Une vidéo de Rached Ghannouchi fait l'effet d'une bombe
Une surprenante vidéo de Rached Ghannouchi, probablement tournée à son insu, fait un énorme buzz sur la blagosphère tunisienne et les réseaux sociaux. On l’y voit et entend en conversation informelle avec un groupe de salafistes, dans ce qui semble être son bureau de Montplaisir.
Le président d’Ennahdha y déclare notamment que « les laïques en Tunisie, bien que minoritaires, ont la presse et l’économie sous leur contrôle » et que « l’Administration tunisienne, bien que sous le contrôle d’Ennahdha, est elle aussi entre leurs mains », se plaignant du « retour des RCDistes » et de la prépondérance de l’armée nationale. « Même l’armée et la police ne sont pas sûrs », ajoute Rached Ghannouchi. Ce dernier conseille à ses interlocuteurs salafistes « d’être patients, de consacrer tout le temps nécessaire au changement et de ne pas se laisser griser par l’opportunité d’avoir quitté les prisons par milliers » car « tous les leviers et rouages de l’Etat sont encore aux mains des laïques ».
« Sachez bien, leur dit-il, qu’aujourd’hui nous disposons non pas d’une mosquée (sous-entendu pour les besoins du prosélytisme) mais d’un ministère des Affaires religieuses, non pas d’une officine mais de l’Etat ».
Cheikh Rached appelle par ailleurs la jeunesse salafiste à ne pas tomber dans la précipitation, à ne pas se «presser de prêcher dans les mosquées, créer des écoles, des radios et des télés et à se garder d’inviter des prédicateurs de divers pays ou à lancer des projets », leur rappelant que « hier encore, vous autant que nous étions tous passés à la moulinette ».
Ghannouchi a plusieurs fois répété son conseil à ses interlocuteurs de ne pas trop se précipiter au risque, dit-il, de connaître « une désillusion du genre de ce qui s’était passé en Algérie ».
Après la victoire électorale islamiste en Algérie en 1991, a-t-il confessé à ce sujet, «nous avons cru un moment que désormais nous pourrions compter sur la protection de l’Algérie et que ce pays avait atteint le point de non retour. Mais nous avons vite déchanté et adopté un profil bas en abandonnant les mosquées aux laïques ».
Cette vidéo d’à peine trois minutes suscite beaucoup d’interrogations quant à son objectif, à son timing et aux intentions de ses auteurs.
Dans une mise au point publiée par le journal en ligne « Assabah News », le directeur de cabinet du président d’Ennahdha assure que la vidéo en question est vieille et qu’elle remonte « au mois de février ou mars, en tout cas au temps du débat sur l’inscription ou non de la Chariaa dans la Constitution ». Il indique également que la rencontre évoquée était publique, admettant toutefois que « seule « une des personnes présentes a pu rendre public l’enregistrement » dont le parti détient, selon lui, une version intégrale.
Pour sa part, Ameur Larayedh, membre du bureau politique d'Ennahdha a qualifié sur Mosaïquefm, cette diffusion de "manipulation" qui consiste à sortir les phrases de leur contexte et à tronquer certains passages de manière à dénaturer la pensée du président d'Ennahdha, Un communiqué du mouvement abonde dans le même sens en condamnant vivement les procédés « hérités de l'ancien régime» utilisés tels que «le truquage» ou « le montage» de certaines séquences et renouvelle sa confiance dans l'institution militaire et sécuritaire.
Réagissant aux propos du président d'Ennahdha selon lesquels «les laïques contrôlent l'Etat et l'armée et la police ne sont pas sûrs», M. Béji Caïd Essebsi a déclaré avec humour : «Tel que je le connais, Rached Ghannouchi est un homme de raison et sait donc ce qu'il dit».