News - 03.11.2025

Zoubeida Khaldi: Que sais-je et qui je suis ?

Zoubeida Khaldi:  Que sais-je et qui je suis ?

Plus je pense, moins je sais qui je suis.
Autour de moi, tant de fureur et tant de bruit...
Je ne sais plus quand dire non, et quand dire oui...
Plus je pense, plus je suis dans le désarroi.
Ce moi, enchevêtrement d’épines et de soie,       
Me boude, me sabote et me fuit.
Je cogne, cogite, pleure et prie, 
Mais en moi, rien ne verdoie, ni ne luit.

Ce monde qui a perdu saveur, bon sens et valeurs, 
Ce monde inquiet, inquiétant qui ne sourit plus, 
Me désoriente et aggrave ma myopie.
Oui, je ne vois plus clair, et ce moi de malheur 
En profite pour jouer à l’étranger 
Et me faire passer pour une dérangée.

Tel Socrate, guidée par mon divin daimonion, 
Je pars à la recherche de la clarté.
Mais rien ! Toujours le doute et l’obscurité !
Par monts et vallées, je vais au bord du vide,
Seule, silencieuse, perdue, le regard vide, 
Le pas lourd... un peu comme les gosses de Gaza
Portant sur leur dos leurs lourdes larmes, 
Se mirant dans le sang, se couchant sur des pierres...
Dans leurs poches, toujours un peu de terre
Et quelques brindilles, comme goûter...
De quoi être dégoûté !     
Dans ces silences sournois et ces bruits qui broient
Comment s’entendre avec soi ?
Dans ces ténèbres, on est comme enténébré.   
Pas une lampe, ni une lampée de paix  
Pour m’éclairer sur ce que je suis ou ce que j’étais...
Et, d’abord, pourquoi en ce sale siècle, suis-je née ?

Mais se peut-il qu’à l’ère de l’IA et des algorithmes
Je ne sache rien sur mes cadences et mes rythmes, 
Mes émotions, mes élans, mes angles morts, 
Mes points faibles et mes points forts 
Et tout ce qui fait ce moi ?...
Mais plus j’avance dans la vie, moins je trouve ma voie...
Dans ce monde immonde, tordu, comment penser droit ? 
Que de miroirs déformants autour de moi ! 
Que de pluies noires ! Que de beaux hors-la-loi !... 
Qu’un bon Big-Bang emporte tous ces gangs,
Eux et leur misère, leurs guerres, leur boue, leur gangue !  
Qu’un monde moins cruel advienne !
Que meurent l’arrogance et la haine !  
Que pousse l’épi et, qu’enfin, palpite la vie !   

J’ai toujours rêvé d’un moi serein, scintillant, ailé... 
Mais le doute m’a effilochée et tout emmêlée...       
Je suis, sans doute, accablée de vertus...
Mais, corps et âme, sens dessous dessus.   
A ce moi perdu, flottant, informe, 
Je voudrais donner quelque forme
Et des contours confortables, conformes...
Y mettre de l’ordre, le dépoussiérer, l’embellir,
Mettre à portée certains beaux jours, 
Effacer ou colorer les plus lourds...
Et, quoique tard, me vacciner contre les cauchemars,
Les illusions, les bêtises, les gros et petits crimes... 
Présenter mes excuses au hasard,
Pour mes audaces et mon manque d’estime... 
Convertir mes contradictions, dissiper les brouillards...
Mais où est la sortie ou par où le départ ?  

Faut se dépêcher ! Autant urgent que salutaire 
De chercher mes idées, mes clés et mes repères.
Mais pour ce faire, dois-je me noyer dans toutes les mers
Ou escalader les sept cieux ?   
Entre cri et silence, j’erre, la bouche amère...
Je tâtonne et questionne des tonnes 
De comment et de pourquoi, sans avancer d’un pas. 
Que sais-je et qui suis-je est une question ardue.
Tous se la posent, au moins, une fois dans la vie. 
Vrai que certains n’en sont pas revenus...  
Dieu, faîtes que, sans douleur, j’accouche de moi !

Et c’est finalement mon petit doigt
Qui m’a refilé le meilleur mode d’emploi :
« Pour déverrouiller ce moi et lui tenir tête,
Ou, avec lui, avoir un beau tête-à-tête,
T’as qu’à t’extraire de toi-même,  
Te hisser et te hausser au-dessus de toi. »  

Se pencher du dehors sur son dedans,
Me paraît peu prudent... Mais ai-je le choix ? 
Alors, calmement, sans être hors de moi,
Je sors, à pas furtifs, de mon temple,
Et, de loin, à loisir, me contemple.
Là, je reste sans voix, quand j’aperçois
Entre ombre et lumière, un monde qui se déploie... 
Sur des récifs, un bout de l’image que j’avais de moi...
Une mer furieuse roulant des monts d’émois,
Des secrets qui me ressemblent, et des amas
De certitudes chamboulées, à terre, toutes à plat...
Des tourments déchirants, déchirés...
Des complicités belles, parties en fumée, 
Non loin de là, des ambitions clochardisées...   
Et çà et là, des débris de rêves brisés 
Et d’autres têtus qui tiennent à être réalisés...
Des nuées de désirs muets... Des monts d’inquiétude...
Des deuils non fossilisés... Des mélancolies humides...
Des saveurs et des relents de je ne sais quoi... 
Des crépuscules roses et de tremblantes aurores
Dans un chaos étouffant, sonore...   
Des remords et pas mal de regrets...
Des peurs, des erreurs, de la stupeur, 
Des envols, des crevaisons, des déceptions... 
Des attentes et des tentations...
Pêle-mêle, quelques joies or, rayées ou à pois...
Et que de souvenirs malmenés par le temps,
Les uns ensevelis et d’autres vifs, pétillants...

Ce paysage-miroir m’a un peu éclairée.
Dieu soit loué, je suis quasiment sauvée !
Et ce moi perdu, je l’ai comme retrouvé.
A présent, je vois et sais tout... à peu près.
Mais ce que je sais, et de façon certaine, 
Sans nul secours du fameux ADN,
C’est que je suis une enfant légitime de Sem,
Et n’ai absolument rien contre moi-même,
Que toute l’humanité, j’aime, et profondément,
A part ceux qui agissent contre elle immodérément,
Combattent la vérité et crachent la haine...
A bon entendeur, Salem !

Zoubeida Khaldi 

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5 Commentaires
Les Commentaires
Mohamed Obey - 03-11-2025 21:19

Bonsoir chère petite-fille fidèle à tes aïeules Euterpe et Calliope Je sens la force de votre colère grande et présente dans vos tropes Mais hélas notre longue histoire est faite de déceptions et de galères Une femme sensible ne se connait elle-même que dans le regard réciproqué d'une glace, que face aux dures épreuves et déboires cela-même est l'originel privilège Seuls les sages stoïques souffrent et supportent la brulure des flammes en continuant à rejeter la reddition même si leur vies sont des vides, des vides qu'elles ont du mal combler ! des abîmes, des trous noirs, des gouffres jonchent votre chemin , son chemin, nos chemins à tous et nous devrons d'un espoir vers un futur espoir déambuler... Voilà petite-fille d'Euterpe et Calliope

annabi hichem - 04-11-2025 09:49

j'aime beaucoup le style d'écriture de l'écrivaine et ca me donne envie de procéder à une introspection de ma personne

khaled annabi - 04-11-2025 10:18

Beau poème autant enjoué qu'incisif qui souligne notre désarroi dans le contexte que nous vivons et qui vient mettre un certain point sur un certain i

M. Ch. - 04-11-2025 14:57

Bravo! Zoubeida récidive et nous fait part dans ce fabuleux poème, de son profond désarroi face à l'absurdité d'un monde en détresse où elle ne se reconnaît plus .Un monde méconnaissable en effet, où les mots n'ont plus de sens puisque la "novlangue et "la double pensée" prophétiques de Georges Orwell leur servent de substituts.Nous devons donc admettre que"l'esclavage signifie la liberté", que" la guerre signifie la paix",et que le progrès égale la souffrance".. Dans ce style inégalable qui lui est propre,sa sensibilité exacerbée de poète s'exprime avec de mots brefs qui claquent comme des coups de fouet et par des sons secs, vifs et percutants qui retentissent comme un appel à l'éveil de nos consciences endormies. À chaque nouveau poème , Zoubeida gagne en profondeur et en lucidité.

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