L'Ambassadeur de Chine à Tunis : pourquoi les entreprises chinoises ne sont pas attirées par le site Tunisie
A la veille du 18e congrès du Parti communiste chinois qui débutera à Pékin ce 8 novembre et devant porter une nouvelle équipe à la tête du pouvoir, interviewer l’ambassadeur de Chine à Tunis, M. Huo Zhengde, est instructif. Que faut-il attendre de ce congrès ? Où en sont les relations bilatérales et la coopération avec la Tunisie? Pourquoi de grandes entreprises chinoises tardent-elles à se délocaliser en Tunisie ? Comment expliquer le fait que les Chinois sont si peu nombreux en Tunisie, 200 à 300 contre 60 000 en Algérie ? Qu’en est-il des projets de Sra Ouertane et du transport ferroviaire? Et quelles opportunités d’affaires s’offrent aux opérateurs privés des deux pays ? Le hasard a voulu qu’il prenne ses fonctions à Tunis quelques semaines seulement avant la révolution. Interview.
Après un peu plus de 30 ans de réforme et d’ouverture, la Chine a fait d’énormes progrès, bien que l'effort de modernisation se poursuive à un rythme rapide. Le PIB a atteint 5000 US$ par habitant, le développement exigera encore plus d’efforts, de 2 à 3 générations. L’essor fulgurant a cependant confirmé que le socialisme à la chinoise est la seule voie pour conduire le pays vers la prospérité. C’est à présent prouvé et confirmé. Le prochain congrès du Parti communiste chinois sera convoqué à un moment historique. Il marquera la continuité de la voie de la modernisation, avec l’objectif des améliorations dans les différents domaines. La Chine doit continuer à relever des défis importants de son développement économique et social: le déséquilibre entre les différentes couches, les différentes régions intérieures par rapport à celles côtières, les secteurs, et autres. Pour assurer un développement équilibré, soutenu et durable, nous devons déployer encore plus d’efforts. Une mission qui n’est pas facile, mais nous avons espoir de la réussir grâce notamment à l’expérience acquise.
Où en est la coopération avec la Tunisie?
Les deux pays sont liés par une amitié traditionnelle. La Chine suit de près l’évolution de la situation politique en Tunisie, comme celle prévalant dans les autres pays du Printemps arabe et respecte la volonté du peuple et ses choix. Parmi les pays du Printemps arabe, la Tunisie est celle qui connaît le moins de violence et de dégâts. Malgré les difficultés rencontrées, le processus de transition avance et nous tenons à féliciter la Tunisie et à lui réitérer notre volonté de l’accompagner dans cette démarche, ce que d’ailleurs nous avons commencé à faire dès le déclenchement de la révolution. C’est ainsi que nous avons apporté notre aide humanitaire pour l’accueil des réfugiés qui ont afflué de Libye et fait avancer nombre de projets comme ceux de la construction d’un nouvel hôpital universitaire de 300 lits à Sfax, la rénovation du centre culturel et sportif de la jeunesse, l’aménagement de petits barrages et autres.
Et sur le plan économique?
Les échanges commerciaux ont connu une croissance significative. Le volume des échanges commerciaux bilatéraux a atteint 2 milliards TD jusqu’à septembre 2012, avec une croissance de 38%. Quant au déséquilibre commercial, il faudrait noter que nombre de biens importés de Chine sont en fait produits par de grandes marques internationales installées en Chine, celles-ci contribuent d’ailleurs à hauteur de 50% des exportations chinoises. Pour les produits tunisiens, de bonnes opportunités s’offrent chez nous et il appartient aux opérateurs tunisiens de les fructifier.
A combien s’élève la communauté chinoise en Tunisie?
Il faut compter entre 200 à 300 personnes, entre employés d’entreprise chinoises et étudiants.
C’est bien peu ?
Oui, si on les compare aux 60 000 Chinois en Algérie ou les 36 000 que nous avons évacués de Libye. La raison en est la suivante : il y a très peu d’entreprises chinoises installées en Tunisie, à cause du manque de grands projets et du coût élevé de la production locale.
Et en termes de financement, la Chine a-t-elle accordé des crédits à la Tunisie ?
La Chine est favorable à accorder des crédits préférentiels pour des projets communs, notamment dans le secteur des télécommunications, des chemins de fer, etc. Quant au secteur privé, Exim Bank China soutient les entreprises chinoises pour travailler en Tunisie. Et je saisis cette occasion pour vous faire savoir que dans le cadre du Forum de la coopération sino-africaine, le gouvernement chinois a accordé à accroître le montant du crédit préférentiel à 20 millards US$ pour les pays africains, et à travers lequel il y aura plus d’opportunités et de belles perspectives pour la coopération bilatérales entre nos deux pays.
Pour les grands projets publics, il y a bien celui de la reprise des mines de phosphate de Sra Ouertane ?
Oui, la partie tunisienne l’a proposée. Nous attendons encore la décision finale pour ce projet. Il y a cependant un autre qui nous intéresse plus particulièrement, à savoir celui du développement du réseau ferroviaire. Voilà un domaine où nous avons une excellente expertise.
Qu’en est-il pour la coopération culturelle, universitaire et technique?
Nous poursuivons nos programmes de bourses pour envoyer des étudiants tunisiens en Chine et organisons de plus en plus de stages en faveur de cadres tunisiens dans différents secteurs tels que l’économie, la gestion et tout récemment les tapis semi-automatiques et automatiques. Nous avons également des programmes d’échanges culturels (notamment pour les festivals de Carthage, Hammamet et autres), visites de journalistes et écrivains et autres. Je dois cependant reconnaître que nous devons développer davantage la coopération scientifique et universitaire. Pour renforcer l’amitié et approfondir la connaissance mutuelle entre nos deux peuples, nous devons encourager les échanges entre les sociétés civiles des deux pays.
Sur le plan multilatéral, comment se situe la coopération tuniso-chinoise ?
Nous entretenons une bonne collaboration dans les instances internationales et nous nous concertons régulièrement sur les grandes questions. En tant que pays en développement, la Chine et la Tunisie ont des intérêts communs, avec souvent des positions très proches les unes des autres.
Et sur la Syrie, quelle est la position actuelle de la Chine ?
La Chine est profondément préoccupée par l’aggravation continue de la situation dans ce pays. Elle combat et condamne toute forme de terrorisme et tout acte de violence contre les civils innocents. Nous estimons que pour régler de façon définitive la question syrienne, il est essentiel de tenir le cap d’un règlement politique. L’urgence est d’exhorter les différentes parties syriennes à cesser immédiatement et complètement le feu et les violences et à ouvrir un dialogue politique inclusif. Les actions de la communauté internationale doivent se faire conformément aux buts et principes de la Charte des Nations unies et aux normes fondamentales régissant les relations internationales.
La Chine adopte toujours une position juste et objective et une attitude responsable sur la question syrienne. Elle respecte le choix du peuple syrien et travaille pour préserver les intérêts fondamentaux du peuple syrien. La Chine continuera à accorder, dans la mesure de ses possibilités, des aides humanitaires au peuple syrien, tout en s’opposant à toute ingérence dans les affaires intérieures et à toute intervention militaire sous le couvert de l’« humanitaire ». Elle est prête à travailler ensemble avec les différents acteurs de la communauté internationale pour promouvoir un règlement rapide, équitable, pacifique et adéquat de la question syrienne.
Le hasard a voulu que vous preniez votre poste à Tunis le 15 novembre 2010, quatre semaines seulement avant l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi ?
Oui, effectivement. D’ailleurs, j’ai eu une double surprise. La Tunisie donnait l’impression d’être un pays assez stable. Personne n’avait prévu qu’elle sera le premier pays à déclencher le «Printemps arabe». La deuxième surprise, c’est qu’il n’a pas fallu plus de quatre semaines seulement pour que le régime tombe. En fait, la révolution a des racines très profondes : abus politiques, corruption, développement déséquilibré… La population en souffrait beaucoup.
Comme j’avais eu l’occasion de le constater, lorsque j’étais ambassadeur en Guinée, le plus grand défi à relever, une fois les abus et la corruption éradiqués et les questions institutionnelles réglées, c’est le modèle de développement.
La Chine est devenue une grande puissance économique du monde et ainsi le premier pays exportateur de biens, ce qui lui permet d’accéder au début de la prospérité. En fait, ce n’est pas une exception, certains pays asiatiques, comme la Corée du Sud, nous ont précédés dans cette grande industrialisation. Nombre de pays gagneraient à comprendre tout le potentiel qu’offre l’industrie pour la création d’emplois et l’accélération de la croissance, sans manquer les efforts inlassables du peuple.
Le succès de la Chine pourrait être devenu un repère. La richesse s’accumule très vite. La Chine est le premier pays en termes d’achat de nouvelles voitures. Si 1 milliard 300 millions de Chinois connaissent aujourd’hui un début de prospérité, pourquoi pas les autres.