Zoubeida Khaldi: Que sais-je et qui je suis ?
Plus je pense, moins je sais qui je suis.
Autour de moi, tant de fureur et tant de bruit...
Je ne sais plus quand dire non, et quand dire oui...
Plus je pense, plus je suis dans le désarroi.
Ce moi, enchevêtrement d’épines et de soie,
Me boude, me sabote et me fuit.
Je cogne, cogite, pleure et prie,
Mais en moi, rien ne verdoie, ni ne luit.
Ce monde qui a perdu saveur, bon sens et valeurs,
Ce monde inquiet, inquiétant qui ne sourit plus,
Me désoriente et aggrave ma myopie.
Oui, je ne vois plus clair, et ce moi de malheur
En profite pour jouer à l’étranger
Et me faire passer pour une dérangée.
Tel Socrate, guidée par mon divin daimonion,
Je pars à la recherche de la clarté.
Mais rien ! Toujours le doute et l’obscurité !
Par monts et vallées, je vais au bord du vide,
Seule, silencieuse, perdue, le regard vide,
Le pas lourd... un peu comme les gosses de Gaza
Portant sur leur dos leurs lourdes larmes,
Se mirant dans le sang, se couchant sur des pierres...
Dans leurs poches, toujours un peu de terre
Et quelques brindilles, comme goûter...
De quoi être dégoûté !
Dans ces silences sournois et ces bruits qui broient
Comment s’entendre avec soi ?
Dans ces ténèbres, on est comme enténébré.
Pas une lampe, ni une lampée de paix
Pour m’éclairer sur ce que je suis ou ce que j’étais...
Et, d’abord, pourquoi en ce sale siècle, suis-je née ?
Mais se peut-il qu’à l’ère de l’IA et des algorithmes
Je ne sache rien sur mes cadences et mes rythmes,
Mes émotions, mes élans, mes angles morts,
Mes points faibles et mes points forts
Et tout ce qui fait ce moi ?...
Mais plus j’avance dans la vie, moins je trouve ma voie...
Dans ce monde immonde, tordu, comment penser droit ?
Que de miroirs déformants autour de moi !
Que de pluies noires ! Que de beaux hors-la-loi !...
Qu’un bon Big-Bang emporte tous ces gangs,
Eux et leur misère, leurs guerres, leur boue, leur gangue !
Qu’un monde moins cruel advienne !
Que meurent l’arrogance et la haine !
Que pousse l’épi et, qu’enfin, palpite la vie !
J’ai toujours rêvé d’un moi serein, scintillant, ailé...
Mais le doute m’a effilochée et tout emmêlée...
Je suis, sans doute, accablée de vertus...
Mais, corps et âme, sens dessous dessus.
A ce moi perdu, flottant, informe,
Je voudrais donner quelque forme
Et des contours confortables, conformes...
Y mettre de l’ordre, le dépoussiérer, l’embellir,
Mettre à portée certains beaux jours,
Effacer ou colorer les plus lourds...
Et, quoique tard, me vacciner contre les cauchemars,
Les illusions, les bêtises, les gros et petits crimes...
Présenter mes excuses au hasard,
Pour mes audaces et mon manque d’estime...
Convertir mes contradictions, dissiper les brouillards...
Mais où est la sortie ou par où le départ ?
Faut se dépêcher ! Autant urgent que salutaire
De chercher mes idées, mes clés et mes repères.
Mais pour ce faire, dois-je me noyer dans toutes les mers
Ou escalader les sept cieux ?
Entre cri et silence, j’erre, la bouche amère...
Je tâtonne et questionne des tonnes
De comment et de pourquoi, sans avancer d’un pas.
Que sais-je et qui suis-je est une question ardue.
Tous se la posent, au moins, une fois dans la vie.
Vrai que certains n’en sont pas revenus...
Dieu, faîtes que, sans douleur, j’accouche de moi !
Et c’est finalement mon petit doigt
Qui m’a refilé le meilleur mode d’emploi :
« Pour déverrouiller ce moi et lui tenir tête,
Ou, avec lui, avoir un beau tête-à-tête,
T’as qu’à t’extraire de toi-même,
Te hisser et te hausser au-dessus de toi. »
Se pencher du dehors sur son dedans,
Me paraît peu prudent... Mais ai-je le choix ?
Alors, calmement, sans être hors de moi,
Je sors, à pas furtifs, de mon temple,
Et, de loin, à loisir, me contemple.
Là, je reste sans voix, quand j’aperçois
Entre ombre et lumière, un monde qui se déploie...
Sur des récifs, un bout de l’image que j’avais de moi...
Une mer furieuse roulant des monts d’émois,
Des secrets qui me ressemblent, et des amas
De certitudes chamboulées, à terre, toutes à plat...
Des tourments déchirants, déchirés...
Des complicités belles, parties en fumée,
Non loin de là, des ambitions clochardisées...
Et çà et là, des débris de rêves brisés
Et d’autres têtus qui tiennent à être réalisés...
Des nuées de désirs muets... Des monts d’inquiétude...
Des deuils non fossilisés... Des mélancolies humides...
Des saveurs et des relents de je ne sais quoi...
Des crépuscules roses et de tremblantes aurores
Dans un chaos étouffant, sonore...
Des remords et pas mal de regrets...
Des peurs, des erreurs, de la stupeur,
Des envols, des crevaisons, des déceptions...
Des attentes et des tentations...
Pêle-mêle, quelques joies or, rayées ou à pois...
Et que de souvenirs malmenés par le temps,
Les uns ensevelis et d’autres vifs, pétillants...
Ce paysage-miroir m’a un peu éclairée.
Dieu soit loué, je suis quasiment sauvée !
Et ce moi perdu, je l’ai comme retrouvé.
A présent, je vois et sais tout... à peu près.
Mais ce que je sais, et de façon certaine,
Sans nul secours du fameux ADN,
C’est que je suis une enfant légitime de Sem,
Et n’ai absolument rien contre moi-même,
Que toute l’humanité, j’aime, et profondément,
A part ceux qui agissent contre elle immodérément,
Combattent la vérité et crachent la haine...
A bon entendeur, Salem !
Zoubeida Khaldi
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