Des dirigeants de l'ancien parti communiste tunisien (puis, Attajdid et Al Massar) s'apprêtent à annoncer leur adhésion (individuelle) au nouveau parti lancé par Béji Caïd Essebsi, Nida'Tounes. Parmi eux, Tarek Chaabouni explique dans l'opinion ci-après, les motivation de son choix.
Le séisme du 23 Octobre n’a pas encore produit tous ses effets et la période qui a suivi a montré que nous n’en avons pas tiré toutes les conséquences. Une des premières constatations qui émerge du résultat des urnes est qu’une minorité organisée autour du parti Ennahda a gagné contre une majorité divisée. Les forces politiques traditionnelles, les partis de la résistance démocratique d’avant le 14 Janvier (Ettajdîd et PDP surtout) et quelques nouveaux acteurs (Afek Tounes) ont eu une année politique entière pour ne rien apporter de nouveau sinon des solutions batardes, camouflage de leur reproduction à l’identique avec figurants et élimination des voix dissidentes sur le chemin.
A situation nouvelle, nouveau parti
Rappelons que les partis, pour durer et survivre aux tracas de la vie politique au jour le jour et les luttes internes qui les traversent inévitablement, doivent se justifier par une mission historique qui les transcende et leur fait accomplir leur œuvre utile et nécessaire. Ainsi le Parti Destour est- il indépendantiste sous le règne du colonialisme et parti de la construction de l’Etat national et animateur du « Développement » après l’Indépendance. Citons également le Parti Communiste Tunisien, auquel j’ai adhéré en 1976, qui a su trouver en lui-même et par l’audace intellectuelle de son leader Mohammed Harmel et la collaboration de quelques autres qui n’en provenaient pas comme Mohammed Ali Halouani, l’énergie qui le fera se refonder en 1993 en un parti plus ouvert sous le nom de Mouvement Ettajdîd.
Qu’ y a-t-il de vraiment nouveau après le 14 janvier et la chute de l’ancien régime, très attentif à contrôler et à limiter toute vie politique, tout débat y compris au sein de son propre camp ? Il y a eu entre autres choses et principalement la libération d’immenses énergies qui voulaient participer à la vie politique. La liberté de discuter, de se réunir, de s’associer a mis en apparence les immenses ressources de capacités, de dévouement et passion pour la chose publique que recelait nôtre Tunisie. Mais la liberté n’est pas assurée tant qu’il n’y a pas les nombreuses institutions qui la protègent et la renforcent. Il était clair que les nouveaux entrants dans la vie politique avaient besoin d’un instrument nouveau qui les intègre au mieux à cette nouvelle vie politique.
Le problème était visible et prévisible. Au cours d’un Conseil National du Mouvement Ettajdîd tenu début 2011, j’avais appelé à abandonner la formule du parti idéologique pour adopter la formule d’un parti large qui rassemble les Tunisiens tels qu’ils sont avec leurs préoccupations et leurs objectifs de vie(améliorer leur condition, éduquer leurs enfants, vivre en sécurité, être fiers de leurs pays) et à nous mettre au service du peuple tunisien tel qu’il est et non comme moyen de réaliser des objectifs qui sont ceux des politiques qui pensent en son nom. Nida’Tounes, venant d’autres horizons politiques est donc la réponse à mon désir exprimé.
Parti de gauche, parti de droite, parti tout court
Venant de la gauche, mouvement intellectuel peuplé de gens honnêtes et dévoués, la critique la plus fréquente et la plus saine (c’est pourquoi j’y réponds et oublie les accusations moralisantes du type arrivisme et course vers les sièges) est qu’en abandonnant nos organisations de gauche, nous (ce n’est pas un nous de majesté mais parce que j’y vais avec quelques amis), nous commettrions une trahison envers nôtre Histoire pluri-décennale (90 ans !) et envers des les couches populaires démunies. Rappelons à ces amis que l’Histoire, celle que nous faisons en essayant de faire de notre mieux y compris au profit des classes populaires n’est pas le passé et sa conservation, tâche utile qu’accomplissent les historiens et les musées, mais la somme des actions réelles accomplies par les hommes et les femmes pour résoudre les problèmes concrets qui se posent à eux. Quant aux classes populaires, j’ai le soupçon fondé sur une longue fréquentation que ce sont les intellectuels de gauche qui ont besoin du peuple et non le peuple qui a besoin des intellectuels de gauche. A part cela, les élections du 23 octobre ne sont pas lisibles selon le clivage Gauche-Droite selon la tradition européenne où la gauche a réussi à unifier les exigences de liberté et de justice sociale, puisque l’électeur de la Marsa vote PDM en pensant à sa liberté et celui d’Essijoumi vote Ennahdha en pensant à la justice sociale.
Alors donc un parti sans programme économique et social clair ? Un expert qui a lu les programmes des partis en concurrence pour les élections du 23 Octobre dernier en avait conclu qu’ils se ressemblaient tous et que l’un des mieux rédigés était celui d’Ennahdha et qu’il y avait unanimité pour une « économie sociale de marché» avec variantes, bien sûr. L’important dans les programmes et il en faut, c’est de démontrer qu’ils sont praticables et d’avoir le courage de les réaliser surtout quand on est au gouvernement. Au fait, pour faire la synthèse des politiques économiques et sociales pratiquées en Tunisie et qui font le ciment de l’élite tunisienne (pouvoir et opposition critique) c’est l’orientation à gauche qui domine naturellement et cela est dû en partie à la gauche politique mais surtout à une organisation dont le poids social et politique est sans équivalent dans les pays arabes, l’UGTT. Il n’ y a donc pas besoin d’un parti classé à gauche dans le contexte politique tunisien. Quant aux autres sources de la Gauche, citons le réformisme Destourien, car c’est Bourguiba et son ministre Mahmoud Messâadi, qui ont réalisé la généralisation de l’Enseignement et bâti les écoles et les lycées dans toute la République.
Dans le moment crucial que vit nôtre pays au début d’une révolution authentiquement démocratique (la Révolution n’est pas une solution mais un ensemble de questions qui se posent à nouveau à une nation) chacun est confronté à lui-même, à vérifier, à réviser ou confirmer ses choix personnels dans le cadre des propositions collectives offertes, car « être libre, c’est choisir » (Jean-Paul Sartre).
Tarek Chaabouni