Non à la régression
La femme est-elle l’égale ou la complémentaire de l’homme ? Une nouvelle controverse inutile déchaîne les passions à l’heure où les priorités de la Tunisie sont tout autres.
Parmi les controverses qui alimentent ces derniers temps l’actualité, il en est une qui touche à un domaine où la Tunisie était jusqu'à présent en avance dans le monde arabo-islamique, en l’occurrence celui du statut et de la femme. Le débat actuel a suscité des craintes légitimes de voir le principe de l’égalité homme-femme en droits et en devoirs, remis en cause, alors qu'il était jusque-là considéré comme un acquis, comme un progrès irréversible.
La menace est réelle, quoique encore diffuse, pour les acquis de trois générations de femmes. Et pour cause, puisque certaines voix conservatrices émanant de la majorité au pouvoir semblent faire du forcing, au niveau des commissions de rédaction de la Constitution, pour tenter d’obtenir l’abolition du principe de l’égalité homme-femme, au profit d’un concept dangereusement ambigü selon lequel la femme se trouverait réduite à la condition de simple complément de l’homme. Un statut inégalitaire défendu par les constituants représentant la composante islamiste de la troïka, y compris par la présidente de la commission ad-hoc appartenant au même parti, pour qui « il ne saurait y avoir d’égalité absolue entre l’homme de femme ». Elle y préfère le terme de complémentarité. Depuis, la controverse ne fait qu’enfler. Les critiques et mises en garde fusent de partout pour défendre l’intangibilité des acquis de la femme tels que consacrés par le Code du statut personnel.
Pourtant, la manœuvre avait commencé en catimini, mine de rien, par un simple glissement sémantique. Alors que l’égalité entre les genres, prenant parfois la forme de parité, semblait ne jamais devoir être remis en cause. La femme se voyait à jamais l’égale de l’homme. Mais voilà. « On » la dit, « on » la veut « complémentaire de l’homme».
L’enjeu est considérable. Si le projet en gestation aboutissait malgré l’opposition des forces vives qui y mettent le hola, il constituerait un recul du statut des femmes, une régression de la société tunisienne et surtout une grave entorse au Code du statut personnel.
En Tunisie, la femme dont d’aucuns contestent aujourd’hui le statut a toujours joué un rôle de tout premier plan. De nos jours, elle est majoritaire dans pas mal de professions considérées autrefois comme l’apanage de l’homme. Il en va ainsi de professions comme celles de journaliste, d’enseignant, y compris à l’université, de médecin, de magistrat, d’avocat, de pilote de ligne,... La proportion d’étudiantes est nettement supérieur à celui des étudiants et les résultats des diplômes nationaux, à tous les niveaux de l’enseignement, sont régulièrement à l’avantage des filles. La belle performance de l’athlète Habiba Ghribi qui vient de remporter une médaille d’argent aux JO de Londres est fortement emblématique du mérite de la femme tunisienne.
Si la nouvelle approche à contre-courant de la dynamique de l’histoire venait à être retenue, la grande régression qui s’ensuivre au niveau du progrès social jetterait une ombre sur les travaux de l’Assemblée nationale constituante. Laquelle renierait ainsi les valeurs de la Révolution faite et nourrie des sacrifices des Tunisiens autant que des Tunisiennes. Toutes générations et toutes régions confondues, elles sont et resteront, comme naguère leurs grand-mères, à la pointe du combat.
S’il se réalise, le recul annoncé donnerait un coup d’arrêt aux acquis socio-économiques de la Tunisie. Et pas seulement ceux des femmes. Car l’égalité s’entend en termes de responsabilité, de droits, de devoirs, de citoyenneté et de capacité à consentir les sacrifices au service de la collectivité.
Que deviendraient le développement, l’épargne, l’investissement et l’éducation dans la Tunisie de demain si les femmes s’impliquent moins pour cause d’égalité bafouée? De régression en transgression, les descendantes d’Elyssa , de la Kahena et d’Aziza Othmana se sentiraient trahies dans leur idéal égalitaire défendu par de grands réformateurs que furent Tahar Haddad et Bourguiba ?
L’apostrophe « Paroles, paroles » de la chanson du même nom s’appliquerait-elle aux belles promesses électorales faires par Ennahdha, parti ayant la majorité relative à l’ANC, qui avait assuré n’avoir nulle intention de toucher au Code du statut personnel et aux droits de la femme ? Les jours à venir nous le diront.
Selma Elloumi Rekik
Membre du comite de NIDAA TOUNES