Le gouvernement Jebali s’est présenté devant l’Assemblée nationale constituante le 22 décembre 2011, il y a donc moins de 7 mois. Son premier souci a été de faire adopter par l’Assemblée le projet de budget préparé par le gouvernement précédent pour permettre aux rouages de l’Etat de fonctionner tout en s’engageant à présenter à la fin du premier trimestre 2012 un budget rectificatif complémentaire.
Au cours de ces mois, la Tunisie est passée par une période difficile, marquée par la montée des grèves et des sit ins, une hausse considérable des prix, notamment des produits alimentaires, l’aggravation du chômage, notamment celui des jeunes et des désordres plus ou moins graves mettant en danger la sécurité intérieure du pays.
Le gouvernement, pour sa part, a lancé plusieurs chantiers de redressement du pays afin de faire face aux deux problèmes fondamentaux qui préoccupent le peuple tunisien après la Révolution du 14 janvier, à savoir, l’économie et la sécurité. Ces chantiers démontrent que ce gouvernement n’a pas croisé les bras. Malgré son inexpérience (certains ministres venaient de sortir de prison ou rentrer d’exil) il était persuadé de sa légitimité, tirée des urnes du 23 octobre 2011.
Sur le plan interne, le gouvernement a lancé des consultations aux niveaux local, régional et national pour déterminer la nature et les dimensions des projets de développement dans les différentes régions, surtout les régions jusqu’ici laissées pour compte dans l’intérieur du pays. Sur cette base, il a préparé un plan d’action de redressement économique du pays dans les années à venir. Dans le cadre de ce plan d’action, il a préparé une loi de finances rectificative dans laquelle des ressources importantes ont été allouées à l’investissement public, au développement régional, à la lutte contre le chômage et à l’amélioration de l’habitat social.
Toujours sur le plan interne, il a organisé des contacts directs entre les membres du gouvernement et les citoyens dans les régions pour engager le dialogue nécessaire à la mise en œuvre concrète des programmes et projets prévus de développement dans ces régions. Même si ces réunions n’ont pas toujours été calmes, étant donné le long et grand désespoir des jeunes sans travail, ces réunions démontrent que le gouvernement cherche le dialogue et la participation citoyenne dans la réalisation des projets d’avenir.
Plus important encore, le gouvernement commence à prendre des mesures phares face à la gangrène de la corruption qui a dominé le secteur fondamental de la justice et le secteur douanier. Le peuple tunisien s’est révolté contre la dictature et l’injustice. Il est temps que le système judiciaire soit assaini car, comme l’a dit Ibn Khaldoun, la justice est le fondement de la civilisation. Il est temps aussi que le système douanier soit assaini pour mieux protéger notre appareil productif. Notre grande centrale syndicale, l’UGTT ne devrait pas couvrir par des actions de grève, des réactions contre ces mesures fondamentales et nécessaires d’assainissement. Les deux corps de la magistrature et de la douane ne devraient pas faire partie de la fonction publique mais avoir un statut particulier qui leur garantit une rémunération qui les placerait hors de toute tentation.
Sur le plan extérieur, le gouvernement a dégelé nos relations avec nos frères des pays du Golfe. Ces pays ont fait confiance à la Tunisie, ont investi des montants importants dans le tourisme, l’infrastructure, l’industrie et la finance mais n’ont pas été payés en retour. Le Koweït, par exemple, a été abandonné par la Tunisie lors de son occupation honteuse par l’armée de Saddam Hussein.
Ceci dit, le gouvernement devrait faire mieux en matière de sécurité. L’extrémisme religieux qui prend des formes violentes devrait être combattu sans répit. Il fait peur aux citoyens, aux touristes et aux investisseurs. Dans les pays musulmans modernes comme la Turquie, la Malaisie et l’Indonésie, il est circonscrit. Le gouvernement et la Banque centrale devraient lutter plus efficacement contre l’inflation dévergondée actuelle. Un des facteurs principaux dans cette lutte est le développement rural sur lequel le gouvernement devrait se pencher sérieusement. Le potentiel de productivité et d’emploi est important dans ce secteur. Heureusement, la récolte céréalière s’annonce bonne. Il faut la consolider par des réformes des circuits de distribution en encourageant les coopératives de services, les coopératives de consommation (l’UGTT a un grand rôle à jouer à ce propos) et les caisses de crédit mutuel qui répondent mieux aux besoins de financement des agriculteurs. Cela pourrait se faire dans le cadre d’une réforme du secteur bancaire qui tarde à venir. Enfin, une réforme fiscale permettrait de créer un climat général favorable à l’investissement et à l’équilibre des revenus.
C’est dire que des chantiers nouveaux devraient être lancés. Mais le gouvernement, dans la mesure où il entreprend des réformes qui répondent aux espoirs de la Révolution, devrait bénéficier de l’appui des gens de bonne foi. Somme toute, c’est la Tunisie, seule qui dans le monde arabe, a réalisé une véritable Révolution. Regardez l’Egypte où l’armée s’est débarrassée de Moubarak parce qu’elle ne voulait pas de son fils au pouvoir mais a conservé ce pouvoir. Regardez la Libye où les milices continuent à nuire à la paix et à la sécurité. Regardez le Yémen où le vice président est au pouvoir. Nous avons la chance d’un gouvernement issu des urnes, d’une Assemblée constituante qui travaille sur une nouvelle constitution et d’une instance indépendante pour organiser des élections libres et transparentes l’année prochaine. Donnons sa chance à ce gouvernement et que ceux qui ne sont pas d’accord le manifestent aux prochaines élections.
Dr Moncef Guen
Ancien Secrétaire général du Conseil économique et social et ancien haut fonctionnaire du FMI.