Contraintes et choix budgétaires
Avec des recettes fiscales tournant autour de 20% du PIB et des dépenses publiques en croissance rapide, le déficit budgétaire (hors dons et produits de privatisation) en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) a été multiplié par un facteur de 3,4 en 2011 par rapport à 2010 et serait multiplié par un facteur de 2,2 en 2012 par rapport à 2011.
C’est dire le peu de marge de manœuvre laissé aux décideurs quant aux budgets de 2013 et 2014. C’est dire aussi la nécessité de comprimer le train de vie de l’Etat et les subventions et transferts, au profit de l’investissement public. Celui-ci demeure le levier principal de la croissance économique et de l’affectation de ressources nouvelles aux régions jusqu’ici marginalisées. C’est l’investissement public qui encouragera l’investissement privé par ses effets multiplicateurs.
Les contraintes sont donc de plusieurs ordres et nécessitent des choix budgétaires difficiles. La première contrainte est celle des recettes publiques. Elles sont faibles pour de nombreuses raisons dont la fraude fiscale. Il faudrait en citer essentiellement deux. D’abord, l’abattement douanier sur les produits industriels de l’Union européenne dans le cadre des accords conclus avec cet ensemble. La Tunisie applique des taux zéro sur les importations industrielles de l’UE qui est notre partenaire commercial le plus important (accaparant 80% des échanges commerciaux). Ce qui explique que la douane tunisienne ne contribue aux caisses du Trésor que 0.9% du PIB. Les importations de voitures et d’autres objets de consommation sont faiblement taxées. Il est nécessaire, tout en respectant nos accords avec l’UE, de taxer par des droits supplémentaires de consommation ces produits non essentiels.
La deuxième source de faiblesse des recettes est due aux exonérations d’impôt et de droits de douane données, à tort et à travers et sans contrôle a posteriori, à des investissements de faible valeur ajoutée pour des durées longues, allant jusqu’à 20 ans. La révision du Code des investissements est en cours. Il faut espérer que l’on saura d’abord rendre le droit commun de l’investissement aussi libéral que possible en réduisant notamment l’impôt sur les sociétés (IS), échelonner les avantages selon la localisation et la valeur ajoutée de l’investissement et surtout monter une unité au sein du Ministère des Finances pour superviser l’application de ces avantages. Il s’agit de dépenses fiscales qui doivent être suivies de près dans leur déroulement. Il serait utile, d’une manière générale, d’opérer une réforme fiscale qui élargit l’assiette et réduit les taux excessifs d’imposition.
La seconde contrainte est la nécessité de comprimer les dépenses courantes. Celles-ci sont passées de 11,3 milliards de dinars en 2010 à 13,8 milliards en 2011 soit une augmentation de 22% et sont appelées à encore augmenter à 16,2 milliards en 2012 soit 17%. En deux ans, cela fait plus de 43% d’accroissement. Ce qui est considérable. Deux postes croissent rapidement : les salaires de la fonction publique et les transferts et subventions. Les salaires passeraient de 6,8 milliards de dinars en 2010 à 8,6 milliards en 2012 soit presque 2 points de pourcentage du PIB. Pour freiner cette croissance ultrarapide, il est nécessaire de stabiliser les effectifs de la fonction publique. Les emplois sont à créer dans le secteur le plus apte à le faire, le secteur privé.
Le deuxième poste qui menace la stabilisation budgétaire est celui des transferts et subventions. Les dépenses au titre de ce poste ont augmenté de 2,3 milliards de dinars en 2010 à 3,9 milliards en 2011 soit 70% et passeraient à 4,5 milliards en 2012 soit encore 15,4%. En deux ans, elles auraient presque doublé se situant à 6-7% du PIB, ce qui est énorme. Sous ce titre, les dépenses de la Caisse générale de compensation sont passées de 730 millions de dinars en 2010 à 1,1 milliard en 2011 et se situeraient à 1,2 milliard en 2012, à presque 2% du PIB.
La flambée récente des prix des céréales, due à la sécheresse aux Etats-Unis et en Russie, va encore aggraver ces subventions dans les mois à venir. Les subventions au titre des produits énergétiques s’ajoutent à ces dépenses. Elles auraient triplé, augmentant de 550 millions de dinars en 2010 à 1,7 milliard en 2012. Les subventions des carburants sont un non-sens économique pour un pays importateur net de produits énergétiques. Il est urgent de réviser une telle politique de gaspillage des deniers publics. Que celui qui achète une voiture (importée au prix de devises étrangères) doive s’attendre à débourser de sa poche les dépenses de carburant qui en découlent.
Les autres catégories de transferts augmentent également. A ce sujet, il serait bon de s’inspirer de la Bolsa Familia qui a connu un grand succès au Brésil, en réduisant drastiquement la pauvreté. Les transferts sont faits aux familles non sans condition mais avec l’engagement des familles d’assurer l’éducation et la santé des enfants.
Si l’on ne maîtrise pas suffisamment les dépenses courantes, l’Etat sera obligé soit de réduire les investissements publics au moment où les régions les plus pauvres en ont le plus besoin ou d’augmenter rapidement sa dette. Ce ne sont pas là des choix de la Tunisie nouvelle.
Maîtrisons la consommation pour mieux assurer l’avenir de notre pays et des générations montantes. Un pays comme la Chine investit 49% de son PIB tous les ans. Sans aller jusque-là, essayons d’augmenter le taux d’investissement à 30-35% du PIB pour créer davantage d’emplois.
Dr Moncef Guen
Ancien haut fonctionnaire du FMI