Scènes de vie ordinaires à l'ANC
C’est juré. Pour rien au monde, je ne raterai dorénavant la retransmission des débats de l’ANC. Rien ne m’en détournera, ni les matches de football, ni les émissions de variétés, ni même les grands évènements internationaux. C’est juré, je ne serai même pas regardant sur les sujets inscrits à l’ordre du jour. Et même si les débats sont soporifiques, Je prendrai mon mal en patience. L’expérience m’ayant montré qu’il ne fallait jamais désespérer de nos élus, j’attendrai la divine surprise, qu’un empêcheur de tourner en rond, et ils sont nombreux à l'ANC, prononce le mot ou la phrase fatidique qui mettrait «le feu aux poudres». Qui aurait imaginé qu’une séance comme celle du jeudi 18 juillet où tous les partis étaient pour une fois d’accord pour rejeter l'arrêté républicain relatif à la nomination de M. Chédli Ayari au poste de gouverneur de la BCT pour vice de forme, dégénérerait alors que M. Ben Jaafar, mal remis des émotions de la veille, croyait passer enfin un après-midi tranquille.
« République bananière ». Comme l’œuf de Colomb, il fallait y penser. Il aura suffi d’une seule phrase pour mettre l'hémicycle sens dessus dessous. A croire que les élus n’attendaient que ce signal pour entrer en transe. Les cris fusaient de partout. Le pauvre président avait beau appeler au calme, sa voix était à peine audible. En tout cas, personne n’y prêtait attention. L’élu persiste et signe : « oui, nous sommes dans une république bananière et Marzouki est le président d’une république bananière ». De toute évidence, beaucoup de ceux qui donnaient de la voix n’en avaient pas saisi la signification. Mais qu’importe. Dans la bouche d'un opposant, cela ne pouvait pas être un compliment. Et s'il insiste, c'est qu'il s'agit d'une accusation très grave. « Dégage », lui répondit un militant du CPR, scandalisé de voir l'honneur de son président bafoué de la sorte. Il se fit aussitôt rabrouer : «je ne suis pas chez toi ». Le «débat» ne volait pas très haut. Invité par le président de l'assemblée à répondre aux questions des élus, M. Chédli Ayari, assis au premier rang observait, interdit, le triste spectacle qui s'offrait à ses yeux. Apparemment, il s'attendait à tout sauf ça. Des objets volants non identifiés feront même leur apparition. Martelant le pupitre à plusieurs reprises, le président, d'abord dépassé par les évènements finira par suspendre la séance. Il était temps. On avait failli en venir aux mains.
La tension finira par tomber aussi vite qu’elle n'était montée. A leur retour dans l'hémicycle, les élus, tout penauds, faisaient profil bas. Le président du groupe démocrate auquel appartient celui par qui «le scandale est arrivé» se confondra en excuses «même si l'expression n'était pas si méchante que ça », précisera t-il. On opine sur les bancs de la troika. Certains dans les rangs d'Ennahdha applaudissent même. La séance est aussitôt levée. Rendez-vous est pris pour mardi 24 juillet pour l'audition du candidat à la succession de Mustapha Kamel Nabli.
Ainsi va la vie à l'ANC. Dire que les débats y sont devenus très animés est un doux euphémisme. On y tutoie souvent le pire sans pour autant y succomber. D'abord, choqués, les Tunisiens ont fini par en prendre leur parti. Tout compte fait, pourquoi s'en plaindre, tant que les élus savent jusqu'où ils peuvent aller trop loin. Désormais, de telles scènes feront l'ordinaire de la vie de notre assemblée. La démocratie a aussi ses petits défauts. Comme disait Churchill, elle n'est que «le pire des systèmes à l'exception de tous les autres».
Hèdi Béhi