Il faut sauver le soldat Nabli !
La question fait l’objet de débats houleux et enveniment les relations dans les plus hautes sphères d’un Etat post-révolution qui se cherche encore, qui tarde à se stabiliser, et à trouver son bon équilibre et sa meilleure gouvernance !
Mustapha Kamel Nabli, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), homme reconnu pour son intégrité et sa compétence, ne fait plus l’unanimité notamment au niveau du gouvernement mais surtout au niveau de la présidence de la république, dont le titulaire semble avoir pris sa décision contre le maintien du
Gouverneur, même si ses prérogatives ne lui donnent aucun pouvoir (ou peu !) dans les affaires économiques et financières du pays !
Pourquoi Mustapha Kamel Nabli est si contesté par l’exécutif? En se référant à des faits concrets et au parcours de cet économiste chevronné, on se rend compte de son indépendance d’esprit et de son souci de l’intégrité et de la diligence dans la gestion des affaires de l’Etat. De son passage au gouvernement au cours de la première décennie Ben Ali, jusqu’à son arrivée à la tête de la BCT, Nabli a su insister sur sa neutralité et son positionnement au dessus de la mêlée, ce qui lui a voulu souvent des désagréments et une certaine hostilité de la part des caciques et des adeptes du clanisme et de l’intérêt partisan, qui n’arrivent pas encore à faire la part des choses et à respecter le principe de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance des organes de contrôle.
La BCT, institution d’émission et de supervision de l’activité financière et bancaire du pays, se doit de garder un minimum de neutralité et d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif ! Sa gestion de la politique monétaire et son souci des équilibres macroéconomiques vitaux, lui imposent une certaine tenue et une absence de connivence avec les décideurs politiques. La BCT doit pouvoir ainsi jouer son rôle d’alerte et se poser comme un garde fou afin de mieux préserver les fondamentaux et pour une meilleure gouvernance économique et financière.
A travers notamment trois actions, on pourrait déjà mieux appréhender l’apport de Mustapha Kamel Nabli et son positionnement depuis sa prise des rênes de la BCT. Ainsi, rappelons-nous de sa décision de ne plus faire partie du Conseil des ministres comme c’était le cas dans le régime Ben Ali. Il l’a fait savoir et l’a bien appliqué dès le gouvernement Ghannouchi 2. Ensuite, viendra la circulaire n° 2011-06 de la BCT, une véritable révolution dans la révolution ! En effet, dans le cadre du renforcement des règles de bonne gouvernance bancaire et financière, le Gouverneur a émis à la date du 20 mai 2011, la circulaire n° 2011 – 06 visant l’ensemble des établissements de crédit de la place de Tunis. Cette circulaire définit une série de dispositifs devant être observés dans l’objectif d’asseoir une gestion saine et prudente garantissant une création de valeur durable et partenariale au sein des établissements de crédit en Tunisie,
Ainsi, la circulaire consacre le principe de la séparation des pouvoirs de contrôle et d’exécution et insiste sur une gestion optimale des risques encourus par les banques. La communication financière et comptable est également valorisée en mettant le curseur sur l’exigence de sa pertinence et de sa fiabilité. Par ailleurs, la circulaire n ° 2011 – 06 renforce l’implication des mécanismes internes de gouvernance, en l’occurrence le Conseil d’administration et les comités exécutifs, dans le bon fonctionnement des systèmes de gouvernance. Il s’ensuite que les responsabilités, les rôles et les missions dévolus à ces organes collégiaux sont bien explicités.
Enfin, l’une des actions phares de l’ère Nabli à la tête de la BCT, c’est de garantir une certaine transparence dans la communication de cette institution. Ainsi, chaque mois nous avons droit à un communiqué bien explicite, accompagné périodiquement d’une note relatant l’évolution de l’activité économique dans le pays. Une note argumentée par des chiffres et appuyée par une analyse des tendances, permettant aux décideurs de voir mieux et d’optimiser leur décision dans ce contexte sensible caractérisant ce processus de transition démocratique.
Pour ces actions mais pour d’autres également, nous estimons que Mustapha Kamel Nabli accomplit au mieux son rôle et ses missions à la tête de la BCT et œuvre pour l’indépendance et la fiabilité de cette institution, même si les attentes sont plus conséquentes notamment en matière de lutte contre la corruption. Une corruption qui a longtemps gangrené le secteur bancaire en Tunisie !
Espérons qu’au-delà des intérêts partisans et exigües, qu’au-delà de la lutte des clans et de la course électorale qui commence déjà, les décideurs politiques de ce pays arrivent à comprendre une fois pour toute, qu’il y’a un intérêt général à préserver, que la séparation des pouvoirs doit être une réalité et non pas un slogan, et que la compétence et l’intégrité des hommes soient plus consolidés et valorisés que leur ralliement et leur soumission !
Par Dr Moez JOUDI
Président de l’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)
Universitaire
Administrateur de sociétés