Budget 2013, enjeux et perspectives
Le projet de budget 2013 vient d’être communiqué par le gouvernement à l’Assemblée nationale constituante pour examen et approbation éventuelle. Il faut noter tout de suite le retard avec lequel ce projet a été présenté aux constituants qui sont, par ailleurs, sollicités par l’examen d’autres textes très importants et très urgents, tels que la loi sur l’instance supérieur et indépendante des élections. Il faut espérer que l’absentéisme fréquent de nos constituants ne soit pas une cause supplémentaire pour priver le pays d’une nouvelle loi de finances le 1er janvier 2013.
Il faut noter aussi que ce projet a été élaboré en l’absence d’un ministre des finances dont la nomination tarde encore. Ce ministre va se trouver dans la position peu confortable d’appliquer un budget auquel il n’a pas du tout contribué. Acceptera-t-il de vivre avec ou demandera-t-il une loi rectificative ? La question reste posée.
Il est également surprenant de voir, dans la Tunisie post révolutionnaire, un projet de budget, préparé et adopté par le gouvernement, sans la transparence nécessaire. Normalement, ce texte aurait dû être mis sur le site web du Ministère des finances pour information, même sous forme de projet non encore voté par l’ANC. En outre, les rapports d’exécution du budget 2011 et 2012 auraient dus être publiés sur le site web du Ministère des finances. Il en est de même de la loi de règlement du budget 2011 si une telle loi a été préparée et approuvée, après examen par la Cour des comptes, par l’ANC.
D’après les éléments d’information donnés à la presse, le projet de budget total s’élèverait en dépenses à 26,8 milliards de dinars soit une augmentation en termes nominaux de 4,7% sur le budget 2012. En termes réels, avec un taux d’inflation de plus de 5%, il est, en fait, moins élevé que celui de l’année en cours. Les hypothèses retenues pour l’élaboration de ce projet (prix du baril, taux de change du dollar) paraissent plus ou moins réalistes mais le taux de croissance de 4,5% est nettement surestimé. C’est l’un des enjeux de ce projet de budget. Il est évident aussi que, si une guerre éclatait au Moyen Orient, le prix du baril et le taux de change seraient très différents.
Mais le principal enjeu de ce projet est la faiblesse des recettes. L’Etat tunisien n’arrive pas à dégager des ressources fiscales suffisantes. A 23% du PIB, les recettes douanières et des impôts devraient augmenter substantiellement (dans d’autres pays, ce taux est nettement plus élevé : 35% à Malte, 33% en Turquie, sans parler de la France, 44% ou du Danemark, 49%). Le projet de budget prend des décisions courageuses d’augmentation des droits de consommation sur certains produits dont les boissons alcooliques et le tabac. Mais d’autres produits dont les voitures et les biens de consommation non essentiels devraient faire l’objet de plus de taxation pour compenser la franchise douanière des produits importés de l’Union européenne. La vignette sur les grosses cylindrées aurait dû aussi faire l’objet d’augmentation. Une autre mine de recettes est l’exonération des droits de douanes et des impôts de projets dont les promoteurs n’ont pas tenu leurs engagements vis-à-vis de l’Etat. Une unité de contrôle au Ministère des finances devrait procéder systématiquement au calcul de la moins-value fiscale et la publier pour information au grand public car il s’agit-là de dépenses fiscales ou subventions que le public devrait connaître et en évaluer les conséquences.
Du côté des dépenses, la masse salariale va absorber 37% du budget et 14% du PIB, ce qui est énorme. On compte ajouter de nouveaux fonctionnaires qui, non seulement vont peser sur le train de vie actuel de l’Etat, mais vont peser aussi sur les caisses de retraite qui sont déjà en déficit. Un tel déficit devrait d’ailleurs trouver une solution le plus rapidement possible. Le pays est sur fonctionnarisé : 60 fonctionnaires par 1000 habitants alors que l’Allemagne compte 50 fonctionnaires par 1000 habitants.
Malgré les mesures courageuses de réduction des subventions pour les carburants, les subventions continuent, en dépit du bon sens, à grever les deniers publics, aux alentours de 4 milliards de dinars soit 15% des dépenses totales et presque 6% du PIB. D’après l’Organisation de défense du consommateur, 20 % des dépenses de compensation profitent aux étrangers (touristes et autres) et 40% vont en en contrebande aux pays voisins et au-delà. Est-ce une bonne utilisation de l’argent des contribuables ? Alors qu’un système de ciblage des transferts aux catégories nécessiteuses pourrait assurer la couverture de leurs besoins.
En ce qui concerne le service de la dette, il est essentiel d’attirer l’attention de notre diplomatie de travailler énergiquement sur les accords désendettement/ développement avec des pays comme la France, premier créancier et le Japon, second créancier. Cela libérera des montants importants aux investissements publics et soulagera notre balance des paiements, deux objectifs importants dans les circonstances actuelles du pays.
Quant aux dépenses d’investissement, elles sont en diminution par rapport au budget 2012. Est-ce à cause du taux de réalisation extrêmement faible de 2012 ? Car les financements extérieurs ne manquent pas. La Banque mondiale vient de prêter à des conditions très propices 500 millions dollars à notre pays. Pour remédier à la faiblesse de la capacité d’exécution des investissements publics, j’ai suggéré, à plusieurs reprises, la création d’une Direction générale des grands travaux à la primature. Pourquoi cela ne se fait pas ?
J’espère que le budget 2013 prévoira une allocation substantielle à la recapitalisation des banques dans le cadre d’une réforme radicale du système bancaire tunisien. Il y a une place pour une banque de développement qui impulserait la croissance des petites et moyennes entreprises, source inépuisable de création des emplois d’avenir.
Dr.Moncef Guen
Ancien haut fonctionnaire du FMI