News - 04.05.2013

Mansour Moalla: Le «dialogue»: pour quoi faire?

Le pays, aujourd’hui, est dans l’impasse. Il faut bien admettre notre échec et rechercher une meilleure façon de gérer le destin national. La série de cinq gouvernements «provisoires» a aggravé l’échec : aucune action continue et efficace n’a pu être entreprise. L’espoir né après l’élection du 23 octobre 2011 s’est transformé en une profonde déception et la situation s’est détériorée gravement depuis. Ceux qui gouvernent sont soucieux d’une implantation durable au pouvoir et se sont mis à occuper les espaces utiles à cet effet de manière à préparer une victoire électorale éclatante leur permettant de «transformer» le pays conformément à leur doctrine, négligeant les leçons de l’histoire qui montrent l’échec de telles tentatives extrêmes. Ils voient aujourd’hui que ce n’est pas un bon choix : ils perdent de leur audience en « forçant les choses ». Ils ont été obligés d’adopter de mauvaises méthodes de gouvernement. Ne pouvant installer une dictature directe comme leur prédécesseur, ils tentent de limiter la liberté acquise grâce à la Révolution en tolérant les excès de groupes extrémistes et d’organismes violents terrorisant la vie publique. Et ce fut le sommet de l’échec : l’assassinat du leader Chokri Belaïd. Depuis, le pays est traumatisé. Il n’y a plus d’Etat respecté. Le désordre s’installe. L’économie ne peut guère prospérer dans la peur et l’incertitude. L’investissement attend des jours meilleurs. Et les fractions politiques se disputent à longueur de plateaux de télévision et tout le monde prépare de nouvelles élections et chacun espère pouvoir éliminer l’adversaire.

On peut légitimement se demander si c’est réellement la bonne orientation. Qui dit élections, dit «bataille électorale», agitation politicienne, provocations de toutes sortes, accusations et même insultes. La population suivra l’exemple des dirigeants politiques, et les tiraillements, les grèves et les désordres s’aggraveront. Le parti qui sortira vainqueur de ces élections, si c’est le cas, ne pourra guère gouverner efficacement et sauver le pays. Ceux qui ont été battus se chargeront de lui compliquer la tâche de multiples manières. Le pays en souffrira et toute perspective de redressement et de stabilisation s’éloignera encore.

Il faut donc procéder autrement. Il faut arrêter ce processus destructif qui risque de durer des années. Il faut laisser de côté, pour un temps, toutes les préoccupations partisanes et les prétentions idéologiques et s’en tenir aux problèmes concrets qui concernent la vie des Tunisiens et le sort du pays. Il s’agit notamment de l’emploi, celui des jeunes notamment, pour ne pas laisser s’aggraver un sujet permanent de révolte: le chômage. Par voie de conséquence, la paix civile et la sécurité sont indispensables pour investir et créer des emplois. L’incertitude et le désordre constituent un obstacle majeur à la relance de l’économie. Investir est aussi nécessaire pour accroître la production et alimenter l’exportation de façon à ne pas exposer le pays à une faillite et la cessation de paiement. C’est en même temps pouvoir limiter la hausse des prix, sauvegarder le pouvoir d’achat et éviter une dégradation excessive de la monnaie nationale. Ceci pour ce qui concerne les problèmes importants les plus urgents. Il reste que d’autres problèmes importants requièrent du temps mais conditionnent un redressement durable du pays et qu’il faut aborder sans retard. Il s’agit de plusieurs grandes réformes. Celle de l’Etat en premier lieu ravagé par la dictature et dépassé par rapport aux nécessités du développement. Celle aussi de la société pour réduire les inégalités et établir les règles d’un dialogue social paisible et efficace.

Celle du système éducatif qui a connu une régression en devenant une «fabrique de chômeurs», comme l’ont dit certains auteurs. Du reste,  nos meilleures universités ne viennent qu’au sept millième rang sur le plan mondial après les quatre pays d’Afrique du Nord : Algérie, Maroc, Egypte et Mauritanie. Cette réforme requiert du temps et il est urgent de l’aborder et de l’appliquer dans les meilleurs délais possibles.

Celle enfin du système financier est aussi nécessaire, qu’il s’agisse du domaine bancaire en difficulté et hors d’état d’impulser le développement ou de la fiscalité qui est à revoir pour assurer un financement sain du budget de l’Etat et des collectivités locales et régionales ou des finances extérieures et de la recherche de sources diversifiées de recettes en devises convertibles pour ne pas vivre dans un état permanent de déficit extérieur. L’essentiel est là. D’urgence rétablir la sécurité et la paix sociale, propulser l’investissement, l’emploi, la production et l’exportation. Un enjeu de taille qui doit s’accompagner de la préparation de l’avenir en procédant  aux principales réformes décrites ci-dessus et en établissant un plan 2014-2020 pour dessiner les principales étapes à franchir méthodiquement. La planification a été une «ardente obligation» depuis l’indépendance : on n’en parle plus ou presque depuis la Révolution. Or c’est l’outil principal du pilotage de l’économie et on ne peut guère s’en passer.

Pour entreprendre une tâche aussi urgente qu’importante, il faut un gouvernement crédible, ayant l’appui de la population, capable de faire face à tous les problèmes avec des chances réelles d’éviter l’échec et de réussir. Il faut aussi un dialogue national entre toutes les forces vives du pays : partis politiques, syndicats ouvriers et patronaux, organismes de la société civile. On ne cesse de parler et on revient ces jours-ci au «Hiwar», mais sans vouloir aboutir à des solutions précises et décisives. Or il faut dire comment organiser le dialogue et à quoi il sert. Si c’est pour simplement fixer la date des élections, convenir d’une loi électorale et pour faire aboutir la constitution, on ne pourra pas réussir à sauver le pays. On entre dans le circuit des « batailles électorales » et les vainqueurs qui en sortiront ne peuvent y parvenir, les vaincus s’y opposeront de toutes leurs forces.

Or les problèmes qu’il faut résoudre requièrent un accord général entre toutes les parties. Aucune d’entre elles ne peut réussir à y faire face toute seule. L’exemple concret est celui de la Caisse de Compensation en instance depuis maintenant plus de 30 ans, la «révolte du pain» de 1984, aucun gouvernement n’ose y toucher et la Caisse ne fait que prospérer, son budget est devenu aussi important que celui du développement. Chaque partie au pouvoir, craignant la révolte, n’ose s’y attaquer. On espère une solution miracle, il n’y en a pas. Il faut procéder normalement sur la longue période en réduisant progressivement chaque année l’importance de la Caisse au fur et mesure de l’augmentation des salaires et des revenus. Toute solution totale, brutale était déjà meurtrière et le restera.

Aussi est-il indispensable, si l’on veut sauver notre pays, d’unir nos forces, de laisser de côté les problèmes doctrinaux et partisans et de s’attaquer à l’essentiel qu’on vient de décrire. Il faut donc un gouvernement d’union nationale. Tout gouvernement partisan est voué à l’échec comme cela est maintenant démontré après bientôt trois ans de faiblesse et d’inefficacité gouvernementale. Aujourd’hui seul un gouvernement d’union nationale est crédible. Seul il peut faire face à la violence et y mettre fin, celle-ci ne faisant plus l’objet de manipulation et d’utilisation à des fins politiques. Seul il peut rassurer la population qui ne verra plus les querelles incessantes entre politiciens qui ne font que les discréditer. La « politique » deviendra plus noble, plus désintéressée et sera plus respectée. Aujourd’hui, elle ne l’est pas, malheureusement, certaines de ses scènes frisant l’inconscience et le ridicule. Seul un gouvernement d’union nationale sera crédible à l’extérieur, nos partenaires n’hésitant plus à lui accorder la confiance et à encourager ses efforts de redressement. Aujourd’hui le gouvernement partisan n’inspire qu’une confiance limitée.

Il ne faut plus hésiter. J’ai plaidé cette thèse depuis le mois de mars 2011. Je n’ai pas été écouté. On était «pris» par la politique. On a cru pouvoir éliminer des adversaires. On en a créé de plus importants et plus efficaces. A leur tour, ces derniers voudront écarter ceux qui ont voulu leur barrer le chemin. Ce petit jeu n’a mené à rien si ce n’est à la déception et à l’échec. Il faut y mettre fin et le «dialogue» dont on parle doit aboutir à la décision de la création d’un gouvernement d’union nationale. Cette création doit être sanctionnée par un référendum avant la fin de 2013 approuvant sa création et sa mission, sa durée et la prorogation des institutions en place et ses modalités : le référendum ne crée pas l’agitation des élections : pas de «conquête» de sièges et de majorité. On pourra, durant la période du gouvernement d’union nationale, achever l’établissement de la constitution dans des conditions de coopération et d’accord entre toutes les parties concernées, promulguer des lois concernant les élections, le mode de scrutin, sans la pression d’élections rapprochées ou imminentes  et l’on pourra promouvoir une structure politique avec moins d’éparpillement et créer ainsi les conditions d’une alternance au pouvoir, alternance nécessaire étant donné l’usure inévitable de l’exercice de ce pouvoir.

On aura habitué les différents organismes et partis à travailler ensemble, à rechercher les meilleures solutions possibles pour le pays, et on aura créé les conditions d’un dialogue sérieux entre la majorité et l’opposition qui sortiront des élections  intervenant après la fin de la période de l’union nationale. La majorité ne cherchera pas à exercer une dictature abusive et l’opposition se comportera loyalement et efficacement, tout en surveillant de près l’action du gouvernement pour en améliorer les résultats.

Ce pays, que nous aimons tous, traverse une période difficile. Il mérite qu’on lui sacrifie des intérêts et des ambitions partisanes et qu’on accepte de le servir loyalement et sans arrière-pensée. Ceux qui le comprendront lui auront rendu un grand service. Ceux qui s’y refuseront supporteront la responsabilité de la permanence d’un échec destructeur.

M.M.

Tags : mansour moalla   Tunisie  
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3 Commentaires
Les Commentaires
HAMIDU - 05-05-2013 22:16

Paroles d'un vrai patriote et d'un sage lucide;Mansour Moalla crie malheuresement dans le désert car l'obsession du pouvoir, l'égoisme et la cupidité s'avèrent bien enracinés en Tunisie; la population peut seule mettre fin à cette tragédie qui se joue devant nos yeux.

pseudo - 05-05-2013 23:11

Puisse la raison l 'emporter et non les passions;j 'espère que vous serez entendu et que vous ne préchez pas dans le désert car il n 'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

melli - 06-05-2013 09:02

mansour moalla defend une these qui aurait pu marcher au debut de la revolution,aujourdhui c est trop tard.il y a trop de divisions,trop de mauvaises choses sont arrivees et seul un gouvernement legitime fort pourra s imposer.il est evident que si les islamistes gagnent encore une fois,ils ne sauront pas comment gerer le pays c est un fait.

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