Malgré un brillant plaidoyer pro domo, l'ANC approuve la révocation de M.K Nabli
L'ANC a finalement approuvé mercredi soir la révocation de Mustapha Kamel Nabli par 110 voix contre 62 et 10 abstentions. Le plaidoyer pro domo du désormais ex gouverneur mercredi après-midi à l'ANC servira au moins de témoignage pour l’histoire. Démonter un à un les griefs portés à son encontre et mériter le respect d’une large partie de son auditoire, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mustapha Kamel Nabli y est parvenu en grande partie. Provoquer un vote massif en faveur de son maintien en poste, il savait d’avance que pareil objectif n’est pas réaliste. La sentence était déjà prononcée et le vote n'aura été, en raison du rapport de forces au Bardo, que de pure forme.
L’ANC ne pouvait lui offrir meilleure tribune que de l’inviter en audition pour s’exprimer publiquement. «En audition et non en procès public », comme le précisera son président, Mustapha Ben Jaafar. Nabli en fera plutôt «un témoignage», déposant sa version et prenant à témoin l’opinion publique. « La question est purement politique, préviendra-t-il et la décision était prise de longue date, pour mettre un grappin partisan sur le système financier et le contrôle des banques. Les griefs rassemblés à la hâte après coup et sans vérification, ont été conçus en alibi pour la justifier, mais ne sauraient être érigés en vérités ». Il enfoncera encore plus le clou en déclarant que «la manière dont cette décision a été prise et la procédure de sa mise en œuvre suffisent pour renseigner sur le style qu’on veut imposer et l’indépendance de la Banque Centrale qu’on veut mettre sous le boisseau ».
Le gouverneur rappellera que le processus de déstabilisation avait commencé dès le 19 janvier dernier avec une intrusion dans son cabinet et une agression contre sa personne restées sans la moindre condamnation de la part des trois présidences au pouvoir.
Pendant près de 30 minutes, seul sur le banc réservé à l’exécutif, en l’absence de tout représentant du gouvernement, il s’emploiera devant une salle très attentive à démonter méthodiquement , une à une chacune des accusations portées mardi soir par le gouvernement pour demander son débarquement.
Relations tendues avec le gouvernement : ce n'est pas le cas, avec une participation régulière aux conseils interministériels appropriés et des échanges continus. Ce qui semble poser problème, ce sont les communications mensuelles du conseil d’administration sur la conjoncture économique et la politique monétaire qui ne peuvent qu’être fidèles à la réalité pour préserver la crédibilité de l’institution et, partant, du pays… Il est clair que le gouvernement cherche à disposer d’une institution qui véhicule son propre discours promotionnel.
Abaissement de la notation souveraine : Il résulte notamment du manque de visibilité quant aux prochaines étapes politiques et de la non présentation à la mission de Standard & Poor's par les responsables rencontrés d’indicateurs suffisamment convaincants. En faire porter le chapeau à la BCT, c’est tenter de masquer la responsabilité du gouvernement.
Modernisation de la Banque centrale : Pour ce qui est de la gouvernance, la politique monétaire est conduite par le conseil d’administration. Une commission purement technique n’est en charge que de sa mise en œuvre. En outre, un comité ad-hoc a été créé par le conseil. Aussi, un projet global de réforme a été initié avec le concours de la Banque de France ainsi que celles de Suède et de Pologne. Quant à l’audit, un comité émanant du conseil d’administration a été mis en place. En outre, une évaluation approfondie de la BCT a été effectuée ce qui a permis de procéder à une restructuration interne et de nouvelles affectations.
Supervision et réforme du système bancaire : un programme de réforme structurelle a été lancé dès début 2011 comme en témoigne la circulaire de Mai 2011 sur les règles de gouvernance, la consolidation du rôle des conseils d’administration et les nouvelles règles de gestion des risques. Une action particulière a également été initiée pour le renforcement des fonds propres des trois banques publiques qui ont été soumises, par ailleurs, à un audit externe, en collaboration avec le ministère des Finances.
Pour ce qui est de l’inspection, le dispositif a été renforcé par l’ouverture d’un concours de recrutement de 23 cadres et l’élaboration d’un projet d’assistance technique pour les procédures de contrôle. Les missions sur le terrain ont été au nombre de 19 en 2011 et de 9 durant le premier semestre 2012.
Recouvrement des biens : le dossier n’est pas du ressort de la Banque centrale à elle seule, mais relève d’une commission interministérielle. Accuser cette commission d’inefficience et en faire porter la responsabilité au gouverneur conduirait en fait à démettre de leurs fonctions ses autres membres que sont les ministres des Finances, de la Justice, des Affaires étrangères et celui en charge de la gouvernance et de la lutte contre la corruption. A noter qu’aucune expérience probante en la matière n’a jusque-là permis d’aboutir en un an et demi. La plus rapide est celle du Ghana pour la restitution des avoirs d’Abacha, au bout de 4 ans pour les premières récupérations et se poursuivent à ce jour depuis 1999.
Efficacité du cabinet d’Avocat désigné : Son choix n’a pas été fait par le gouverneur, mais à l’unanimité des membres de la commission, après une consultation internationale qui a mis en compétition 8 cabinets internationaux, et un dépouillement des offres effectué en consultation avec une unité relevant de la BAD qui a offert le financement de l’action. Quant au contrat avec le cabinet d’avocats sélectionné, il a été établi par le directeur général du Contentieux de l’Etat.
Nabli continuera à fournir d’autres indicateurs « pour rétablir la vérité et éclairer l’opinion publique » avant de consacrer la dernière partie de son intervention au caractère purement politique de la demande de sa démission. « Si j’avais accepté dès le lendemain de la révolution, cette mission, c’était pour contribuer au redressement de la Banque centrale en la préservant des tiraillements politiques, et d’engager la réforme du système bancaire. Mettre fin à des fonctions n’est pas un problème en soi, ce qui compte le plus, c’est plutôt le respect des institutions, sans lequel on ne peut fonder un système démocratique sur des bases solides ».
Tout en réitérant sa fierté de l’œuvre accomplie à la tête de la BCT et rendant hommage à l’ensemble du personnel ainsi qu’aux membres du conseil d’administration, Mustapha Kamel Nabli conclura ses propos en s’adressant en ces termes aux élus : «Il appartient à l’ANC de préserver et renforcer les institutions de l’Etat et leurs crédibilité à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, et de les protéger contre les tentatives de soumission à des desseins personnels et des intérêts politiques étroits. Je suis persuadé que l’ANC mettra tout son poids pour préserver et soutenir la BCT, au-delà de toute considération personnelle ».
Son discours est accueilli par des applaudissements nourris dans les travées de nombreux groupes parlementaires ainsi que par les indépendants. Respectueux des institutions, Sahbi Atig, chef du groupe d’Ennahdha n’a pas manqué de l’applaudir lui aussi avec quelques rares élus de son parti, courtoisie oblige sans doute.
Place ensuite aux débats avec 66 orateurs inscrits, avant de passer au vote...
Lire le texte intégral de l’intervention de Mustapha Kamel Nabli