Ouverture de la Tunisie sur son milieu africain : plus qu'un projet, une urgence
La région située autour de Carthage était nommée par les Romains "Africa". Lorsque les Arabes sont venus, ils ont arabisé ce mot qui deviendra "Ifrikia". C’est ainsi que la Tunisie a donné son nom à l’Afrique.
Néanmoins, la Tunisie demeure un pays peu intégré dans son continent comme en témoigne le faible volume des échanges entre notre pays et l’Afrique subsaharienne ; des échanges le plus souvent tributaires d’initiatives individuelles dispersées dans le temps et dans l’espace.
Pourtant, la Tunisie a tout pour devenir la locomotive de la croissance et du développement de l’Afrique, ne serait- ce qu'en raison du dynamisme de ses entreprises exportatrices, la richesse de sa culture et de son Histoire et sa place stratégique au Nord de l’Afrique faisant d’elle la portière de l’Afrique vers l’Europe.
La Tunisie doit prendre conscience des vertus de l’intégration africaine, elle doit impérativement rattraper son retard en entamant une réflexion stratégique sur les moyens à entreprendre pour mettre en place des relations durables et solides avec ses voisins africains.
La stratégie Afrique est une nécessité et une urgence pour que la Tunisie puisse placer ses pions sur l’échiquier africain, comme le font actuellement les BRICs (Chine, Inde, Russie, etc.). En effet, selon la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement, si les États-Unis étaient en 2008 le principal partenaire commercial du continent noir, avec 15% du total, la Chine était en deuxième position (10,6%), devant la France (8,3%). L’Inde s’est hissée au 8e rang (3,5%), après l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et la Grande-Bretagne. Elle est suivie des Pays-Bas et du Japon, devant le Brésil (11e rang, 2,6%) et l’Arabie saoudite (2,4%).
A titre de contribution au débat, nous suggérons les propositions suivantes qui essayeront de contribuer à rehausser le niveau actuel des relations bilatérales et de permettre à notre pays de retrouver sa position économique légitime sur le continent africain dans une coopération solidaire « je gagne, tu gagnes » :
A. Politique
• Déployer tous les efforts politiques pour pérenniser l’implantation de la BAD en Tunisie
• Ouvrir des représentations diplomatiques dans tous les pays africains, qui soient dotées de cellules économiques visant impulser les échanges économiques et culturels
• Renforcer les liens de coopération entre les corporations, les ordres professionnels, les chambres de commerce et de l’industrie, les organisations syndicales et patronales… en Tunisie et leur équivalent en Afrique
B. Institutions et administrations publiques
Mettre en place une structure permanente au niveau de la CEPEX destinée à :
• Concevoir une base de données économiques détaillées et actualisées sur tous les pays africains (législation, avantages fiscaux et financiers, commerce extérieur, système douanier, coordonnées des administrations publiques, etc.)
• Mettre à la disposition des PME tous les outils administratifs et logistiques facilitant l’accès des investisseurs tunisiens aux marchés africains
• Identifier les fonds d’aides internationaux pour financer des projets d’infrastructure en Afrique en vue de les canaliser et d’en confier la maîtrise d’œuvre à des entreprises tunisiennes (coopération triangulaire).
• Nouer les contacts avec les plus grandes entreprises partout dans le monde (y compris dans les pays émergents) visant à transformer la Tunisie en une plateforme à partir de laquelle les multinationales définiront leur stratégie de développement en Afrique
• Elaborer une étude sur les normes et les certifications utilisées par les pays africains (importations de produits, remboursements des prestations médicales, etc.) afin de faciliter l’accès des exportateurs africains aux marchés desdits pays et afin de prévenir les handicaps administratifs pouvant entraver l’exportation des produits nationaux
• Mener des études benchmarking visant à expliquer le succès des pays ayant réussi à développer leurs échanges économiques avec l’Afrique (Chine, Maroc, Liban, etc.)
C. Transport et communication
• Mise en place de lignes maritimes et aériennes directes et régulières vers les principales capitales africaines
• Déployer tous les moyens pour faire connaître la Tunisie en Afrique (émissions télévisées, spots publicitaires, manifestations culturelles, etc.)
D. Enseignement supérieur et formation professionnelle
• Autoriser les universités privées à dispenser des cursus universitaires spécialement conçus pour les étudiants africains (en fonction des spécificités du marché de l’emploi en Afrique)
• Créer des cités et des campus universitaires dédiés aux étudiants africains
• Encourager les programmes de partenariat entre les universités tunisiennes et africaines
• Octroyer des bourses d’études aux étudiants africains brillants
• Faciliter l’accès des étudiants brillants au marché du travail tunisien
• Créer un « guichet unique » dédié aux étudiants africains facilitant leur venue et leur intégration en Tunisie, leur inscription dans les universités, leur accès au logement universitaire, etc.
E. Santé
• Développer les actions humanitaires destinées aux pays africains et encourager les associations philanthropiques tunisiennes à engager des œuvres sociales dans les pays pauvres (ex. Rotary Club, Lions Club, etc.)
• Recevoir les étudiants africains brillants dans les facultés de médecine
• Faciliter toute forme de partenariat entre cliniques privées tunisiennes et autres institutions de santé africaines privées ou publiques
• Assouplir davantage le régime des cliniques « off shore » en facilitant leur création et en supprimant tous les obstacles administratifs et juridiques qui entravent leur développement
F. Banques et finances
• Assouplir la législation de change dans le but de faciliter l’implantation des entreprises tunisiennes en Afrique (Banques, télécoms, cliniques privées, industriels, universités, experts, consultants, etc.).
• Encourager les opérations de fusion et d’acquisition permettant aux banques tunisiennes de s’internationaliser
• Imaginer des mécanismes de financement et de garantie du commerce extérieur ainsi que des lignes de crédit dédiés aux pays africains et visant à faciliter le financement des exportations vers l’Afrique.
G. Fiscalité
• Généraliser les conventions de non double impositions avec les pays africains.
• Créer un dégrèvement fiscal pour les entreprises industrielles et de services qui s’implantent en Afrique et assouplir l’actuelle condition de commercialisation exclusive des produits tunisiens exigée pour le bénéfice du dégrèvement fiscal au titre de l’achat ou de la création des sociétés de distribution à l’étranger
• Assouplir le régime fiscal actuel des groupements d’intérêts économiques en leur permettant d’opter pour l’impôt sur les sociétés et en supprimant les retenues à la source entre ces groupements d’intérêts économiques et ses membres et associés
H. Culture
• Multiplier l’organisation de manifestations culturelles interafricaines pour rapprocher davantage les peuples afin de développer les relations socio-économiques et faciliter les contacts pour créer les échanges économiques.
• Encourager les jeunes à découvrir le continent et à s’installer dans les pays africains (voyages d’études, échanges entre maisons de jeunes, etc.)
Conclusion
En guise de conclusion, une redéfinition du positionnement économique de notre pays sur l’Afrique revêt une importance cruciale. L’Afrique peut être une solution au déficit structurel de notre balance commerciale, aux problèmes économiques que connaît le marché de l’Europe, à l’intensification de la concurrence sur les marchés d’exportation traditionnels, à l’exigüité de notre marché de services et pourquoi pas au problème du chômage dans sa globalité.
La coopération culturelle, économique et commerciale bilatérale doit devenir un levier important de la stratégie de la Tunisie à l’égard de l’Afrique subsaharienne.
Aussi, l’accompagnement des entreprises nationales sur les plans administratif, institutionnel, informationnel, financier et logistique doit être au cœur des préoccupations des pouvoirs publics.
Une diplomatie « économique » doit être imaginée. Elle visera à nouer avec les pays africains, non seulement des liens d’amitié, mais également des liens de coopération concrètes. Des accords de coopération avec les pays africains doivent être signés et les efforts d’investissement du secteur privés en Afrique doivent être encouragés. L’exemple du Maroc est à ce sujet très révélateur : La part de l’Afrique dans les exportations marocaines est passée de 5,3% en 2008 à 8% en 2010 avec un objectif de 20% d’ici 2018. En 2009, les investissements marocains en Afrique Subsaharienne ont dépassé 360 millions de dollars ; soit environ 60% des investissements directs étrangers (IDE) du Maroc, contre 270 millions dollars en 2008.
La Tunisie devrait profiter de son emplacement géographique stratégique. A cet effet elle doit se doter des infrastructures modernes avec un système de signalisation répondant aux normes internationales pour faciliter la circulation et veiller aussi d’une façon régulière à leur entretien et maintenance, ceci permettra d’attirer davantage les investisseurs et les grandes multinationales pour faire de notre pays un carrefour d’échanges économiques entre le monde entier à l’instar de plusieurs pays de l Asie (Corée du sud, Hongkong, Singapour etc…)
Rejeb Elloumi