Ali Laareydh : Nous sommes encore au cœur de la bataille
(Mise-à-jour )« Je n’abandonnerai pas mes fonctions. Il est de l’intérêt du ministère et du pays, en ces circonstances particulières que je demeure en poste ». C’est sur ce ton ferme et déterminé, que le ministre de l’Intérieur Ali Laareyedh a conclu mercredi soir sa dernière intervention devant les membres de l’Assemblée nationale constituante, au terme de pas moins sept heures de débats prolongés jusqu’à une heure tardive de la soirée. Tout avait commencé à 15H30, lorsque le ministre de l’Intérieur avait été invité par le président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar à prendre la parole pour une intervention préliminaire avant de permettre aux élus de s’exprimer au cours de cette séance plénière de questions au gouvernement.
A peine le ministre a-t-il terminé son intervention, un long silence a enveloppé la grande salle du Bardo. Cette fois-ci, point d’applaudissements, profonde inquiétude dans les travées. Pendant près d’une demi-heure, le ministre devait livrer son « rapport » sur l’attaque vendredi 14 septembre de l’ambassade américaine et de l’école internationale, avec notamment le rappel des faits et les premiers constats qui s’imposent quant au dispositif sécuritaire mis en place et son fonctionnement. « Nous sommes encore au cœur de la bataille, a-t-il répété à plusieurs reprises avant d’ajouter, jusqu’à cet instant des protestations et des opérations se poursuivent ici et là et nous consacrons toutes nos énergies à y faire face. La bataille n’est pas terminée ! ».
Cette bataille, Ali Laareydh prendra soin de préciser. « Bien qu’il s’agit parfois d’idéologies menaçantes, affirme-t-il, nous ne ciblons pas des une pensée, un courant ou des mouvances, mais des faits délictueux réprimés par la loi. Les forces de sécurité défendent le drapeau national, protègent les biens et les personnes et se posent contre la violence et la transgression de l’ordre et de la sécurité. Pour ce qui est des pensées et des courants, elles ne relève pas des forces de sécurité. C’est aux autres structures concernées, notamment celle en charge de l’orientation religieuse, comme les médias, de dialoguer avec leurs adeptes et d’œuvrer pour les émanciper ».
Autour du ministre de l’Intérieur avaient pris place sur les bancs du gouvernement nombre de ministres et conseillers du chef du gouvernement : Noureddine Behiri, Rafik Abddessalem, Lamine Chakhari, Abderrazak Kilani, Abdelawhab Maatar, Houcine Jaziri, Lotfi Zitoun, Faouzi Kammoun, Nejmeddine Hamrouni et Habib Kechaou. De hauts cadres du ministère de l’Intérieur, notamment les directeurs généraux de la Police nationale et de la Garde Nationale étaient également présents.
« On a évité une catastrophe bien pire »
Revenant sur les évènements du 14 septembre, le ministre de l’Intérieur, rappellera d’abord que des considérations sécuritaires compréhensibles ne permettent pas de tout déballer en grand public et imposent des règles de secrets sur certains détails. Puis, soulignera que dès le départ un principe fondamental a été adopté pour le traitement des marches de protestations, à savoir respecter la libre expression et l’encadrer, en déployant tous les moyens disponibles pour éviter tout dérapage et éviter toute atteinte aux biens et aux personnes. « Diverses informations parvenues au ministère de l’Intérieur, indiquera-t-il, laissaient attendre de nombreuses manifestations non seulement à Tunis, mais un peu partout à l’intérieur du pays. Des réunions ont été tenues à haut niveau et avec la participation des représentants de l’armée nationale pour arrêter une série de plans et mesures, couvrant le pays, avec une concentration particulière sur la capitale et les points sensibles et prévoyant un dispositif approprié pour l’ambassade des Etats-Unis. Le 13 au soir et le 14 au matin, ce dispositif mis en place a fait l’objet de supervision et d’inspection directe sur le terrain pour s’assurer de sa bonne mise en place ».
Détaillant les évènements du vendredi après-midi, Ali Laareydh a expliqué que «des barrages routiers ont été installés aux entrées de la capitale pour endiguer les flux de voitures et de bus amenant des manifestants de Bizerte, Béja et autres gouvernorats et que d’autres barrages ont été également mis en place aux abords de l’ambassade. Les consignes données étaient d’abord d’encadrer les manifestations et de s’opposer à toute tentative d’attaque de l’ambassade et de violation de son enceinte. Si certains groupes ont manifesté de façon quasi-pacifique, recourant au plus à quelques jets de pierre et finissant par se disperser suite aux sommations et aux repoussements, d’autres se sont lancés dans de véritables attaques violentes de tous les abords de l’ambassade. Nous avons en effet vu déferler des repris de justice ainsi que des extrémistes religieux, armés de ce qu’ils avaient récupéré dans les chantiers voisins ou sur le terrain et autres métaux, mais aussi de cocktail molotov, déterminés à affronter les forces de sécurité soutenus par des éléments de l’armée nationale ».
Le ministre de l’Intérieur a précisé que «les affrontements se sont poursuivis pendant plus de 3 heures au cours desquels les forces de sécurité se sont employées d’empêcher autant que possible l’intrusion au sein de l’ambassade, mais certains assaillants ont pu le faire, surtout à partir d’un terrain-plein, se livrant à incendier des voitures et autres actes de violence. Les renforts appelés au secours ont eu du mal à arriver rapidement sur les lieux du fait de l’encombrement des routes et ont finalement permis d’appuyer les efforts pour faire évacuer les intrus des jardins de l’ambassade. Chassés de l’enceinte, des attaquants persistaient à revenir et il a fallu plus de deux heures pour les faire partir ».
Rappelant le bilan enregistré, le ministre a indiqué qu’il s’est soldé par 4 décès dont deux par balle et les deux autres suite à des heurts par des véhicules et 50 blessés dont 9 sont encore retenus à l’hôpital, parmi les manifestants et 91 blessés dont 5 sont encore hospitalisés, parmi les forces de sécurité et nombre d’autres blessés dans les rangs de l’armée nationale. Mais, pour Ali Laareyedh, le bilan est aussi au niveau de l’image de la Tunisie et de la répercussion de ces évènements sur l’investissement, l’économie et le tourisme.
« Si nous devons dresser un premier bilan, nous devons dire, a souligné le ministre qu’il a été mauvais pour ce qui est de l’ambassade des Etats-Unis et de ses abords. Mais, tenant compte des données dont nous disposons pour l’ensemble, nous pouvons dire que nous avons évité une catastrophe bien pire et nous sommes actuellement en pleine évaluation ».
Ali Laareydh a fermement affirmé la détermination du ministère de l’Intérieur à poursuivre tous les coupables pour les traduire devant la justice, réitérant sa conviction que « la justice saura accomplir son rôle ». « Nous poursuivrons nos efforts pour renforcer le système sécuritaire et consolider ses moyens en y introduisant les réformes nécessaires. Nous savons que c’est là une œuvre qui doit prendre du temps mais nous nous employons à en réduire les délais et accroître l’efficience. Nous avons à faire face à de grands défis sécuritaires qui se posent à la région et pour cela nous avons besoin du rassemblement des leaders, des partis, des organisations, de la société civile et des médias, autour de ce qui nous unit, ce sera notre force ! »
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