News - 14.12.2025

Slaheddine Belaïd: Requiem pour la défunte UMA

Slaheddine Belaïd: Requiem pour la défunte UMA

A la suite de la reconnaissance par Donald Trump de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental en échange de l’établissement de relations diplomatiques avec Israël, la région du Maghreb a connu un regain de tension entre l’Algérie et le Maroc qui a abouti à la rupture de leurs relations diplomatiques en août 2021. La gravité de cette crise m’avait inspiré en octobre 2022 une réflexion sur le devenir de l’UMA que je pensais faire publier mais il m’avait apparu, après relecture, que je péchais par excès de pessimisme et qu’il valait mieux que je m’abstinne de jouer les Cassandre sur un sujet aussi délicat. Malheureusement, les prises de position qui fleurissent de nos jours sur les réseaux sociaux et même sur certains médias ayant pignon sur rue font craindre un avenir encore plus sombre que ce que je prévoyais. Voici, d’abord, en paragraphes I et II, le texte de 2022 :

I- La montée de tension entre l’Algérie et le Maroc

« A partir de l’automne 2020, un enchainement dramatique d’évènements reliés à l’affaire du Sahara Occidental va entraîner une détérioration de plus en plus grave des relations entre l’Algérie et le Maroc allant jusqu’à la rupture des relations diplomatiques entre les eux pays en août 2021. Il y eut, d’abord, en octobre 2020, le blocage, par les forces du Polisario, de la seule route qui relie le Maroc à la Mauritanie au niveau de la zone tampon de Guerguerat. Bien que cette zone se trouve dans la partie du Sahara Occidental sous contrôle du Polisario, ce dernier avait toléré jusque-là l’utilisation du tronçon de route qui la traverse par les camions marocains se rendant en Mauritanie et au-delà, en Afrique Occidentale. Le 13 novembre, une opération militaire d’envergure est déclenchée par le Maroc pour rétablir et sécuriser le trafic sur ce tronçon de route entraînant, par réaction, l’annonce par le Polisario, de la fin du cessez-le-feu conclu en 1991 sous l’égide de l’ONU.

Les choses auraient pu en rester là s’il n’y avait pas eu, en date du 10 décembre 2020, la reconnaissance par l’Administration américaine, de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental en échange de l’établissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël.

Cet évènement majeur va changer complètement la donne non seulement en ce qui concerne le conflit du Sahara Occidental mais également toute la géopolitique du Maghreb déjà lourdement impactée par les effets de la « révolution du printemps arabe ». Forte d’un appui aussi important, la diplomatie marocaine va se montrer plus offensive ; ainsi, le 14 juillet 2021, le représentant du Maroc auprès de l’ONU apporte ouvertement son soutien au mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). La mise au point très tardive du chef du gouvernement marocain affirmant que l’initiative de son représentant à New York « ne reflète pas la position politique du Maroc » ne paraît pas très convaincante. Entre temps, l’Algérie a réagi en rappelant immédiatement son ambassadeur à Rabat puis en accusant le Maroc d’être « indirectement impliqué », via son soutien au MAK, dans les feux de forêts qui endeuillé la Kabylie au mois d’août. A cette ambiance délétère sont venus s’ajouter les révélations sur l’utilisation par le Maroc du logiciel espion israélien Pegasus pour cibler des militaires et des journalistes algériens et les déclarations faites par le ministre des affaires étrangères israélien lors de sa visite au Maroc le 12 août 2021 accusant l’Algérie   de « jouer un rôle malsain avec l’Iran et dans la région ». La rupture des relations diplomatiques, devenue, à ce stade, inévitable, est actée par le Président Abdelmajid Tebboune le 21 du même mois. Dans la foulée, l’Algérie met à exécution sa menace de ne pas renouveler le contrat d’exploitation du gazoduc Maghreb-Europe qui expire le 31 octobre 2021 privant ainsi le Maroc « frère » non seulement de la taxe de transit mais également du quota annuel de gaz naturel qu’il prélevait depuis la mise en service du gazoduc en 1996 pour couvrir une partie de ses besoins en énergie.

Au mois de novembre 2021, la tension entre les deux pays va encore monter d’un cran. En effet, le premier du mois, un convoi civil algérien est la cible d’un raid aérien au niveau de Bir Lahlou dans la partie du Sahara Occidental sous contrôle du Polisario ; bilan : trois civils algériens tués.  Pour les autorités algériennes il ne fait pas de doute que l’armée marocaine est derrière cette opération ; du côté marocain, il n’y a ni dénégation ni confirmation de ce qui aurait pu passer pour une bavure comme il en arrive souvent dans les zones de conflit. Le 24 du même mois a lieu la visite à Rabat du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, visite au cours de laquelle est signé un accord de coopération sécuritaire entre les deux pays. En moins d’un an, Israël est arrivé à implanter une tête de pont au cœur du Maghreb qui pourra servir un jour à le faire imploser comme ce fut le cas du Moyen Orient.

II- Quel avenir pour l’UMA ?

La question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si l’Union du Maghreb Arabe pourra survivre à cette nième crise dans les relations entre l’Algérie et le Maroc ; depuis plus d’un quart de siècle, l’institution maghrébine est maintenue par ses fondateurs dans un état de profond coma avec l’espoir de voir, un jour, disparaître les causes de tension entre les deux plus grands pays membres. On peut, donc, s’attendre à ce que les choses restent en l’état encore une ou plusieurs décennies. Par contre, la paix dans la région du Maghreb est sérieusement menacée par les retombées potentielles de l’accord de coopération sécuritaire entre Israël et le Maroc. Le cessez-le-feu de 1991 étant devenu caduc, rien n’empêchera le Maroc, en cas de reprise des hostilités avec le Polisario, d’utiliser les techniques et les armes sophistiquées qu’il pourrait acquérir auprès d’Israël pour cibler les unités combattantes de ce dernier là où elles se trouvent y compris en territoire algérien. Il y aurait alors un casus belli flagrant avec l’Algérie.

Les chefs militaires du Polisario pourraient, également, subir le même sort que leurs homologues du Hamas à Gaza. Plus grave encore, serait l’utilisation de la soft power américano-israélienne pour déstabiliser l’Algérie et, par voie de conséquence, la Tunisie voisine. Une telle hypothèse est loin d’être irréaliste : il suffirait d’un retour de Donald Trump à la présidence des Etats Unis en 2024 pour que ce scénario catastrophe devienne tout à fait plausible. »

III– Développements récents à partir d'octobre 2022

Aujourd’hui, Donald Trump est de nouveau à la Maison Blanche pour un deuxième mandat qui durera – sauf impeachment - jusqu’à début 2029. Depuis son investiture en janvier 2025, le nombre de pays qui soutiennent le plan d’autonomie marocain pour le Sahara Occidental a connu une progression exponentielle. Certes, ce résultat est à mettre essentiellement à l’actif de la diplomatie marocaine et de son chef, le dynamique Nasser Bourita, mais on ne peut exclure un appui en coulisses de la part des Etats Unis auprès de certains pays qui leur sont proches. L’intervention directe de la Maison Blanche va prendre la forme d’un projet de résolution présenté au Conseil de sécurité de l’ONU recommandant de prendre le plan d’autonomie marocain « comme base d’une solution juste, durable et mutuellement acceptable du différend ». Cette résolution portant le numéro 2797 est votée le 31 octobre 2025 à une large majorité au grand dam de l’Algérie pourtant membre non permanent du Conseil qui s’est contenté d’afficher sa non-participation au vote.

Si l’Algérie a adopté un profil bas sur la question du Sahara Occidental, c’est qu’elle se sent aujourd’hui menacée par des dangers autrement plus graves ; les dissidents kabyles, encouragés en sous-main par les services secrets marocains et américains, ont fixé au 14 décembre 2025 la date de déclaration solennelle de l’indépendance de la Kabylie. Les objectifs poursuivis par les véritables commanditaires de l’opération vont au-delà de la simple sécession des régions kabyles, sécession que les dirigeants algériens pourraient facilement contrecarrer. Pour les américains, c’est un moyen de pression sur l’Algérie pour l’amener à reconnaître l’Etat d’Israël tandis que pour les marocains cette atteinte à l’intégrité territoriale de l’Algérie pourrait leur ouvrir la voie pour une remise en question du tracé de la frontière avec leurs voisins algériens. Déjà, de nombreuses voix s’élèvent au Maroc pour revendiquer la récupération de la partie du Sahara Est-algérien couvrant les régions de Tindouf et de Béchar jusque – et y compris – Reganne et la vallée du Touat, considérées comme faisant historiquement partie du Grand Maroc. Or, les deux pays avaient conclu en juillet 1972 un accord, connu sous le nom de « Traité d’Ifrane », fixant définitivement le tracé de leur frontière commune. La remise en cause unilatérale de ce traité constituerait un casus belli pour l’Algérie. Il convient ici de rappeler que, pour éviter ce genre de conflits, l’Union Africaine avait, dès sa création, inscrit dans ses statuts le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation et qu’une première guerre dite « guerre des sables » avait éclaté en 1963 entre le Maroc et l’Algérie suite à l’échec des premières négociations sur le tracé de leur frontière commune.

En Tunisie, la perspective d’une sécession de la Kabylie a suscité une campagne médiatique pour réclamer la récupération d’une zone saharienne située à l’ouest d’El Borma qui a été rattachée indûment par la France à l’Algérie au temps du Protectorat(1). Là, aussi, il y aurait remise en cause d’un accord frontalier entre deux pays maghrébins, celui ratifié par la Tunisie et l’Algérie en 1970 et enregistré aux Nations Unies en 1993. L’entente cordiale qui caractérise depuis quelques années les relations tuniso-algériennes risque de voler en éclats au cas, peu probable heureusement, où le gouvernement tunisien se hasarderait à reprendre à son compte une telle revendication. Sur un autre plan, on peut s’attendre à ce que des pressions soient exercées sur la Tunisie pour l’amener à établir des relations diplomatiques avec Israël. Les officines étrangères spécialisées dans les actions de déstabilisation ne manqueront de prétextes pour s’attaquer au régime tunisien : exercice autocratique du pouvoir, atteintes aux droits humains et aux libertés, répression à l’encontre des opposants politiques et des journalistes indépendants sont autant d’alibis pour justifier leurs éventuelles interventions.

Si on ajoute à ce tableau la partition de fait de la Lybie, entretenue par les gouvernements rivaux de Tripoli et de Benghazi, on se rend compte que l’avenir du Maghreb arabe est bien sombre. Ce qui est entrain de se mettre en place dans notre région constitue la première phase d’un projet de remodelage du Maghreb à l’instar de ce qui a été réalisé au Moyen Orient. Elle consiste à créer le chaos dans la région pour pouvoir la recomposer par la suite en fonction des intérêts de puissances étrangères. Une deuxième guerre des sables entre le Maroc et l’Algérie et la création d’un Etat Kabyle seraient, très probablement, suivies par la prise de contrôle des richesses du Sahara algérien (minerai de fer de Garet Djebilet dans la région de Tindouf, hydrocarbures et gaz de schiste dans les autres parties du Sahara). Pays pauvre en richesses naturelles, la Tunisie sera peu affectée par un tel chamboulement mais perdra les avantages que lui procurait sur le plan commercial sa proximité avec l’Algérie. Je reste persuadé qu’aucun dirigeant maghrébin ne souhaite l’avènement de ce scénario catastrophe, mais dans la nouvelle ère inaugurée par Donald Trump où la force prime sur le droit dans les relations internationales, rien ne peut être exclu.

Slaheddine Belaïd

1. Cette revendication avait été présentée à la France en février 1961. Son rejet par le général De Gaulle avait été très mal accepté par le président Bourguiba et a, probablement, contribué au durcissement de la position tunisienne sur l’évacuation de la base militaire de Bizerte (Pour plus de détails sur cet épisode : se reporter à mon article « Les dessous de la guerre de Bizerte » publié sur Leaders le 11mai 2025). 





 

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