Les enfants de Ghannouchi ne sont pas Tunisiens
Ce qui s’est passé vendredi dernier est d’une gravité extrême. Le territoire de l’ambassade des États-Unis, sous juridiction américaine selon le droit international, a été envahi, son immunité violée, son matériel pillé,son personnel menacé et pourchassé. Ses locaux ainsi que le parc automobile ont été incendiés. L’école américaine, adjacente aux bâtiments de l’ambassade, a été brûlée, et mise à sac. Que ce serait-il passé si des enfants s’y étaient trouvés ? Je n’ose l’imaginer. Et comme si cela ne suffisait pas, la bannière noiredu salafisme a été hissée en lieu et place du drapeau américain. Mais ce n’est pas tout : pour la première fois depuis la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite, le sang tunisien a coulé, cinq morts et des dizaines de blessés, graves ou légers, sont à déplorer, tant parmi les assaillants salafistes qu’au sein des forces de l’ordre. Autrement dit, nous avons assisté au plus grand fiasco diplomatique et sécuritaire de la Tunisie depuis l’indépendance en 1956. Dans d’autres circonstances, la destruction d’une ambassade étrangère peut être considérée comme une véritable déclaration de guerre. Et quand le pays auquel on déclare la guerre se nomme États-Unis, il faut s’attendre aux conséquences les plus diverses, et pas forcément les plus agréables. Il y a peu de chances cependant que les États-Unis nous envahissent ou nous bombardent, mais maintenant, cela ne dépend que d’eux, et plus de nous. Quelle situation humiliante ! Quelle gifle à tous ceux qui se sont battus pour que la Tunisie soit indépendante et souveraine ! Avec quelles difficultés nos pères y sont parvenus, et avec quelle facilité les "les enfants" de Ghannouchi sont en train de la détruire ! Car bien sûr, ce ne sont pas les enfants de la Tunisie qui se sont conduits en agresseurs violents, incultes et haineux ; ce sont seulement "les enfants" de Ghannouchi, portraits fidèles de leurs pèresspirituels au même âge du temps du MTI.
Trois jours plus tard, lundi dernier et à la stupéfaction générale, le prêche du salafistejihadiste Abou Ayoub à la mosquée d’Al Fath, et sa fuite au nez et à la barbe des forces de l’ordre venues l’arrêter, ont, encore une fois, révélé au grand jour l’impuissance du pouvoir actuel à assurer la sécurité des Tunisiens, dans un pays devenu aujourd’hui à la merci de toutes sortes de menaces. Un caïd à la tête d’un petit groupe de fanatiques violents et déterminés est parvenu à narguer et à défier le pouvoir central en plein centre-ville et àlui imposerses règles, puisque la sortie du chef recherché avait toutes les allures d’une exfiltration arrangé d’un commun accord entre la police et le fuyard.
Une complaisance insupportable
Pourquoi cette descendance, quoique bien trop nombreuse, mais qui n’est composée en fait que de quelques milliers de membres aux grand maximum, a pu réussir cet exploit de transformer la Tunisie, le temps d’une journée, ennouvelle Somalie ou en nouveau Soudan ? Sont-ils si malins, si ingénieux et si cultivés qu’ils puissent facilement déjouer les mailles serrées du filet judiciaire et sécuritaire qui les entoure ? Ou serait-ce plutôt que ce filet judiciaire et sécuritaire n’existe plus, et ce, depuis l’arrivée au pouvoir d’un certain Ghannouchi ? De ce point culminant de l’insécurité généralisée, les forces de l’ordre ne sont nullement responsables, et la culpabilité retombe directement sur les responsables politiques qui ont décidé de se mettre aux abonnés absents pendant ces moments critiques,privant ainsi leurs subordonnés de toutes instructions précises, les abandonnant à eux-mêmes au milieu du gué. Il y a d’innombrables responsables à cette catastrophe monumentale : en premier lieu les membres nahdaouis de l’Assemblée Constituante, dont les principales préoccupations sont de vouloir imposer leur constitution , de pourchasser férocement les artistes, de faire taire les médias et de supprimer le code du statut personnel. Pendant ce temps, le pays coule, et ils font semblant de ne pas le voir. Mais aussi les membres du CPR et d’Ettakatol, qui, quand ils ne menacent pas de mort leurs opposants (comme vient de le faire récemment M. Abbou), permettent au parti Ennahdha de se comporter avec la Tunisie comme avec un butin à se partager. Il faut aussi inclure dans cette liste les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères, qui ont prouvé au monde entier en seulement une journée que la Tunisie n’est même plus capable d’assurer la sécurité de l’ambassade du pays le plus puissant au monde, au cœur même de sa capitale. Que dire alors de la sécurité des simples citoyens ! Ceci n’est qu’un échantillon, et la liste des responsables et des complicespeut être complétée à loisir. Mais il n’y a qu’un seul vrai responsable, un seul, et il se nomme M. Rached Ghannouchi.
La politique irresponsable de M. Ghannouchi
Qu’il se trouve aujourd’hui dans une situation embarrassante est aisément compréhensible ; qu’il n’ait jamais souhaité la mise à sac de l’ambassade ni le décès de cinq tunisiens estincontestable ; mais cela n’enlève rien à sa culpabilité politique. Il faut en effet savoir que M. Rached Ghannouchi est autant isolé au sein de la direction de son parti que populaire parmi sa base, surtout celle d’extrême droite. N’étant pas capable d’accepter cette situation, il laisse la politique du pire se propager, et les flammes de la fitna s’attiser. D’un côté, en encourageant ses "enfants" (par sa complaisance, par ses paroles et par ses silences) à s’en prendre aux femmes non voilées, aux artistes, aux journalistes, aux universitaires, aux intellectuels, aux théologiens, ou de l’autre,en invitant des prêcheurs de haine qui n’ont rien à envier à leurs homologues islamophobes occidentaux, et en empêchant de toutes ses forces que la moindre sanction soit prise contre sa descendance salafiste. Lorsque le pompier est un pyromane, il est normal et prévisible que le pays brûle. La Révolution Culturelle en Chine n’avait pas d’autres causes : Mao, isolé au sein de la direction du Parti Communiste chinois depuis l’échec monumentale du « Grand Bond en avant » de 1958, avait décidé d’exciter les jeunesses du parti contre tous les intellectuels que connaissait son pays, afin de continuer à le diriger d’une main de fer. Des milliers de jeunes fanatisés, au nom d’une pureté révolutionnaire prétendument en danger, se mirent alors à pourchasser les artistes, à détruire les monuments historiques et religieux, à enfermer les intellectuels, y compris les membres du Parti Communiste Chinois, et à brûler les livres, car un seul livre suffisait, le petit livre rouge de Mao. Pour garder son pouvoir et satisfaire sa mégalomanie, Mao a fait perdre à la Chine au moins 20 ans, retardant d’autant le décollage scientifique, industriel et militaire de la Chine.
Plus près de nous un autre autocrate, Gueddafi, a usé du même procédé pour accaparer tous les pouvoirs et soumettre tout le peuple en créant des comités populairesà lui seul dévoués, et en inondant le pays d’un opuscule intitulé "Livre Vert".
Un plan prémédité
M. Rached Ghannouchi suit exactement la même politique : exciter la base radicale du parti contre la direction qui rechigne à obéir à ses ordres, quitte à mettre le pays à feu et à sang. Car sans l’accord (tacite ou déclaré) de M. Rached Ghannouchi, rien de tout cela ne serait arrivé : il suffit pour s’en convaincre d’aller observer la manière dont les pays du Golfe ont réagi à cette provocation imbécile. En effet, les Saoudiens, les Qataris, si vertueux aux yeux des Nahdhaouis qui se veulent leurs disciples, ressortissants de pays où les femmes sont complémentaires de l’homme, n’ont pas réagi. Ils n’ont rien fait, absolument rien. Pas une manifestation, pas une protestation n’est venue troublerle calme des diplomates américains. Et pour cause : ces manifestations de colère ne sont jamais spontanées, et ont besoin d’un signe en plus haut lieu en guise d’autorisation pour pouvoir se dérouler. Dans le Golfe, personne n’a donné cette autorisation, ni les princes, ni le clergé wahhabite. Rien ne s’est passé. En Tunisie, Quelques- uns au sommet l’ont fait, ou laissé faire, et les regards se tournent désormais vers M. RachedGhannouchi et ses relais pro-salafistes. Le fait qu’il ait été le premier à s’exprimer en faveur de ses <>, tentant de manière confuse et embrouillée de les défendre, condamnant du bout des lèvres leurs actes barbares, rejetant la responsabilité des troubles sur les États-Unis eux-mêmes, coupables de défendre la liberté d’expression sur leur sol, et le fait qu’il ait été le seul à le faire, ne laisse planer aucun doute sur la responsabilité morale de ces événements. Au lieu de condamner les salafistes, il les comprend ! Au lieu de s’excuser auprès des États-Unis, il les accuse ! Et au lieu d’assumer les faits, il rend la terre entière responsable du chaos en Tunisie : les États-Unis, l’ONU, les forces de sécurité tunisienne, le gouvernement, les ministres…autrement dit, tout le monde, sauf les vrais coupables ! Cette ligne de conduite pathétique conduit même à douter de la sincérité des paroles de M. Rached Ghannouchi : comprend-il bien la portée de ses actes et de ses paroles ? Est-il vraiment maître de sa conduite et de son discours ? A-t-il encore sa place à la tête de la pyramide islamiste ? S’il déteste tantla Tunisie et les Tunisiens, pourquoi s’inflige-t-il une telle torture en voulant nous diriger, et pourquoi ne décide-t-il pas tout simplement de passer la main, et laisser la Tunisie en paix ?
Abdellatif Ghorbal