Opinions - 02.03.2013

Plaidoyer pour l'union nationale

Que faire ? Telle a été la question à laquelle j’ai essayé de répondre le 25 décembre 2012 dans un article publié par le journal Le Maghreb. Cette réponse n’a pas attiré l’attention, étant donné que les politiciens ne faisaient que se disputer, se quereller et s’accuser mutuellement en laissant la situation se détériorer, la violence s’aggraver de jour en jour jusqu’à provoquer le drame de l’assassinat de Chokri Belaïd, chef d’un parti politique de l’opposition.

Nous sommes parvenus à cette situation catastrophique parce que nous avons traité de manière normale et «routinière» l’évènement exceptionnel que représente une révolution populaire ayant créé des situations exceptionnelles et ce au moyen d’une série de gouvernements temporaires ou transitoires ne disposant ni de la crédibilité ni du temps nécessaires pour maîtriser les évènements et trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Il aurait fallu adopter la seule solution qui a prouvé son efficacité dans le traitement des situations exceptionnelles comme en France et en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale ou la réunification des deux Allemagnes, celle de l’Est et celle de l’Ouest. Cette solution, c’est celle de «l’union nationale» regroupant toutes les forces du pays pour sauver la patrie.

L’article cité ci-dessus, qui vient après de nombreux autres articles publiés à partir du mois de mars 2011, m’a permis de préciser les objectifs et l’organisation du système de l’union nationale, étant donné que les évènements vécus depuis deux ans ont démontré que nous avons adopté une voie non passante. Nous devons par la suite avoir le courage d’unir nos efforts pour sauver un pays blessé et dont l’avenir est menacé dans tous les domaines, territorialement, humainement, économiquement, financièrement et culturellement.

La succession de gouvernements «provisoires» a débouché sur une tentative de «remaniement ministériel» qui a pris 6 ou 7 mois et qui a avorté devant les exigences contradictoires des différents partenaires.

La situation générale du pays est telle qu’aucun gouvernement dominé par une coalition politique dirigée par le parti dit majoritaire n’inspirera confiance au pays, le premier souci d’une telle coalition étant de «mettre la main» sur tous les moyens susceptibles de lui assurer une présence permanente au pouvoir de nature à lui permettre de «transformer» le pays selon ses choix. Il est clair dans ce cas que les élections qui auront lieu dans ce cadre ne pourront guère inspirer confiance et peuvent conduire à des difficultés énormes.

C’est devant une telle impasse que l’ex-chef du gouvernement Hamadi Jebali a eu le courage de proposer un gouvernement de «compétences» non concerné par les batailles politiques, dont les membres n’appartiennent clairement à aucun parti politique et qui ne pourront être candidats à aucune sorte d’élection. C’était le seul moyen, après les 7 mois consacrés au remaniement ministériel, d’espérer pouvoir organiser actuellement des élections sincères et crédibles. On ne voit pas comment des «politiques» peuvent s’abstenir de toute intervention dans les élections pour favoriser leur parti ou leur coalition.

Il est nécessaire cependant de réunir certaines conditions pour réussir cette nouvelle tentative audacieuse.

En premier lieu, ce gouvernement de compétences doit recevoir l’appui de l’ensemble ou de la majorité des partis politiques et des organismes de la société civile pour ne pas rester isolé et aller à l’échec.

L’on doit donc constituer une commission politique au sens général du terme regroupant les représentants de la plupart des partis influents et les organismes les plus représentatifs de la société civile qui jouent un rôle important dans le pays et qui ne sont pas représentés comme les partis à l’Assemblée nationale constituante.

Ainsi le gouvernement, n’ayant plus à s’occuper des questions politiques litigieuses, pourra se consacrer à réaliser les objectifs sécuritaires, économiques et sociaux restés en «panne» jusqu’à ce jour. Il sera appuyé par la commission dans ses efforts et soutenu auprès de l’opinion publique.

La commission, de son côté, aura à s’occuper des questions d’ordre politique restées en suspens, dont en premier lieu la Constitution, pour aider l’ANC à sa finalisation rapide. Elle doit également traiter de toutes les questions non encore résolues et résultant des suites de la Révolution dont les procès relatifs aux dirigeants ou complices de l’ancien régime et qui ne doivent pas traîner excessivement pour ne pas nuire à l’image du pays.

Enfin elle aura à établir les lois et règlements à soumettre à l’ANC et concernant le système électoral, le statut des partis politiques et les différentes hautes instances compétentes pour l’organisation des élections et les secteurs de l’information et de la justice. Il lui revient enfin d’assurer le contact direct et constant avec les différentes catégories sociales du pays dont notamment les jeunes et les organismes économiques et culturels à l’effet d’informer pleinement et sereinement la population. Elle ne remplacera pas l’ANC, ne devant pas compter plus de 20 membres titulaires. Du reste, gouvernement et commission doivent rendre compte de leur action à l’ANC.

En second lieu, il faut donner du temps au temps pour ne pas précipiter un échec de cette ultime tentative de sauvetage pouvant de nouveau entraîner des situations encore plus difficiles.

Le temps: le pays, après deux ans de tumulte, d’essoufflement et de tension, a besoin de calme et de sérénité, de paix et de stabilité. On oublie souvent que la proposition en cours de gouvernement de «compétences» est le cinquième après deux gouvernements Ghannouchi, un gouvernement Caïd Essebsi et un gouvernement Jebali, et celui éventuel annoncé pour septembre 2013 sera le sixième en moins de 3 ans, soit deux gouvernements par an, ce qui est extravagant.

Si, par ailleurs, on vient à annoncer des élections pour les derniers mois de cette année 2013, on retombera  dans la fièvre des élections sans avoir eu le temps de mettre en place les dispositions et le climat nécessaires au succès de ces élections.

Il faut donc stabiliser le pays pour lui permettre de progresser. Il y a lieu à cet effet de prévoir une période de stabilité pour le gouvernement qui va être mis en place quelle que soit sa composition. On a suggéré une période de 3 ans, qui semble un minimum si l’on veut réaliser quelque progrès pour mettre fin à la crise.

Il est vrai que cela est de nature à «frustrer» les «impatients» mais ils sont priés de se «calmer» dans l’intérêt supérieur du pays et pour l’amour de la patrie. Cette période de 3 ans est nécessaire pour plusieurs raisons.

La première consiste à traiter les problèmes les plus urgents dont notamment le rétablissement de la sécurité sous l’égide des institutions légitimes de l’Etat et l’élimination de tous organismes de «protection» et de sécurité partisans ou parallèles. Il y a dans ce domaine un travail énorme à faire pour que le Tunisien et le visiteur se sentent réellement en sécurité.

La deuxième consiste à agir d’urgence dans les domaines économiques qui nécessitent un redressement. Le chômage en premier lieu où les solutions efficaces sont possibles et j’en ai déjà exposé au moins deux possibles. Une attention spéciale doit être accordée aux jeunes diplômés. Il faut fermer cette plaie le plus tôt possible.

Ensuite vient l’emploi qui nécessite des investissements importants qui ne sont possibles que si la sécurité et le calme sont réalisés.

Enfin, la promotion des régions défavorisées au Sud et à l’Ouest du pays ainsi que l’amélioration du niveau de vie des catégories de la population les plus démunies.

La seconde raison qui explique la période de 3 ans s’explique par la nécessité d’établir un Plan de développement 2014-2020 pour dessiner l’avenir du pays d’ici quelques années.

Ce plan doit concerner les réformes principales à initier au cours de la période de trois ans et à achever avant l’année 2020.

La troisième, et probablement la plus importante, concerne la réforme du système éducatif ainsi que les réformes concernant le système financier et fiscal et aussi les rapports avec notre partenaire principal: l’Union européenne.

Afin de permettre au gouvernement, à la commission et à l’ANC de fonctionner harmonieusement dans la sérénité et le calme, il y a lieu de remplacer les élections par un référendum qui ne provoque pas des perturbations comme des élections  opposant plusieurs partis concurrents. Dans le cas du référendum, il n’y a pas de sièges à occuper et donc moins d’agitation. Ce référendum a pour objet de donner aux dispositions à prendre la légitimité nécessaire.

Il s’agit du choix du gouvernement de compétences et de la commission politique, de l’ajournement des élections jusqu’à la fin de la période de 3 ans, de la prolongation du mandat de l’Assemblée constituante en spécifiant que ses décisions doivent être prises à la majorité des 4/5es pour éviter la perturbation de l’ensemble du système et parvenir à une réelle «union nationale», seule solution s’imposant pour sauver le pays et le mettre sur les rails.

On aura ainsi mis en place les lois et institutions nécessaires et réalisé l’esprit de concorde entre les Tunisiens, le travail en commun et l’élimination de la discorde et de la vindicte. On pourrait alors vivre un régime démocratique paisible et durable et suivre le mécanisme traditionnel du temps de paix démocratique avec des élections crédibles, un gouvernement aussi modeste qu’efficace et une opposition aussi objective qu’effective.

Alors la Tunisie sera un pays modèle comme elle a toujours espéré l’être.

M. M.
Lire  Le projet d’accord sur l’union nationale

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