Béchir Ben Yahmed: "Où va la Tunisie?"
Sous le titre de «Ce chemin, où va-t-il?», Béchir Ben Yahmed consacre son « Ce que je crois » dans la dernière livraison de Jeune Afrique (JA N° 2731 du 12 au 18 mai 2013) à la question : où va la Tunisie. Une analyse qui mérité lecture et que Leaders reproduit avec l’aimable autorisation de BBY.
Je constate que la Tunisie éveille la curiosité. Mes lecteurs et les personnes que je rencontre m’interrogent de plus en plus souvent : où en est ce petit pays arabo-africain d’où est parti, il y a trente mois, le Printemps arabe ?
On le sait parmi les plus évolués et les plus homogènes du monde arabo-africain, et l’on s’inquiète de le voir gouverné, pour la première fois de son histoire, par les islamistes d’Ennahdha, tempérés par deux partis de centre gauche qui leur servent d’appoint, mais aiguillonnés, à leur droite, par des Salafistes enclins à la violence.
Ces islamistes tunisiens, quelles sont leurs chances de s’enraciner au pouvoir ? Sont-ils en train de transformer le pays ? Et si la réponse est positive, le conduisent-ils vers le mieux ou vers le moins bien ?
La Tunisie est mon pays ; je n’y habite pas, mais j’y ai gardé des amis, une maison et des bureaux ; je me tiens informé de ce qui s’y passe au grand jour ou s’y trame en coulisses.
Je me sens donc habilité à formuler une réponse aux questions qu’on se pose à son propos. Je la fonde sur une analyse sérieuse des courants qui traversent le pays et commandent son évolution.
?
À la mi-mai 2013, la Tunisie donne l’impression d’avoir arrêté sa dégringolade, ou même d’opérer un léger redressement.
Quelques signes de cette évolution favorable :
- La sécurité n’est pas rétablie, mais le sentiment d’insécurité s’atténue; l’état des villes et des campagnes laisse encore à désirer, mais, ici et là, on s’est remis à nettoyer et à blanchir.
- La justice a rassuré en assumant son rôle de contrepouvoir face aux excès islamistes et Salafistes : après avoir incarcéré trois policiers qui avaient violé une jeune femme et renoncé à poursuivre cette dernière pour attentat à la pudeur, elle a non seulement acquitté Habib Kazdaghli, doyen de la faculté des lettres de la Manouba, défenseur de la « laïcité républicaine », mais, en même temps, condamné les étudiantes Salafistes qui ont saccagé son bureau.
- La Banque centrale et le gouvernement ont récupéré, à titre symbolique, près de 30 millions de dollars d’un compte détenu par Leïla Trabelsi-Ben Ali, ex-« première dame » du pays, dans une banque libanaise.
Presque simultanément, le FMI a donné un signal fort de soutien à la monnaie et aux finances de la Tunisie. - Le tourisme? Il n’est pas flamboyant, mais pas aussi sinistré qu’on l’a dit : les hôteliers souffrent et font des sacrifices, mais ils ont des clients, en récupèrent au lieu d’en perdre.
- L’Assemblée nationale constituante, décriée pour sa lenteur et l’absentéisme de ses membres, a fait savoir qu’elle a achevé l’élaboration du projet de constitution et le tient prêt à être soumis au vote des constituants.
À sa lecture, on est agréablement surpris, car il proclame l’égalité entre hommes et femmes, et confirme les tunisiennes dans tous les droits qu’elles ont acquis au cours du dernier demi-siècle.
?
Cela pour le positif. Mais, pour l’heure, c’est encore le négatif qui domine, très largement.
- L’investissement n’a pas repris et ne semble pas devoir le faire à court terme ; les opérateurs, qu’ils soient tunisiens ou étrangers, ne trouvent pas encore de raison de s’engager.
Ils ne le feront vraisemblablement que lorsqu’on sera sorti de la transition, car, à ce jour, il n’y a ni plan, ni stratégie, ni équipe économiques au travail.
Quant à l’aide financière des riches pays arabes qui clament leur soutien aux islamistes, elle s’annonce sans jamais se concrétiser. Déjà sollicités par l’Égypte et la Palestine, ceux qui la promettent, le Qatar et l’Arabie saoudite, ne pourront répondre à toutes les demandes. - La Constitution : les islamistes d’Ennahdha ont cédé sur les droits des femmes pour mieux tenir sur le système institutionnel qu’ils veulent parlementaire. le projet de constitution qu’ils ont imposé instaure à la tête de l’exécutif une dangereuse et impraticable dualité-rivalité entre le Premier ministre et le président.
La Tunisie qu’ils nous promettent ne sera plus dirigée par un autocrate, certes. Mais – tout aussi détestable – par deux chefs qui se surveilleront et se chamailleront au lieu de gouverner.
?
Hérités du protectorat français, qui a duré soixante quinze ans, façonnés par les deux autocraties qui ont gouverné le pays pendant les cinquante premières années de son indépendance, l’économie et l’État tunisiens d’aujourd’hui fonctionnent sur leur lancée, assez correctement.
Mais le système politique, lui, est « en révision des soixante ans », tandis que la classe politique est en complet renouvellement.
La génération de l’indépendance (et de Bourguiba) est partie ou sur le départ ; sont aux affaires les hommes ou les femmes qui ont été les victimes de Ben Ali ou qui ont dû, bon gré mal gré, collaborer avec lui.
Pour la première fois de sa vie indépendante, la Tunisie fonctionne avec et par eux, mais sans « raïs ». Il n’y a plus de chef ni de fédérateur, pas plus que de parti dominant: Ennahdha, qui est la formation la plus importante, représente désormais moins de 20 % de l’électorat et ne règne sur la vie publique qu’à la faveur de la faiblesse et de l’émiettement de toutes les autres.
Autre changement d’importance: la nouvelle classe politique regarde moins vers le nordet l’ouest de la planète
– la France, l’Europe et l’Amérique – et davantage vers l’est: le Moyen-Orient, plus particulièrement sa partie arabe et…islamiste ou rétrograde.
?
Mais cette nouvelle classe politique est en « gestation » ; d’ici à quelques années, un grand nombre de ceux et celles qui s’agitent aujourd’hui auront été écartés pour laisser la place à des hommeset à des femmes politiques d’envergure nationale.
Le premier à être sorti du lot semble être l’ancien Premier ministre issu d’Ennahdha: Hamadi Jebali.
Gilles Kepel, auteur de Passion arabe, journal 2011- 2013 (Gallimard), metle Printemps arabe en perspective:
« Nous sommes dans la phase 3 des révolutions arabes : la première a vu la jeunesse séculière se lever sans structures, la deuxième a permis aux islamistes de s’emparer des rouages du pouvoir, la troisième montre que ces derniers sont incapables de gérer la situation économique et politique. […]
C’est en Tunisie que la transition s’est passée de la manière la moins violente. Ce n’est pas un hasard, de même qu’il n’est pas surprenant que tout ait commencé dans ce pays-là. »
?
Le temps de la politique est plus long que ne le pense le commun des mortels. Il en découle, à mon avis, que la
Période de gestation dans laquelle est entrée la République tunisienne le 14 janvier 2011 ne débouchera sur une IIe République stabilisée et apaisée que dans cinq ou six ans. En 2017 peut-être: l’année où la Tunisie célébrera les soixante ans du régime républicain.
Quelle Libye aura vu le jour d’ici là? Quand et comment se sera fait le changement en Algérie? L’évolution de ses deux voisins influera, sans aucun doute, sur le devenir de la Tunisie.•
Béchir Ben Yahmed
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Voici une vision qu'on qualifiera, parce qu'elle bénéficie d'un certain recul, d'objective. Elle ne traduit toutefois pas le désenchantement des gens, cette chape d'incertitudes et d'inquiétude quant aux lendemains, cette tristesse qui s'est emparée de beaucoup d'entre nous...
"À sa lecture, on est agréablement surpris, car il proclame l’égalité entre hommes et femmes, et confirme les tunisiennes dans tous les droits qu’elles ont acquis au cours du dernier demi-siècle" A la lecture de cette déduction faite par M. BBY on a l'impression que la future constitution est bien faite et conforme au souhait de toutes les Tunisiennes et Tunisiens confondues. Je pense que M. BBY n'a pas bien lu le projet de contitution ni les remarques émises par différents organismes internationaux surtout concernant la liberté de conscience ainsi que les références faites à la religion pour contre-carrer la liberté d'expression ainsi que le non respect des conventions internationales. J'espère qu'il complétera son commentaire en citant correctement tout ce qui a été dénoncé par la société civile. Merci
Tant que le préambule pose l condition de la cohérence des droits universels avec °les specificités culturelles tunisiennes° cest à dire en parie religieuse la porte est désormais ouverte à l'esclavage et la polygamie Si l'on veut d'une constitution il faut qu'on s'entende non point sur ce qui doit y figurer mais sur ce qui doit en être supprimé Et il y en a beaucoup
Ou bien BBY n'a pas lu le dernier projet de constitution, ou il ne l'a pas compris, ou fait semblant de ne pas le comprendre...il fait l'impasse sur l'orientation totalitaire de ce projet, soumis à la primauté de l'Islam et de la charia, méprisant du coup la référence inconditionnelle aux Droits Universels de l'Homme et aux traités, dans ce sens, ratifiés par la Tunisie...Faut-il signaler le silence de cette "constitution" quant à la liberté de culte et de conscience, quand cette constitution affirme le caractère islamique de l'Etat? Manifestement, BBY, dont la revue pointe par ailleurs la dérive totalitaire et théocratique du régime, semble faire amende honorable...et jeter un voile pudique sur un avenir sombre qui attend le pays sous l'égide d'Ennahdha...
Jugement sans profondeur, que des généralités que chacun connait. On aimerait trouver plus de pertinence dans ses propos. En fait, on reste sur notre faim. On aurait aussi aimé y trouver les aspirations du peuple, acteur le plus important de cette révolution de "Jasmin" victime d'un coup d'état islamique, dont le pouvoir provisoire se cherche encore.... En conclusion, Article sans grand intérêt.
Avec Ennahdah et les Salafistes la Tunisie va tout droit vers la déroute, seule l'extirpation de son Cancer appelé Ennahdha pourra rendre une vie normale aux Tunisiens.
Belle Analyse par si Bechir , la situation de la Tunisie se stabilisera dans 6 à 10 Années, il n 'y a pas de place pour l' extremisme
C'est une bonne analyse sur certains aspects de la TUNISIE post BEN ALI mais je crois qu'elle est incomplète car elle est faite par un grand homme vivant beaucoup plus à l'étranger qu'en TUNISIE . 2017 c'est demain mais c'est très loin pour une majorité de TUNISIENS . Seule une politique pragmatique peut sortir la TUNISIE de ses difficultés et non une politique dogmatique .
La lecture assez pragmatique de ce qui se passe en tunisie atuellement est assez pragmatique et donne un peu d'espoir pour un futur meilleur mais la vie au quotidien est opressante à tout point de vue le paysage politique est dramatiquement flou l'opposition ne présente rien de palpable elle a eu plusieurs occasions devant elle pour jouer un rôle déterminant mais elle reste divisée . La présidence est a la limite du caricatural et le citoyen paye de sa personne et ne voit pas le bout du tunnel
L'article de Ben Yahmed dénote qu'il suit bien l'évolution de la situation en Tunisie. A mon avis, on peut se permettre d'être plus optimiste que lui . La situation se décantera dès les premiers mois du gouvernement officiel issu des urnes. La loi doit pouvoir s'appliquer dans toute sa rigueur et le pays reprendra du "poil de la bête" assez rapidement. Car le peuple dans sa majorité est bien conscient des dangers qui menacent le pays. Les revendications actuelles se poursuivront un certain temps, parce que les syndicats, entre autres, veulent gagner "le maximum de terrain" avant l'arrivée au pouvoir du gouvernement légal tant attendu. Mais dès que celui ci prendra ses fonctions, je suis sur que l'accalmie reviendra au pays d'Hannibal, d'Ibn Khaldoun, Kéreddine et de Bourguiba
IL est grand temps de vendre un beau spécial TUNISIE . Donc il faut etre agréable et accrocheur