La communauté noire tunisienne : une minorité en mal de reconnaissance
Enfant du baby boom, mon adolescence a été bercée notamment par les héros des indépendances africaines: le Ghanéen, Kwame Nkrumah qui rêvait des Etats Unis d’Afrique ; le Congolais Patrice Lumumba, l'un des principaux artisans de l'indépendance de son pays ; le Guinéen, Sékou Toure, l'homme qui a dit non au général De Gaulle ; Nelson Mandela, le héros de la lutte contre l'apartheid. C'était le bon vieux temps du tiers-mondisme triomphant et du panafricanisme. On dévorait les ouvrages du militant anticolonialiste, l’Antillais Frantz Fanon : « Pour la révolution africaine », « Peau noire, masques blancs » et surtout, son maître-livre, « Les damnés de la terre. On s’identifiait à la communauté afro américaine dans son combat contre le racisme et pour l'égalité des droits avec les blancs. On admirait Malcolm X, Martin Luther King, Angela Davis.
Depuis Hannon et son fameux périple, la Tunisie n’a jamais cessé de revendiquer sa dimension africaine. N’a-t-elle pas donné son nom à ce continent, comme Bourguiba ne manquait jamais de le rappeler à ses interlocuteurs africains. Notre pays s’enorgueillit aussi d’avoir aboli l’esclavage en 1846, deux ans avant la France et dix neuf ans avant les Etats Unis. Pendant des années, il a été à la pointe du combat contre le colonialisme et l’apartheid. Certes, on peut regretter que nos relations avec les pays subsahariens se soient distendues depuis une bonne vingtaine d'années, mais la Tunisie a su y garder un capital de sympathie appréciable.
Terre d'immigration, la Tunisie a accueilli depuis trois siècles une forte communauté en provenance de l'Afrique subsaharienne qui s'est fondue, malgré les vicissitudes de l'histoire, et à l'instar des autres immigrés qu'ils soient Arabes du Maghreb ou du Machrek, Andalous, Turcs ou juifs livournais (les Grana) dans le melting pot tunisien. Déjà en 1848, un voyageur français l’estimait à 167000 personnes pour 2 millions d'habitants. Aujourd’hui, elle compterait près de 800000 personnes, ce qui représente 8% de la population. Bien intégrée, elle souffre, néanmoins, d’un manque de visibilité dans bien des secteurs : très peu de médecins, d’universitaires; d’avocats; d’hommes d’affaires; de magistrats; une seule ambassadrice qui se trouve être la fille de l'unique ambassadeur noir qu'on ait eu, le regretté Béchir Gueblaoui ; aucun présentateur du journal télévisé; un ou deux élus à l’Assemblée; quelques conseillers municipaux. De toute évidence, l’ascenseur social qui a fonctionné à plein régime au début de l’indépendance, suite à la démocratisation de l’enseignement n’a pas profité ou si peu à cette communauté.
Bizarrement, Personne ne trouve à y redire. Avant la révolution, cette question était taboue. Mais, aujourd’hui encore, elle est trop souvent occultée. Et même si par extraordinaire, on l'évoque, c’est pour la minorer. On pense à l'histoire de la paille et de la poutre. On dénonce volontiers les travers d'autrui, mais on ferme les yeux sur nos propres défauts. On dénonce le racisme des autres, mais on préfère jeter un voile pudique sur des actes qui s' y apprentent quand ils se produisent chez nous. Peut-être parce que le sujet est à forte charge émotionnelle et qu’on craint, en s'y attaquant, d’ouvrir la boîte de Pandore. A moins que ce silence ne soit celui de la mauvaise conscience.
Comment mettre fin à cet état de fait ? En développant une pédagogie de la tolérance, notamment dans les écoles ou les médias, en inscrivant les droits des minorités dans la constitution. Il ne faut pas hésiter à tordre le cou à des préjugés qui sont devenus avec le temps des vérités d'évidence. Et si cela se révèle insuffisant, pourquoi ne pas criminaliser les insultes racistes ou le fait d'obliger nos concitoyens noirs à faire précéder leur nom patronymique par le mot atig (affranchi) .Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cela se passe dans certaines régions de Tunisie, en 2013, soit 167 ans après l'abolition de l'esclavage. Plus que jamais, la procrastination n’est pas indiquée, car Il vaut mieux traiter ce genre de questions aujourd'hui, à froid, dans un climat apaisé que de le faire demain dans l’urgence, contraints et forcés.
Il n’y a jamais eu de conflits raciaux dans notre pays. Mais ceci ne nous dispense pas de faire preuve d'empathie à l'égard de cette communauté, d'éviter tout ce qui peut ressembler à de la condescendance, les confusions sémantiques en apparence innocentes, mais qui déclenchent, à juste titre, l'indignation de nos compatriotes comme le fait d'utiliser le mot oussif pour désigner un noir alors qu'il a une autre acception(esclave)
Malheureusement, les choses n'évoluent pas dans le bon sens, surtout dans certaines régions du sud pour cause de pesanteurs socioculturelles. Face à l'inertie de l'Etat, il incombe à la société civile de s'investir davantage dans cette entreprise.
Hédi Béhi
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Des vérités bonnes à dire et à transmettre de proche en proche pour atteindre une véritable société inclusive, humaine parce qu'enfin humanisée et réconciliée avec son histoire et les générations actuelles.
il y a quelque années j 'ai souhaité faire une étude sur les tunisiens noirs dans le sud je n'ai pu la réaliser le sujet était tabou mais j ai pu observer que lors du repas les ouvriers ds oasis se scindaient en deux groupes or le partage de la nourriture est hautement symbolique .les mariages mixtes sont un indicateur on peut trouver une blanche marié a un noir je n ai jamais rencontré l 'inverse.dans les familles bourgeoises tunisiennes y compris intellectuelles il était chic d 'avoir de la domesticité noire cela avait un air post -esclavagiste les enfants noirs abandonnés à l 'orphelinat de Gabès ne trouvaient pas de familles adoptantes.ce phénomène n 'est pas hé las pas particulier à la Tunisie à Cuba ou Fidel Castro faisaient des discours interminables en pur castillan aucun noir ne l 'entourait .au Bresil les habitants des favellas sont noirs ou métis peu d'étudiants dans les universités brésiliennes.aux Antilles en Nouvelle Calédonie qui détient le pouvoir économique il y a une question noire;Melek Chebal l 'anthropologue franco-algérien a écrit un livre sur l 'esclavage en terre d 'islam.à Zanzibar on trouve encore la trace des omanais et au sultanat d 'Oman beaucoup d 'officiers de l 'armée de l 'air sont noirs etc la situation est complexe il faut étudier cas par cas en Afrique il y a des castes parmi les noirs.celà dit la situation évolue une noire e le revendiquant est minstre de la justice Mme Taubira quand les noirs tunisiens seront ils des citoyens comme les autres sans parler des juifs tunisiens dont la majorité est berbère quand on déclame que la religion d 'état est l 'Islam c 'est les renvoyer à une situation de post dhimitude intolérable dans une vraie démocratie on ne peut dénoncer le racisme en France par exemple sans balayer devant notre porte
Excellente analyse M. Béhi. Là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est que vous sembler accepter l'inertie de l'Etat. Certes, la société civile a un rôle crucial dans la lutte contre le racisme. Le rôle de l'Etat demeure néanmoins de premier plan, de locomotive. Une action simple et qui ne "coûte" rien serait que les hauts responsables de l'Etat se prononce publiquement et régulièrement contre toutes les formes de racisme et de discrimination. Donner l'exemple reste toujours le meilleur moyen d'éduquer.
Enfin un article sur ce sujet largement occulté !
@ Joseph Desire Som I Merci pour ton commentaire, infiniment merci, surtout la fin de ton texte, concernant "la tolérance";jallais régir à cette ineptie, scandaleuse, mais tu as tout dit, inutile d'en rajouter et pourvu que Hédi behi aura compris la portée de sa bourde...Inconscience, quand tu nous tiens!... La Tunisie , sans conteste, est un pays raciste, profondément raciste et l'Islam, qu'on le veuille ou pas, contribue largement à cette merde sans nom. N'est-ce pas les Arabes avant l'Islam et surtout après, qui on initié l'esclavage en Afrique, bien avant le commerce triangulaire européen, commencé dès le XVIème siècle et auxquels les Arabes; on servi de "grossistes", de rabatteurs d'esclaves fourgués aux négriers européens établis sur la côte ouest d'Afrique? A ce propos, je me permets de t'indiquer le roman du malien Yambo Ouologuem, " Le devoir de violence", paru en 68 en France, interdit illico, "toléré"(pardon) à nouveau en 2003, aux éditions Le serpent à Plumes. Mais je suis quasiment sûr que tu l'as déjà lu... A Tunis, il existe un lieu, derrière la Kasbah, appelé "Souk el6abid" ( le marché aux esclaves), où figurait, scellé dans la pierre, un anneau métallique...Cet anneau, même s'il a disparu concrètement, continue à gangrener la majeure partie des cerveaux tunisiens, "intellectuels, modernistes, républicains et démocrates"compris. J'en arrive à vomir ce pays qui est le mien.
Bien dit Mr Joseph, vous avez mis le doigt sur le vrai problème en Tunisie! je ne me reconnais dans dans la problématique de Mr Béhi qui a juste transposé un problème européen à la Tunisie comme le font les bourguibistes ... et il a trouvé une solution à un un problème qui n'existe pas! Nous les tunisiens sommes racistes y compris moi même (1/4 black). je dis oussif, kahlouch ... et tout ce qui va avec. le plus étonnant et ce qu'un frère peut dire ces mot pour "insulter"(donc pas pour dire du bien) son frère... Et enfin, tolérance?, ça veut tout dire ...
Monsieur Hédi BEHI, Je vous sais gré d'avoir posé et aussi clairement formulé cette question du manque de visibilité/reconnaissance envers la branche "à peau noire" de la nation tunisienne.Cette forme d'intolérance voire de rejet me mettait franchement en colère d'autant que à chaque fois que j'osais l'aborder en face d'interlocuteurs tunisiens à "peau blanche" je ne constatais aucune envie d'en débattre sérieusement .Merci sincèrement d'avoir engagé ce débat.Sans doute faudra-til l'engager vis à vis d'autres composantes de la nation tunisienne!Je pense entres autres aux "binationaux ou biculturels",..Bien à vous -Pierre Sélim LEBRUN
Enfin, on propose de se mettre calmement à débattre d’un vrai sujet qui, je le crois, est malheureusement assez ancré dans la société tunisienne : à savoir le racisme envers la population noire. Et voilà qu’un commentateur fait la fine bouche. Quand je lis cet article, je n’y décèle aucune condescendance. Oui, le terme de tolérance est peut-être malvenu, mais M. Hédi Béhi propose qqchose lui !! Et ce n'est pas de la miséricorde : pénaliser l'emploi administratif du terme « atig » est une chose salutaire ; bannir dans le langage courant l’utilisation du terme « oussif » en est une autre. Il faudrait y ajouter l’insupportable et pourtant très répandu « kahlouche » (noiraud). M. Béhi souligne également, à raison, le manque de représentativité des noirs dans le monde politique, dans les médias, parmi les cadres d’entreprises… Donc, non, M. Joseph Desir Som I, votre grille de lecture (qui s’appuie soit dit en passant sur une citation inexistante dans le texte) ne s’applique pas du tout, selon moi, à cet article et votre position est tout à fait non constructive.
Oui, Josep Désiré Som, vous avez raison et il ne faut pas tenter de "voiler le soleil avec un tamis". Nos sociétés sont racistes et je peux témoigner de quelques cas directs. Incontestable. Idem vis-à-vis des juifs mais idem aussi de région à région, de ville à ville parfois. Mais au fond qui n'est pas raciste. Ne croyez-vous pas qu'en Afrique subsaharienne la discrimination n'existe pas (Hutus/Tutsis pour citer le cas le plus flagrant). Il faut sans doute se poser la question, en général et se demander si la racisme n'est pas au fond qu'une "simple" (si j'ose dire) forme d'ignorance de l'autre et l'expression d'une identité probablement elle-même en crise. Une maladie comme une autre dont on guérit ... avec le temps. La seule chose à éviter serait de la nier.
Bonjour. Pourriez-vous documenter davantage le terme Atig et m'informer en quelle occasion ce mot est employé. Merci
C'est dommage encore une fois de voir des tunisiens œuvrer pour la fissuration de leurs pays. Les uns utilisent la religion, d'autres les régions et le plus inattendus la couleur de nos peaux. Sachez messieurs que la majorité des tunisiens n'est ni noire ni blanche et soyez une fois pour toute tranquilles. Aidons notre pays à aimer le travail productif et protecteur de la bonne santé et de du sain environnement. Le pays a besoin de se concentrer sur son développement et non sur des sujets qui provoquent la haine entre les citoyens. Soyons plus sérieux et respectons nous les uns les autres.
Cher Monsieur Je n'ai à vous dire que de rechercher ce qui unit cette Tunisie et ne pas farfouiller dans ce qui crée des problèmes; laissez cela aux ennemis des populations arabes, musulmanes..... Ce sont les pays dits développés où existent ces problèmes qui cherchent à les exporter chez nous ....
Il ne s'agit pas d'empathie mais de droits du citoyen et de sa dignité. Principes humains qui ont soulevé les Tunisiens pour leur liberté. Un jour, je participais à un débat à la Sorbonne sur l'esclavage, le Prix Nobel de littérature, le Nigérian, Wole Soyinka m'a rappelé tout simplement que ce sont les Arabes qui ont commencé l'esclavage en Afrique, avant les Occidentaux. Malgré la fierté que l'esclavage fut aboli en 1846 sous le souverain Ahmed Bey, la culture raciste est vivace et survit à la Loi. Il est bien dommage que notre Institution éducative n'accorde presque pas de place à cette blessure historique. Il est dommage aussi que des travaux sociologiques, historiques et littéraires faits en Tunisie ne soient pas plus vulgarisés et plus connus par les nôtres. Pourquoi ne pas enseigner aux jeunes Tunisiens " Barg Ellil" de Béchir Khraief et sa lutte pour la liberté " Thawret az-zanj" ( La révolte des Noirs) de Ezzedine Madani, les poèmes de Moncef Louhaïbi " Makhtout Tombouctou ", les poèmes de Senghor en Tunisie " Elégies pour Carthage" ? Pourquoi continuer à se référer à des vers racistes d'Al Mutanabbi ? Sommes-nous sûrs que notre jeunesse sait qu'Aimé Césaire a été joué à Carthage? A Fort-de-France, très peu avant sa mort, je lui parlais de ça, tout en me rappelant qu'il n'a jamais oublié ses racines africaines, il me dit :" Vive la Tunisie". Si je peux me permettre : c'est en écho à sa poésie que j'ai écrit" Carnet de départ du pays natal"... Plus qu'une histoire de visibilité, il s'agit d'une refonte de notre propre Histoire...