Adieu GHASSAN TUENI : Grand tu étais, grand tu resteras
Le Liban et tout le monde arabe perd en GhassanTuéni la plus grande figure du journalisme arabe et un érudit sans cesse en quête de savoir.
Il nous quitte à l’âge de 86 ans, terrassé par la maladie.Seule la cruauté du destin a eu raison de sa plume qui lui a glissé, malgré lui, entre les doigts en nous privant définitivement de son talent.
Il part en nous laissant un immense héritage qui a illuminé le monde de la presse arabe : « Ennahar »,un quotidien libanais fondé par son père au siècle dernier, et qu’il a transformé en une véritable institution, le journal de référence. L’éditorial de GhassanTuéni a fait le bonheur de plusieurs générations de lecteurs. Pendant des décennies, les Libanais et les arabes se réveillaient tous les jours au rythme du tempo politique des chroniques de GhassanTuéni qui sont restées présentes dans l’histoire du Liban et du monde arabe.Quand il le fallait, il n’épargnait personne ; il était redouté et redoutable. La force de sa pensée et de ses analyses l’a mené directement à la politique. Il fut ministre, député puis ambassadeur. Un ministre qui a beaucoup compté et un ambassadeur auprès des Nations Unis qui a particulièrement pesé. En 1980, au Conseil de Sécurité des Nations Unis, alors que la guerre au Liban battait son plein, il a eu cette phrase célèbre lancée devant tous les pays membres présents et restéegravée dans l’histoire : « laissez mon peuple vivre ».
J’ai eu l’immense privilège de bien le connaître et de beaucoup le côtoyer ; il m’appelait avec affection « la Tunisienne ».Comme tout le monde, j’avais une grande admiration pour lui. C’était le maître qui nous parlait mais qui savait écouter.
Mon seul regret, c’est qu’il n’ait pas pu s’exprimer sur les révolutions arabes. La maladie l’en a empêché en changeant tragiquement le cours de sa vie. Ghassan Tuéni était un homme à part et d’une dimension exceptionnelle. Un homme dont la détermination et la persévérance à défendre les causes justes, à dénoncer les bavures de l’histoire le mettaient souvent en danger. Il n’a jamais courbé l’échine devant personne,même pas devant la cruauté du destin qui ne lui a rien épargné. Il a vu partir ses enfants et sa femme les uns après les autres, le dernier, Gebran, sauvagement assassiné à Beyrouth, il y a quelques années.
Rien ne l’arrêtait d’écrire. Il partageait avec la même douleur cachée ses propres malheurs et ceux du monde arabe. Il répétait toujours « aucune guerre, aucune révolution, aucune force quelle qu’elle soit ne peut effacer l’histoire d’un peuple, ni d’une civilisation. Rome n’a pas détruit Carthage puisque la Tunisie fille de Carthage l’a fait renaître de ses cendres comme Tyr l’a fait naître »
Lorsque je lui avais rendu visite pour la dernière fois à Beyrouth, il était déjà loin très loin. Sa vie n’avait plus de sens sans sa plume, alors il s’est aussi arrêté de parler. Son dernier ouvrage s’intitule « enterrer la haine et la vengeance » ; c’était aussi son dernier message à tout ceux qui sèment la haine et la désolation dans nos pays.
Tu vas nous manquer, certes, mais au delà de la personne, le symbole GhassanTuéni restera pour toujours.
Latifa Moussa