Le jour où: Alya Hamza…
Le concept est désormais bien rodé. Mais, en plus des villes du cœur, des moments forts. Alya Hamza, écrivaine et journaliste de talent, poursuit la publication de ses chroniques. Après Mahdia et Tozeur, et en attendant Kairouan, elle livre des souvenirs exquis sous le titre de Le jour où...Chroniques d’une journaliste nostalgique», paru aux Editions Simpact.
En une soixantaine de textes brefs et ciselés, Alya dessine des pièces de puzzle d’une époque, à partir des années 1970, qu’elle a vécue intensément. Reconstituant des ambiances et dressant des portraits furtifs, adossés à des scènes anecdotiques, elle peint ! Son lexique est très varié: il va du Pape à la Reine d’Angleterre, en passant par Bourguiba, Macron, Bouteflika, Jalloud, Johnny Halliday, Catherine Deneuve, Omar Sharif, Feirouz…
Le Sultan Qabous, François Mitterrand, l’Emir Bandar, Bernadette Chirac, l’épouse de Kadhafiet Sheikha Moza ne lui échappent pas eux aussi.
De ses rencontres avec de grands acteurs de divers univers, elle rapporte des souvenirs personnels, piquants. Johnny l’avait déçue lorsque, répondant à une question s’il souhaitait avoir un garçon ou une fille, il lui lança : un lapin. La Reine d’Angleterre se mettra plutôt à lui poser des questions. Elle ratera l’occasion de jouer au bridge avec Omar Sharif, tout simplement parce qu’elle ne savait pas y jouer. Sophia Loren, en vacances à Hammamet, préparera des pâtes. Bouteflika, à la fin d’une interview, demandera à relire ses réponses, mais ne remettra jamais le texte, estimant avoir été très loin dans ses propos
Sur un ton taquin, amusé et nostalgique, Alya Hamza «traite» convenablement ses stars. Elle sait aller au plus savoureux, dans la densité d’un texte concis. Les dessins de Lotfi Ben Sassi illustrent agréablement ses textes, conférant aux chroniques une touche supplémentaire d’humour.
Le jour où, chroniques
d’une journaliste nostalgique
de Alya Hamza
Editions Simpact, 2025
Bonnes feuilles
Le jour où la Reine d'Angleterre m'a interviewée
Oui, la Reine d'Angleterre, Sa Majesté Elizabeth II, par la grâce de Dieu, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la Foi, en gros, celle de la série The Crown. La seule, la vraie, celle sur l'empire de laquelle, jadis, le soleil ne se couchait jamais, mais qui continuait tout de même de régner sur d'exotiques territoires à travers le Commonwealth.
Celle dont les chapeaux et les chiens sont entrés dans I’Histoire.
Bref, la Reine Elizabeth Il était à Tunis, dans le cadre de je ne sais plus quel périple, à bord de son bateau, le Britannia, qu'elle refusa, d'ailleurs, de quitter pour le palais proposé.
Elle en descendit, bien sûr, pour sacrifier à quelques cérémonies. Et au passage, se faire tapoter la joue par Bourguiba, familier de ce geste, affectueux certes, mais totalement iconoclaste dans ces circonstances, car dans le protocole royal, on ne touche jamais la reine.
Les responsables britanniques en perdirent leur flegme, britannique pourtant.
Sa Majesté avait, dans sa bienveillance, accepté de répondre aux questions de l'audacieuse jeune journaliste que j'étais alors. Mais en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, et pour le réaliser, je me rendis compte... que c'était moi qui étais en train de répondre aux questions de la reine, questions sur l'origine de ma vocation, ma formation, les problèmes que je pouvais rencontrer dans mon travail, mes sujets de prédilection !!!
Et quand enfin consciente, je m'exclamais : «Mais Majesté, c'est moi qui suis censée vous interviewer!». L'entretien s'acheva sur un sourire malicieux.
***
Le jour où je n'ai pas joué au bridge avec Omar Sharif
Ce fut uniquement parce que je ne sais pas jouer au bridge. Ni à aucun autre jeu de cartes d'ailleurs. Parce que vous imaginez bien que sachant Omar Sharif le Magnifique à Djerba, pour participer à un tournoi de bridge, j'aurais tout fait pour en être. J'ai tout fait d'ailleurs, non pour participer au tournoi, mais forte de ma carte de presse, pour le couvrir. Ayant promis juré que je rapporterai une interview de la star, mon directeur accepta de m'envoyer sur l'île où l'air est si doux qu'on oublie d'y mourir.
Omar Sharif était là, l'œil de velours et la moustache conquérante, tout auréolé de son prestige du Docteur Jivago qui le fit entrer dans le panthéon du cinéma, mais aussi du rôle subtilement ambigu du Prince Ali dans Lawrence d'Arabie qui lui valut une nomination aux Oscars, ou encore de celui de Mayerling avec Catherine Deneuve. Cette légende vivante du cinéma, celui qui allait tourner 75 films et dont la carrière allait durer 60 ans - on ne le savait pas encore bien sûr - était devant moi.
Et ma foi, étonnamment accessible, disponible et bien disposé. J'en profitais de façon éhontée, lui posant toutes les questions qui font une bonne interview, y compris les plus personnelles. Il avait gagné au bridge la veille, et était d'une humeur charmante... Jusqu'au moment où tout le charme et la magie de Djerba n'eurent plus aucun effet sur un Docteur Jivago devenu maussade et où l'interview retomba comme un soufflé. Une nouvelle était tombée : ce joueur invétéré avait appris que son cheval de course avait perdu au cours d'une dernière épreuve
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Le jour où Abdelaziz Bouteflika m'a volé mon interview
Dieu sait que je m'étais battue pour l'obtenir, utilisant tous les réseaux et connexions possibles, réussissant à l'approcher au cours d'un dîner privé, l'engageant dans une longue conversation qui me fit regarder de travers par les autres convives... Bref, je réussis à arracher une promesse d'interview à celui qui était à l'époque le plus jeune ministre des Affaires étrangères algérien et un des hommes politiques du Maghreb les plus observés.
Armée de mon seul stylo - et hélas pas d'un micro, ce que j'ai amèrement regretté par la suite - je me rendis donc à l'hôtel où était descendu l'hôte de marque. Il me reçut avec beaucoup de grâce, étonnamment disponible, prolixe, brillant, charmant.
L'interview fut passionnante, et Bouteflika n'éluda aucune des questions de géopolitique que l'on m'avait aidée à soigneusement élaborer.
Puis à la fin de l'entrevue, au moment où je le remerciais chaleureusement pour son temps et sa disponibilité, il murmura, la mèche séduisante et l'œil vert qui frise : «Vous m'avez fait dire des choses que je n'aurais peut-être pas dû. Permettez-moi de relire vos notes, je vous les laisserai dans une heure à la réception.»
J'eus beau m'accrocher comme une noyée à mes feuillets, m'humilier en affirmant avoir une écriture épouvantable et indéchiffrable - ce qui est incontestablement vrai - rien n'y fit. Inutile de préciser que je ne revis jamais mon interview.
Vindicative, je m'arrangeais pour être au pied de la passerelle lors de la visite suivante de celui qui était devenu, entre-temps, président. Il me reconnut, me saluant d'un ironique - ou gentil, je ne sais trop - «mademoiselle interview». Puis à mi-voix, s'excusant presque:
«Je ne pouvais pas vous laisser publier ce que vous m'avez fait dire.»
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