Qu'il est difficile de déloger Mustapha Kamel Nabli (Acte 1er)
Ca sera certainement fait, sauf grande surprise, mais, aux forceps ! L’Assemblée nationale constituante reprendra ce mercredi après-midi ses débats sur la décision du président de la République, approuvée par le chef du gouvernement, de démettre de ses fonctions le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mustapha Kamel Nabli. Commencés mardi dès 18H35, les débats se sont poursuivis jusqu’à peu avant minuit dans une cohue indescriptible, portant sur des vices de forme et sans même aborder le fond du sujet.
Au bout de multiples points d’ordre et demandes de suspension de séance, le président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar, persistant à donner la parole au représentant du gouvernement, Ridha Saidi, ministre chargé des Affaires économiques et sociales pour présenter l’exposé des motifs (lire le texte intégral en langue arabe), parviendra à ses fins vers 23h15 et acceptera d’inviter mercredi Mustapha Kamel Nabli à s’exprimer devant les élus, en plénière.
A l’exception des représentants d’Ennahdha et du CPR, une grande majorité des autres élus était montée au créneau pour contester de nombreux vices de forme relevés. D’abord, les délais. L’arrêté présidentiel est daté (au stylo à bille !) du 27 juin 2012. Selon les procédures en vigueur, l’ANC doit l’examiner sous 15 jours, délai qui a expiré le 12 juillet. Or, Ben Jaafar affirme sur l’honneur que ce document n’a été « enregistré au bureau d’Ordre de l’ANC que le 3 juillet 2012 », ce qui laisse le délai courir.
Deuxième grief, la non co-signature de l’arrêté par le chef du gouvernement ou, du moins l’absence de tout document officiel notifiant l’accord de ce dernier.
Troisième grief, l’arrêté stipule en article 2 qu’il sera publié au journal officiel, sans prendre la précaution de mentionner, après adoption par l’ANC.
Sans parler d’autres points formels relatifs à la grammaire, à l’orthographe, l’absence de cachet, etc. Les élus n'ont pas compris pourquoi l’exposé des motifs est introduit par le gouvernement et non par la présidence de la République.
Des élus ont relevé également que l’ordre du jour mentionnait à la fois la demande de faire démettre le gouverneur et celle de la désignation d’un nouveau gouverneur comme si la première demande est acquise et proposé le renvoi du texte à la présidence de la République pour révision, la constitution d’une commission pour vérifier les dates et l’invitation de Nabli pour audition publique.
Tout ce débat qui s’étalera sur plus de cinq heures, sur fond de vives contestations, sera interrompu plusieurs fois pour consultation, pour la prière d'el Moghreb, puis pour le dîner. A la reprise vers 21h30, il n’était pas plus apaisé. Ridha Saidi était fixé au banc depuis l’après-midi, attendant de prendre la parole. Elle lui sera donnée vers 22h15, mais il ne parviendra pas à la garder, coupé par les élus. Il finira par la reprendre, une heure après et dressera en quinze minutes un véritable réquisitoire devant motiver la décision de démission.
Tout en mentionnant à la fin de son intervention qu’il ne s’agit point d’une question personnelle à l’encontre du gouverneur Nabli, « que nous apprécions et respectons », Saidi axera son réquisitoire sur quatre grands griefs à savoir les relations avec l’exécutif, la gouvernance et la réforme de la BCT, le contrôle et la réforme du système bancaire et l’efficacité dans le recouvrement des avoirs à l’étranger du président déchu et de son clan. Il soulignera que les relations avec l’exécutif ont été marquées par une nette distanciation et grande tension, avec notamment une fixation exagérée sur l’indépendance de la BCT, ce qui n’a pas manqué d’avoir nombre de conséquences monétaires notamment telles que l’érosion du Dinar et des avoirs en devises.
Au sujet de la gouvernance, il a indiqué que le gouverneur a continué à s’appuyer en politique monétaire sur les mêmes structures internes, sans créer une commission issue du conseil d’administration et sans impliquer le conseil dans différentes décision opérationnelles et nominations. Aussi, aucun audit approfondi n’a été diligenté et aucune identification profonde de la situation générale n’a été conduite. La réforme bancaire n’a pas été engagée et aucune annonce n’a été faite ne serait-ce qu’à son démarrage.
Saidi a relevé une faiblesse dans la supervision bancaire et un manque de suivi rigoureux des dossiers de malversations, se contentant des déclarations des établissements de crédit et sans établissement des dossiers et des listes incriminés. Evoquant la récupération des avoirs à l’étranger, il a mis en doute « l’efficacité du cabinet d’avocats étranger choisi pour cette mission, contesté les modalités de sa désignation sans faire appel à concurrence », et donné des exemples de défaillances constatées, notamment pour ce qui est des avoirs retrouvés au Liban.
Le président Ben Jaafar a demandé qu’une copie de cet exposé de motifs soit remise à l’Assemblée pour distribution aux élus et s’est engagé à inviter Nabli pour audition ce mercredi après-midi dès 15H.