Opinions - 14.08.2012

Qu'il est instructif de lire les œuvres de M. Rached Ghannouchi !

Lundi, les femmes de notre pays ont célébré avec éclat, volonté et détermination le 13 août, tant en Tunisie qu’ici, à Paris, où était prévu un rassemblement à la Fontaine des Innocents.  Les Tunisiennes et les Tunisiens  fêtent le CSP- cette brillante vigie de la modernité et de la spécificité tunisienne. Tous défendent le CSP et rejettent cette jésuitique  « complémentarité » qui se faufile, tel un serpent venimeux,  dans les articles 22 et 28. Tous s’élèvent contre ces partis religieux fraîchement autorisés qui menacent la République,  le CSP et le double langage qui fleurit chez certains de nos  politiciens. A l’instar du grand écrivain Anatole France, ils disent : « Ce qui fait le monde, c’est la femme. Elle y est souveraine ; rien ne s’y fait que par elle et pour elle. »

Dans son livre « La femme dans le Coran et le vécu des musulmans »,M. Rached Ghannouchi (Que Dieu soit satisfait de lui)  livre,   p.70 à 72, le fin fond de la pensée de nos islamistes à leur début, au sujet de la femme. Le lecteur a sous les yeux – qu’il faut se frotter tant cette prose déconcerte- un texte proprement surréaliste,et pourtant publié en 2011 après J.C.sous la signature du maître à penser d’Ennahda. Le texte, qui attribue au bourguibisme tous les défauts et notamment le dévergondage et les mœurs dissolues, affirme que pour redresser la barre et sauver le pays du stupre, le courant islamiste « s’oppose avec force au travail féminin hors du foyer et à la mixité dans les établissements d’éducation ». Pour faire bonne mesure, il prône la polygamie –« un devoir religieux  et non un remède exceptionnel » tient-il à souligner. L’auteur incite les femmes « à refuser toute relation avec les hommes hormis ceux avec lesquels elle a un lien de parenté ou son époux » Plus étonnant encore- cerise sur le gâteau si on peut dire- « il encourage les femmes à se satisfaire du minimum d’éducation ». Donc à  laisser des talents en friche !

Théologiens et adeptes des  discussions byzantines se voient ainsi offrir  un vaste champ de discussions, d’arguties et de répliques dignes du Molière des « Femmes savantes » ou de « Tartuffe »car le texte évoque,  pêle-mêle,  la position des religieux, s’agissant de la femme, surles habits-amples ou serrés- la question du maquillage, du parfum, de l’épilation ou celle de serrer la main à un étranger ou de montrer ses talons pour une femme.  Par-dessus tout, il semble qu’il faille toujours restreindre au maximum les relations entre la femme et l’homme « même si ce dernier est un ancien condisciple, fut-il musulman, que l’on voit « en public » et avec lequel « il ne faut parler que sérieusement, toute plaisanterie étant bannie. » Comme on le voit, dans les questions soulevées, seul manque à l’appel le sexe des anges ! Pourtant, le 31 juillet 2012, dans un journal local, M. Rached Ghannouchi, la main sur le cœur clamait : «  Il n’appartient pas à l’Etat d’imposer un mode particulier de se vêtir, de se nourrir, de consommer des boissons ou de suivre des coutumes. »

Quand donc faut-il croire ces gens ?

Pour ma part, je voudrais respectueusement prouver, à travers un cas emblématique, combien le  mouvement islamiste se met le doigt dans l’œil quand il pousse la gent féminine « à se contenter du minimum d’éducation » et quelles lourdes responsabilités historiques il endosse en privant sciemment la Nation de la moitié des cerveaux et de l’intelligence de  ses enfants.

Je voudrais évoquer le cas de Marie Curie…sans pour autant oublier les hauts faits d’armes des femmes de mon pays telles, à titre d’exemples non limitatifs, MongiaAmira, HabibaGhribi, KhaoulaRechidi ou  ces admirables femmes de Mahdia qui, lors de la lutte pour l’indépendance, n’ont pas hésité à offrir leurs bijoux et leurs kolkhal- toute leur fortune en somme- pour financer le combat contre le colonisateur…Pour ne rien dire d’Aziza Othmana et de Tawhida Ben Cheikh, première femme médecin « contre l’avis des autorités religieuses qui avaient effectué une démarche auprès d’elle »  pour la dissuader d’entreprendre des études médicales (Ahmed Kassab,  Ahmed Ounaïes et al ; Histoire générale de la Tunisie, tome IV, p.408, Sud Editions, Tunis, 2010).

Marie Curie, d’origine polonaise, arrivée à Paris pour étudier les sciences,  a découvert le radium en 1909, après un travail acharné de sept ans. Elle a ainsi révolutionné la science. Sa découverte a permis de sauver des millions de vie humaines au moyen de la « curiethérapie » qui permet d’irradier une tumeur cancéreuse au moyen d’aiguilles radioactives (le terme de « radioactivité »a été introduit dans le langage par cette chimiste) d’iridium ou d’iode comme dans le cas de la curiethérapie interstitielle pour juguler un cancer de la prostate par exemple. Mais la méthode est applicable dans bien d’autres tissus cancéreux (trachée, col de l’utérus…). L’Institut du Radium que cette femme a fondé dans le Quartier Latin à Paris continue à mener de front études fondamentales et applications au vivant. Elle a été la première femme à occuper une chaire à la Sorbonne, l’Université de Paris.

Elle obtiendra - fait exceptionnel et unique-  deux Prix Nobel dans deux disciplines scientifiques distinctes : Prix de physique en 1903 (partagé avec son mari Pierre Curie et le physicien Henri Becquerel) et Prix de chimie en 1911 pour sa découverte de deux éléments nouveaux : radium et polonium. A ce jour, elle est la seule femme à avoir reçu deux Prix Nobel. De plus, cette femme transmettra à sa fille,  Irène,  la soif du Savoir et celle-ci décrochera aussi un Prix Nobel de chimie en 1935 pour sa découverte de la radioactivité artificielle. Elle sera  même membre du gouvernement de gauche  du Front Populaire en 1936, ce Front qui a tant fait pour l’éducation des filles et a permis à la France un remarquable essor.

On voit ainsi ce que peut faire une  femme quand on ne l’encourage pas« à se contenter du minimum d’éducation » ! A ceux qui parlent de « complémentarité » et professent de telles idées rétrogrades sur les femmes, André Malraux dit : « Vous savez beaucoup de choses, cher, mais peut-être mourrez- vous sans vous être aperçu qu’une femme est aussi un être humain. »

Enfin, à  l’heure où  notre pays fête la femme et ses acquis, comment oublier  que le soldat sioniste qui a tué deux Palestiniennes qui arboraient pourtant un drapeau blanc sera « puni » enfin pour ce  crime odieux : la « justice » militaire de l’occupant israélien lui infligera une peine de  45 jours de prison ?Oui, vous avez bien lu : 45 jours  de prison pour l’assassinat de deux Palestiniennes.

Que dire ?

Il suffit d’évoquer un baume sur la blessure de nos cœurs meurtris. Ce baume, c’est un poème : « Un amoureux de la Palestine » de  Mahmoud Darwish :
« J’écrirai une phrase plus précieuse que les martyrs et les baisers :
Palestinienne elle fut et elle demeure…
Tu seras fidèle comme le blé
Tant que nos chansons
Resteront comme levain lorsque nous les sèmerons
Et toi, comme un palmier obsédant
La tempête et le bûcheron n’ont pas pu l’assujettir
Les fauves du désert et de la forêt
N’ont pu couper  ses tresses. »
A l’égale de l’homme, la femme- Tunisienne,  Palestinienne ou Guatémaltèque- travaille, découvre, élève,  instruit, combat et meurt pour son idéal. Egale et non « complémentaire » !

M.L.B

PS. : Comme un ou deux commentaires mettent en doute ce que j'ai écrit s'agissant du livre de Ghannouchi, il convient de préciser que j'ai pris mes renseignements dans Le Maghreb (en arabe) du dimanche 12/08/2012, page 5.