Il y a 59 ans, Hédi Chaker tombait en martyr
Il y a 59 ans, dans la nuit du 12 au 13 septembre 1953, le grand militant nationaliste, Hédi Chaker était lâchement assassiné à Nabeul, ville où les autorités coloniales l’assignaient à résidence. Il n’avait que 45 ans.
Né à Sfax dans une famille de notables d'ascendance turque, Hédi Chaker fait des études de commerce à Tunis et intègre aussitôt le commerce de son père. Proche du Mouvement des Jeunes Tunisiens et révolté par l’arbitraire de l’occupant, il ne tarde pas à s’engager dans le combat politique aux côtés des nationalistes destouriens. Il en devient vite une des figures les plus respectées et les plus influentes. Son charisme naturel et ses talents de tribun l’y aident beaucoup au point de devenir la figure emblématique, par-delà Sfax et le Sud, de toute la Tunisie. Un exemple de bravoure, d’attachement aux valeurs, de patriotisme et de générosité qui expliquent sans doute pourquoi son souvenir soit resté si longtemps vivace dans la mémoire collective des Tunisiens et dans l’histoire contemporaine de la Tunisie.
Réduit à la condition de simple ouvrier, puis de métayer
Son implication active dans l’action militante va lui valoir l’emprisonnement, la réclusion et la déportation en Tunisie, en France et dans le Sud algérien, sans que soit jamais entamée sa détermination. Loin des siens, il apprendra coup sur coup, en l’espace de deux semaines la mort de sa mère et de son épouse, en juin 1940. La première lui laisse dix10 jeunes frères et sœurs à prendre en charge, et la seconde 4 enfants en bas âge. Il était alors incarcéré au Fort Saint-Nicolas de sinistre réputation, près de Marseille où lui parvenaient les grondements de la guerre. Chaque jour, il ne quitte le pénitencier que pour aller travailler à Trets, non loin de Marseille, comme ouvrier du bâtiment. Malgré une rémunération dérisoire qu’il partageait avec sa famille au pays, il parvient à épargner de quoi louer une petite parcelle agricole. Il la nourrit de sa sueur, deux années et demie durant, pour assurer la subsistance des siens.
Le jour même de son retour à Sfax, le 9 avril 1943, alors que les combats faisaient rage entre les troupes de l’Africakorps en pleine retraite et les forces des Alliés débarquées en Tunisie et qui avaient rétabli le Protectorat français, il est de nouveau arrêté et aussitôt déporté dans le Sahara algérien. Le cycle infernal des dures épreuves reprenait de plus belle et se poursuivra jusqu’à l’assassinat de Hédi Chaker. Il est chargé à de nombreuses reprises de diriger le Bureau Politique du Néo-Destour, faire les arbitrages pour régler les différends internes et entreprendre des médiations entre partisans de Bourguiba et de Ben Youssef. Le choix s’était porté sur lui en raison de son autorité morale et de sa grande respectabilité. Il se lie rapidement d’amitié avec le leader syndicaliste Farhat Hached, lui aussi figure emblématique du Mouvement national… et comme lui future cible des tueurs. Hached est assassiné le 5 décembre 1952 par un commando de l’organisation terroriste « La Main rouge ». Moins d’un an plus tard, Hédi Chaker est assassiné d’une manière barbare, le 13 septembre 1953. Son assassinat suscita une immense émotion dans le pays.
Cet homme doit mourir
Dans son roman historique «Cet Homme doit mourir», Taoufik Abdelmoula restitue avec réalisme l’été 1953, décrivant l’effervescence militante dans la ville de Sfax et donnant force détails de la condamnation à mort, par le Néo Destour, d’un traître parti à Paris présenter illégitimement une allégeance tunisienne. D’où les représailles terroristes subies par Hédi Chaker.
Circonstances de l’assassinat de Hédi Chaker
Dans la nuit du 12 au 13 septembre, deux tractions avant Citroën quittent Qsar Errih, une petite localité située à 45 Km au nord de Sfax. Destination : Nabeul, distante de 200 Km. A leur bord, des membres de la famille Belgaroui connue pour ses accointances avec les autorités coloniales. L'air déterminé, ils s'apprêtent, apparemment, à exécuter une mission. Au niveau de Bouthadi, ils sont rejoints par deux voitures de la gendarmerie qui les escorteront pendant tout le trajet, le couvre-feu étant en vigueur la nuit depuis janvier 1952. Arrivé à une heure tardive à Nabeul, le cortège traverse les rues désertes de la ville avant de s'arrêter devant un petit immeuble où habitait depuis son assignation à résidence, une figure marquante du Mouvement national, Hédi Chaker.
Il occupait l'étage supérieur en compagnie de sa femme, Néfissa et deux de leurs enfants. Il venait de prendre congé d'un groupe de militants, comme ceux qu'il avait l'habitude de recevoir depuis son arrivée à Nabeul et s'apprêtait à se coucher quand sa fille entend des bruits suspects au rez-de-chaussée et s'en ouvre à son père. Ce dernier n'y prête pas attention. Mais les bruits gagnent en intensité. Hédi Chaker ouvre la fenêtre qui donne sur la rue d'où provenaient ces bruits et aperçoit dans la pénombre, des silhouettes: "qui êtes-vous ?" demande t-il. Une voix lui répond: "Nous représentons les autorités et demandons à vous voir". Surpris, le grand militant refuse, mais promet de contacter les autorités le lendemain." Il n'a pas terminé sa phrase que les balles commencent à crépiter. Il est 2h 35 mn.
Edifié sur les intentions de ses visiteurs, ce militant contacte la gendarmerie, puis la police. On le rassure: "Nous arrivons immédiatement". En fait, ils étaient de mêche avec les assaillants. Alors qu'il téléphonait, ces derniers forcent la porte d'entrée avec des explosifs aidés en cela par des éléments de la gendarmerie, comme l'avouera plus tard devant la haute Cour, un de ses assassins. Aussitôt , trois assaillants montent au premier étage, s'emparent sans ménagement de Si Hédi avant de le jeter dans l'une des voitures vers une destination inconnue sous les yeux de sa femme et ses enfants.
La police arrive 20 mn après le coup de téléphone de Hédi Chaker, le temps pour les assaillants d'accomplir leur forfait. Comble de sadisme, ces derniers paradent dans la banlieue de la ville avant de se diriger vers un endroit isolé sur la route reliant Nabeul à Tunis où leur victime sera tuée par balle. Deux membres de la famille Belgaroui et deux gendarmes ont pris part directement au meurtre. Son corps sera découvert au petit matin, criblé de balles avec un écriteau portant l'inscription suivante : "tout meurtre ou acte de sabotage commis par le parti destourien dans quelque localité que ce soit, sera suivi par l'exécution de trois membres de la cellule destourienne de cette localité. Rien, ni personne ne peut empêcher cette vengeance".
Moins d'un an après le grand syndicaliste, Ferhat Hached, une grande figure du Mouvement national tombe sous les balles des colonialistes et de leurs agents stipendiés. Ses assassins, à l'exception des complices français qui avaient quitté le territoire national avant l'indépendance, appartenaient au clan Belgaroui et seront arrêtés trois ans plus tard et traduits devant la Haute Cour de justice. Deux d'entre eux, Abdelkader et Mohamed Chédli seront condamnés à mort par pendaison , les autres inculpés, au nombre de 19, écoperont des peines allant des travaux forcés à perpétuité à deux ans de prison.