Abdessalam GHEDIRA, ancien Gouverneur
Il y a un peu plus d’un mois, la ville de Monastir perdait l’un de ses fils dévoués en la personne de Si Abdessalam Ghédira. Elle perdait en lui le militant de la première heure et le responsable qui avait apporté sa contribution à l’édification de la Tunisie indépendante. Les Monastiriens ne l’oublieront pas tellement il les avait marqués par son dévouement, sa bonhomie et son affabilité. Ce patriarche prévoyant et disponible, était constamment à l’écoute de ceux qui venaient demander un conseil ou encore évoquer un passé cher à son coeur.
Pour Mohsen Baouab auquel il avait succédé à la direction de l’Ecole industrielle de Monastir en 1957, il était le collègue et l’ami. Il lui avait rendu visite quelques jours seulement avant son décès pour, précise-t-il peiné, « évoquer quelques souvenances ». Assis sur sa chaise roulante, Mohsen Baouab, 84 ans, se remémore les premières années années de l'indépendance dans la coquette ville de Monastir. « Au cours de ces premières années, l’histoire de notre ville reste et restera associée non seulement à l’illustre Habib Bourguiba mais également à Abdessalam Ghédira », dit-il ému aux larmes. Et pour cause, ajoute-t-il, tout aussi ému, « ne fut-il pas le premier à être nommé Délégué de la ville de Monastir après l’indépendance ». « A l’unanimité des notables de la ville », souligne-t-il après avoir marqué une pause comme pour rendre compte d’un fait important en cette période où seuls les fidèles d’entre les fidèles pouvaient jouir d’un tel privilège et d’une telle confiance.
Etait-ce réellement un privilège ? On peut le penser. Mais ceux qui ont vécu cette période savent pertinemment que cette charge ne fut nullement de tout repos. Etre l’un des lieutenants de l’intrépide Bourguiba, bouillonnant de projets et nourrissant plus d’une ambition pour sa ville natale, Monastir, n’était point chose aisée. Abdessalam Ghédira aura l’insigne honneur d’en être le fidèle et dévoué maestro. Une tâche aussi difficile qu’exaltante dominée par une conjoncture politique et économique fort délicate. Politiquement, le régime n’était pas encore bien assis. Economiquement, les ambitions dépassaient de loin les possibilités financières du pays. Mais le déclic occasionné par l’indépendance, chèrement payée, donnait à cette génération de militants un élan à la mesure de ces ambitions.
Dans ce Monastir de la fin des années cinquante, les remparts de la ville étaient aussi rigides que les mentalités conservatrices des Monastiriens. Bourguiba ne le savait que trop. Sa politique d’ouverture risquait de se heurter à ce conservatisme qu’il estimait éculé. Selon Olivier Clément Cacoub, Grand Prix de Rome d’architecture qui avait dressé le premier plan d’aménagement de Monastir, Bourguiba voulait faire de sa ville natale une ville moderne. Il tint parole. Si Bourguiba était le concepteur de la métamorphose de Monastir, Abdessalam Ghédira en fut, de 1957 à 1961, le maître d’oeuvre.
Né le 28 septembre 1920, ce normalien issu d’une famille modeste mais accordant au savoir la place qu’il mérite, poursuivit ses études primaires à l’école franco-arabe de Monastir avant d’aller rejoindre, en 1935, l’Ecole Normale des Instituteurs. Le même parcours que son frère Mohamed Salah, son aîné de 9 ans. Sa première affectation en qualité d’instituteur l’amena jusqu’à Aïn Draham, ce village haut perché où la misère d’une population démunie, n’encourageait nullement les parents à envoyer leurs enfants à l’école même primaire. Ce fut le début d’une série de déplacements, principalement dans des villages et autres petites bourgades du nord et du sud-ouest du pays. Le jeune Abdessalam, au physique d’athlète, donna le meilleur de lui-même pour inculquer un savoir dont bien des personnes ne mesuraient pas toujours l’importance.
En 1950, il fut affecté à Ksibet Médiouni puis à Khénis, dans la proche banlieue de sa ville natale. Il fut soulagé. Il pouvait enfin s’installer à Monastir. Son fils aîné Béchir se rappelle parfaitement de cette période si lointaine mais également si proche de son cœur. « J’accompagnais souvent mon père à l’école primaire de Khénis », dit-il l’air absorbé par des évocations qui le transportent plus d’un demi-siècle en arrière, ajoutant que son père « empruntait constamment sa calèche pour rejoindre son poste de travail ». « Quelle époque ! », s’exclame-t-il nostalgique et ravi, comme pour souligner l’immense progrès accompli depuis et surtout la rapidité avec laquelle ces avancées ont été réalisées.
En 1952, année décisive dans la lutte pour la libération nationale, il y eut un élément nouveau : Le gouvernement français qui avait promis d’engager des négociations pour l’indépendance commençait à tergiverser dans une ultime tentative de revenir sur ce qui était convenu. Bourguiba, toujours aussi alerte qu’engageant, annonça la « rupture » et la reprise de la lutte. Nul ne pouvait rester indifférent à cet appel. Abdessalam Ghédira qui avait derrière lui bien des années d’activités syndicales, au sein du Syndicat des fonctionnaires et Destouriennes en sa qualité de trésorier de la cellule destourienne de Monastir présidée par le militant Chedly Kallala, n’hésita pas à répondre à l’appel. On jouait le tout pour le tout. Il fut arrêté et emprisonné avec d’autres militants.
Cet ultime combat sonna le glas d’un protectorat qui avait duré 75 longues années. L’indépendance acquise, la grande bataille du développement fut entamée illico presto. A chacun sa contribution. Et l’apport d’Abdessalam Ghédira ne fut pas des moindres. Bien au contraire. A Monastir où il fut nommé Délégué, il avait à rendre compte directement au Président Bourguiba dont l’amour pour sa ville natale et les espoirs qu’il nourrissait pour elle, n’étaient un secret pour personne. Premier Ministre puis Président de la République, Habib Bourguiba se faisait un devoir de passer tous les week-ends dans sa ville natale particulièrement après son retour triomphal à Monastir le 17 juin 1955. Monastir devenait un grand chantier : Transformation de la piste menant à Skanès en une route aussi large que fonctionnelle, édification du mausolée Bourguiba dans sa première version, prospection des îles Kuriat pour une éventuelle exploitation touristique, etc.
Abdessalam Ghédira avait non seulement la lourde tâche de superviser tous ces travaux, mais également celle de convaincre les monastiriens souvent réticents à céder une partie de leur terre pour la réalisation de bon nombre de projets. En véritable pédagogue, il y parvint sans grande difficulté. Doté d’une grande capacité d’écoute, respecté des uns et des autres, il réussit le tour de force de déplacer une quarantaine de familles dans de nouveaux logements sur la route de Skanès afin d’entreprendre le réaménagement du quartier « Al Bled ». Cette même route qui n’était qu’une simple piste vicinale devint depuis l’artère principale reliant la ville de Monastir aux principales villes du pays.
Fin 1961, il fut nommé gouverneur stagiaire à Gafsa avant d’être titularisé six mois plus tard (Eh oui !). Méritant ses galons, il régnait sur ce gouvernorat aux ressources modestes qui risquait à tout moment d’être frappé par la politique collectiviste. Abdessalam Ghédira eut l’audace d’en retarder la mise en application dans son gouvernorat étant convaincu, dans son for intérieur, que cette nouvelle politique allait causer de grands dégâts. Il s’ingénia à trouver une sortie honorable en encourageant la Société Tunisienne des industries laitières –STIL- à investir dans une nouvelle plantation de palmiers dattiers. Au puissant secrétaire d’état à l’économie nationale qui le harcelait pour entreprendre la politique socialiste agricole, il rétorqua que la nouvelle plantation de la STIL est la parfaite illustration du collectivisme dans son gouvernorat. Mais au plus profond de lui-même, il savait qu’il ne faisait que retarder l’échéance et que s’il ne cédait pas, son limogeage n’était qu’une question de temps.
Cette politique s’avéra payante puisque celle du puissant Ahmed Ben Salah ne tarda pas à péricliter purement et simplement. Les Tunisiens prononcèrent un grand ouf de soulagement. Et Abdessalam Ghédira fut muté à Sousse, regroupant à l’époque les actuels gouvernorats de Monastir, Mahdia et Sousse. Etais-ce le fait du hasard ? Certainement pas. Bourguiba savait qu’Abdessalam Ghédira avait évité, avec beaucoup de diplomatie et autant de savoir faire, de s’impliquer dans la politique collectiviste, et qu’il était l’homme de la situation dans le gouvernorat de Sousse, incontestablement le plus touché par la vague socialiste.
Très à l’aise dans ses nouvelles fonctions, il annonça, en octobre 1969, dans un discours improvisé au Casino de la ville de Sousse, la liberté d’entreprendre. «La joie des Soussiens était indescriptible. Les gens se congratulaient et s’invitaient pour fêter l’événement », se souvient l’un de ceux qui étaient présents à cette réunion ajoutant que « Si Abdessalam, entouré de ses proches collaborateurs, était réellement sur un nuage ». Une journée mémorable, s’il en fut, qu’il n’oubliera pas de sa vie et dont il parle encore aujourd’hui, assis dans ce coin du beau patio où Si Abdessalam recevait ses nombreux invités, particulièrement l’été. Il en parle avec beaucoup de nostalgie en présence des enfants et gendres du défunt, réunis pour évoquer quelques unes des qualités de Si Abdessalam qui fut nommé gouverneur de Bizerte en juillet 1970 avant de devenir Président Directeur Général de la société « Le Bâtiment ».
Beau parcours que celui d’Abdessalam Ghédira, père de neuf enfants, six garçons et trois filles. Evoquant certains événements qui l’avaient marqué, il me raconta dans ce même patio de sa villa de maître à Skanès qu’à l’époque où il était délégué de Monastir, Bourguiba qui tenait à édifier un Mausolée portant son nom, était très content parce qu’après les investigations d’usage on trouva une maisonnette jouxtant le mausolée Sidi Bouzid. « On engagea les travaux sous la direction d’Amor Bouzguenda, tâcheron fort réputé à l’époque », disait Si Abdessalam, les yeux rieurs et l’air amusé, ajoutant que « Bourguiba venait tous les week-ends à Monastir pour inspecter les travaux et en mesurer l’avancement ». Quoi de plus normal. Tout marchait bien jusqu’au jour où Amor Bouzguenda l’informa qu’il fallait construire deux coupoles afin que le Mausolée puisse s’intégrer dans son environnement naturel, à savoir : le cimetière marin de la ville de Monastir en l’occurrence. « J’étais à la fois surpris et choqué par cette proposition », me déclara Si Abdessalam, ajoutant : « Tel que je le connaissais, Bourguiba allait tout simplement opposer un non catégorique sans compter qu’il pouvait piquer l’une de ses mémorables colères ». Résultat : Les travaux restèrent au point mort. Bourguiba ne manqua pas de s’apercevoir de cet arrêt et en demanda la raison. « A cette question, je me tournais vers Amor Bouzguenda le sommant de répondre à la question posée par Bourguiba qui commençait à s’impatienter », précise-t-il tout aussi mal à l’aise à l’idée de répondre à Bourguiba devant le mutisme du tâcheron.
Prenant son courage à deux mains, il dit avec une voix au timbre hésitant : « Monsieur le Président, à ce stade des travaux, Si Amor estime qu’il faut édifier au moins une coupole », dit-il précipitamment enchaînant comme pour justifier cette décision « enfin comme le Mausolée Sidi Mezri ». Les présents s’attendaient à une volte face de Bourguiba qui aurait pu être indigné, lui-même homme à l’esprit cartésien, d’être comparé à un Imam beaucoup plus versé dans la religion que dans les sciences exactes ou encore la politique. A la surprise de tous Bourguiba dit : « Et alors ! Vous pensez que Sidi Mezri mérite mieux ses coupoles ? ». Et Abdessalam Ghédira de rire aux larmes, comme à chaque fois qu’il lui arrivait d’évoquer ce souvenir cher à son cœur. Un souvenir qui le ramenait plus d’un demi siècle en arrière.
Aujourd’hui, entouré des siens, j’ai eu l’impression que Si Abdessalam était parmi nous tellement il était attaché à ce coin où, portant sa Jebba d’une blancheur immaculée, adossé à son fauteuil, il aimait recevoir ses proches, ses amis et autres personnes désirant un conseil de ce sage riche en expériences et disposant d’une influence morale certaine non seulement sur son entourage mais bien au-delà de ce cercle déjà assez large si on compte ses enfants, ses petits-enfants ainsi que les familles parentes et alliées.
Le 3 juillet 2009, jour de son enterrement, plusieurs centaines de Monastiriens et autres connaissances vinrent lui rendre un dernier hommage au cimetière marin de Sidi Mezri. Le chef de l’état ordonna une oraison funèbre où on ne manqua pas de souligner son rôle dans l’édification de la Tunisie moderne. Avec sa disparition, tous ceux qui l’avaient connu perdent en lui la personne affable au regard scrutateur beaucoup plus tourné vers l’avenir malgré le poids des années et des souvenirs qui forcement le ramenaient à son passé glorieux. Pour eux, il restera le respectueux et vénérable Si Abdessalam dominant son monde non seulement par sa grande taille mais également et surtout par sa sagesse et son optimisme.
Repose en paix Si Abdessalam. Nous t’aimons tous.
Mohamed BERGAOUI
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Merci Si Mohamed d\'allier à la grandeur de l\'action du Feu mon père, la beauté de ton verbe pour retracer avec autant de poésie quelques lignes d\'un grande vie. Que dieu bénisse l\'admiration qu\'il avait de dieu et de sa plus belle création qu\'est l\'homme.
Allah yarham feu A.Guédira ce fut un grand Homme qui a milité et su si bien contribuer a l\'édification de sa ville ,et de la Tunisie moderne. Merci a vous si Mouhamed pour avoir si bien écris et rappelé les différentes péripéties de la vie de l\'un de ces grands militants de la Tunisie. que son ame repose en paix ,allah yarhmou.
Je m'incline avec respect et émoi à cette présentation de Mr.M.Bergaoui pour un militant, parmi les bâtisseurs de la Tunisie indépendante et partage avec sa famille et ses proches leur douleur . A.M
Un très bel hommage dans un style attractif au grand homme, feu Si Abdessalam Ghédira, qu\'il repose en paix.
Je m´incline devant cette homme mon ancien Instituteur j´usqua 1954 a l´ecole franco-arabe de Monastir et l´ecole Industrielle de Monastir feu si Abdessalam Ghédira. Que son ame repose en paix. Sterne kann man nicht immer sehen,aber sie sind immer da. un ancien éleve.
un grand Monsieur un combattant un cher à la famille GHEDIRA
Sincéres condoléances .Rahimahoo Allah Rahmaten wassiaah.
et oui c la vie il était mon grand pere adore qui fessait tous pour ses fil et ses petit fils on l`aime beaucoup et surtous moi allahi war7mou ou ina3mou et inchalah on se revera un jour moi et lui inchalah o paradi et oui je doit po oblier si t un nombre de la famille prierre de fair seque papai nos a di avant de mourir c une lettre de lui de fair la priaire et tous fair pour entrer on paradis fair du bien en maximum
et oui c la vie il