La méthode Coué au secours d'Ennahdha
Il y a près d’un siècle, un certain Emile Coué, pharmacien de son état et psychologue à ses heures perdues, a mis au point une méthode qui s’apparente à l’effet placebo. Elle consiste à recourir à l’autosuggestion pour guérir ou prévenir certaines maladies fonctionnelles comme les dépressions. Le principe de base en est le suivant : «Toute idée qui se grave dans notre esprit tend à devenir une réalité». Plus prosaïquement, cela consiste à prendre ses désirs pour des réalités en se comportant comme si «ce que l’on souhaite va ou doit se réaliser». Les dirigeants du Mouvement Ennahdha seraient-ils donc des adeptes de la méthode Coué qui s’ignorent ? Car dans leurs déclarations comme dans leurs écrits, et malgré toutes les crises traversées par le pays depuis depuis le début l'année, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes à leurs yeux.
Rappelons-nous, le dernier congrès du mouvement devait être l’occasion pour les militants de faire acte de contrition pour les erreurs commises dans les années 90. Au lieu de quoi, on a préféré jeter un voile pudique sur le passé et se répandre en déclarations dont le contenu relevait incontestablement de la méthode Coué. Le congrès est qualifié de « réussite totale ». Déjà, avant sa tenue, Ghannouchi « nous promettait « des assises qui feraient date dans l’histoire de l’humanité ». On pourrait multiplier à l’infini les exemples. Le gouvernement Jebali est «le meilleur de l’histoire de la Tunisie». Ce fut la seule réponse aux critiques qui ont suivi l'annonce de sa formation. Au lendemain de la manifestation contre l’ambassade des Etats-Unis, un journal proche d’Ennahdha titrait en première page : «Ali Larayedh, le meilleur ministre de l’Intérieur depuis l’indépendance». Le surlendemain, l’organe d’Ennahdha, El Fajr qualifiera le ministre de l’Intérieur «d’homme d’Etat». Au élus de l'opposition qui réclamaient sa démission, le même ministre répondra: «Je ne démissionnerai pas parce que ce n’est pas dans l’intérêt du pays». Il oublie que les cimetières sont remplis de gens irremplaçables. Interpellé quelques jours plus tard à l’ANC, le ministre dressera un bilan positif de la situation sécuritaire : «Nous contrôlons la situation», mais à quel prix ! Idem pour la situation économique. La dégradation de la notation souveraine de la Tunisie ? Le déficit croissant de la balance commerciale? La chute du dinar ? Broutilles que tout cela. Et de pointer du doigt les boucs émissaires habituels: les « fouloul », l'ancien gouverneur de la BCT et même l’INS. Quelques semaines plus tard, tous les indicateurs virent au vert et le taux de croissance grimpe à...5%. Comme par enchantement. Entre-temps, les deux institutions ont changé de main. Ceci explique cela. Dans le même registre : invité par El Watanya le vendredi 14 octobre pour commenter l’attaque contre l’ambassade US, Rached Ghannouchi, après avoir dénoncé rapidement l’attaque de l’ambassade, s’est attardé sur...«les performances économiques du pays». La méthode Coué donne parfois de bons résultats. Mais à force d’en user, de rejeter d’un revers de main les critiques comme si on avait la science infuse, de se présenter comme le parangon de la vertu et de la piété, on se déréalise et on finit par se couper du peuple.
A bien y réfléchir, ce recours systématique à la méthode Coué est peut-être le signe d’une perte de confiance en soi. Ennahdha n’est plus le parti sûr de lui et dominateur qu’on a connu au lendemain des élections. Il a mis une sourdine à ses déclarations outrecuidantes du genre : « nous sommes au pouvoir pour trente ans au moins » et affiche désormais un profil bas au point d'accepter d'engager le dialogue avec les partis de l'opposition «sauf Nida Tounès» dans le cadre de l'initiative de l'UGTT, après l'avoir longtemps rejetée. Rached Ghannouchi s'est départi pour une fois de son pessimisme pour reconnaitre même que son mouvement « a subi l’usure du pouvoir ».
D’où sans doute l'agressivité d'Ennahdha de ces dernières semaines à l’égard de Nida Tounès qui se voit à présent accusé sur un ton d’évidence de tous les maux, ostracisé, diabolisé suivant des méthodes qui empruntent aux techniques éprouvées des régimes totalitaires. D’abord encensé pour sa bonne conduite au cours de la phase de transition, Béji Caïd Essebsi est devenu l’homme à abattre depuis qu’il a décidé de lancer Nida Tounès. On pose en postulat, sa « connivence avec l’ancien régime », on accuse son parti « de ramassis de résidus de l’ex RCD », de « cheval de Troie de la contre-révolution », d’être derrière toutes les difficultés que traverse le pays.
Des arguments éculés qui ne trompent personne. Peut-être, l'espoir est-il en train de changer de camp. Cette émergence d’un parti capable de tenir la dragée haute à Ennahdha est en lui-même un petit coin de ciel bleu sur un processus démocratique qui semblait marquer le pas. Quant aux appréhensions concernant une bipolarisation de la vie politique, elles ne me paraissent pas justifiées. Car elle permettrait, quoi qu’on en dise, d’ouvrir une alternative au régime qui, il n’y a guère paraissait indéboulonnable et sans rival sérieux pour une génération au moins. Et, partant, elle éviterait une reproduction du système du parti dominant dont on ne connaît que trop les effets pervers pour en avoir pâti pendant plus d’un demi-siècle.
H.B.