bond de la croissance de 4,8% (un chiffre qui a laissé dubitatifs ses interlocuteurs comme, je suppose un certain nombre de téléspectateurs), critique la dégradation de la note souveraine de la Tunisie par S&P, et laisse entendre qu’un changement à la tête de la BCT n’est pas à écarter, même si Kamel Nabli vient d'être élu meilleur gouverneur de banque centrale en Afrique «vous savez, ces titres, ils valent ce qu'ils valent» lancera-t-il. Il regrette les couacs entre les présidences du gouvernement de la république « je n’aurais jamais permis à mes conseillers d'agir de même façon envers la présidence de la république », et reconnait à demi-mot avoir pu être, sur certains points, mal conseillé, « mais je ne suis pas le genre à se défausser sur mes collaborateurs de certaines décisions», avant de déplorer la présence de certains journalistes qui s’étaient compromis avec l’ancien régime à la réunion sur la réforme de l’information organisée par le gouvernement «c'était une erreur», reconnait-il. Quant à l'entrisme pratiqué par Ennahdha pour noyauter l'administration, il essaie de le minimiser avant de se raviser «peut-être faudra-t-il aussi nommer des personnalités d'autres partis et mêmes des indépendants».Enfin, il confirme la tenue des élections le 20 mars prochain.
Jebali a essayé, sans y réussir totalement, de se placer au dessus de la mêlée, se démarquant bien que timidement (il y a un début à tout) d'Ennahdha. Il ne s'adresse pas seulement à la population, mais aussi à ses troupes qui ont bien du mal à se défaire de leurs vieux habits d'opposants, les appelant à tempérer leurs ardeurs. Sa référence à l'exemple algérien leur est adressée autant qu'aux salafistes. Il aurait pu y ajouter l'exemple egyptien où le candidat de l'armée est au coude à coude avec celui des Frères musulmans aux élections présidentielles. Sa définition de la charia va faire grincer bien des dents du côté de Montplaisir. Mais la voie est encore sinueuse et pleine d'embûches. Il lui faudra par exemple se faire à l'idée que l'UGTT n'a jamais été et ne sera jamais un syndicat ouvrier stricto sensu, comme en témoigne sa contribution à la lutte de libération nationale puis contre la dictature. C'est une exception tunisienne avec laquelle il doit composer. De même, il faudra être plus clair avec les salafistes et ne pas céder à la tentation de minorer leur capacité de nuisance comme le font certains dignitaires du mouvement Ennahdha pour des raisons électoralistes évidentes. Car ce ne sont pas les "fouloul" de l'ancien régime, mais toute la Tunisie qui a peur des salafistes, aujourd'hui. Les habitants de Tamerza comme ceux des beaux quartiers de Tunis et de Carthage. Encore un effort, si Hamadi.