News - 09.10.2012

La peine de mort : l'émouvant témoignage de Hamma Hammami

135 personnes ont été exécutées en Tunisie entre l’indépendance et octobre 1991, dont 129 sous le règne de Bourguiba. Le premier président du pays était un inconditionnel de la peine de mort, car elle symbolisait à ses yeux l’autorité de l’Etat nouveau qu’il venait d’édifier. Il n'a usé de son droit de grâce qu'à trois reprises seulement en trente ans, s'agissant notamment des commandants Materi et Ben Guiza qui avaient trempé dans le complot  de décembre 1962. Ils  virent leur peine commuée en prison à perpétuité puis libérés en 1973. En ce 10 octobre, journée mondiale contre la peine de mort, notre confrère "Le Courrier de l'Atlas" publie sous la plume de Samy Ghorbal et avec des illustrations de Z, un témoignage exclusif de Hamma Hammami, qui a été enfermé à de nombreuses reprises avec des condamnés à mort, et assisté à plusieurs exécutions.

Nous en reproduisons des extraits avec l'aimable autorisation de Samy Ghorbal :

L’exécution de Hattab

« Hattab était un gamin de Mellassine, quartier pauvre et « mal famé » de Tunis. Il venait d’avoir 18 ans. Nous avions lié amitié. On l’avait enfermé dans la cellule 4 ; j’étais dans la 18. A l’époque, en 1974, la majorité pénale était fixée à 16 ans, et Hattab devait avoir 16 ans et demi quand il a tué sa mère. Il était orphelin de père, et vivait donc avec sa mère. La veuve avait une liaison avec un homme. Ça ne se faisait pas, ça heurtait les convenances. Hattab était la cible de tous les quolibets.

Un jour, rentrant chez lui, il a perdu la tête, et a tué sa génitrice en la brûlant. Les journaux ont beaucoup parlé de cette affaire qui avait bouleversé l’opinion. Des personnalités ont imploré la clémence de Bourguiba. Mais à ses yeux comme aux yeux des juges, le parricide était « le crime des crimes ». Il a tout juste attendu qu’il fête ses 18 ans avant de l’envoyer à la potence.

Hattab savait que la mort allait venir à tout moment, il s’y était résigné. C’est à la fébrilité des gardiens qu’on a deviné que le compte à rebours avait commencé. Ils lui ont donné des cachets, des anxiolytiques, et vers une ou deux heures du matin, sont passés dans le couloir et ont peint une grande croix noire sur la porte de sa cellule. Quand Hattab a compris qu’on venait le chercher, ses derniers mots ont été pour moi. Il m’a juste crié à travers le couloir : « Adieu, Abbès » (Abbès était le nom que j’avais pris dans la clandestinité et par lequel j’étais connu de mes codétenus)… »

Un 17 avril 1980

« Les portes des cellules de la prison sont restées fermées jusqu’à 11 heures du matin, alors que normalement, elles s’ouvrent vers 5h30 / 6h, pour la promenade. C’était un jeudi, le jour de la douche hebdomadaire. L’ambiance était lugubre et nos gardiens livides. Ils venaient d’assister à une exécution fleuve : celle d’Ahmed El Mergheni et des douze autres membres du commando armé venu de Libye qui avait attaqué la ville de Gafsa, le 27 janvier 1980. La cour de sûreté de l’Etat les avait condamnés à mort quelques jours auparavant.

La potence avait été érigée, la veille dans la cour adjacente au pavillon T. Toutes les exécutions se déroulaient à Tunis, il n’y avait qu’une seule potence dans la République, et par conséquent qu’un seul bourreau, Hmed, une espèce de personnage filiforme et cynique, entre deux âges, qui travaillait dans le civil comme poinçonneur à la société des autobus. Bourreau était une « charge » qui se transmettait de père en fils, depuis l’époque des Beys.

L’exécution a été interminable. Les condamnés ont été extraits un à un du pavillon cellulaire. Hmed n’a pas arrêté de parler. Avec une joie enfantine et sadique, il racontait aux gardiens, obligés d’assister à la scène, qu’on allait bientôt lui apporter une nouvelle potence venue de Belgique. Après avoir procédé à sa septième exécution de la matinée, Hmed a demandé à faire une pause, et a commandé un sandwich, pour reprendre des forces. Il l’a avalé, puis a repris sa besogne. Quand nous sommes enfin sortis de nos cellules, vers 11 heures, donc, on nous a directement emmenés à la douche, et, en traversant le vestiaire, j’ai aperçu un tas de vêtements verts, empilés. Les vêtements des 13 suppliciés... »   

http://www.lecourrierdelatlas.com/339709102012BILLET-Tunisie-Dans-l-enfer-des-couloirs-de-la-mort.html