Pietro Benassi: Ambassadeur d'Italie à Tunis,la stabilité, la sécurité et la démocratie sont réalisables en Tunisie
«Une Tunisie stable et sécurisée signifie pour nous une bonne partie de la Méditerranée stable et sécurisée». C’est ce qu’affirme l’ambassadeur d’Italie à Tunis, Pietro Benassi. «Nous estimons que la transition démocratique, poursuit-il, est un passage essentiel que nous regardons avec attention, amitié et chaleur, tant sous cet aspect de stabilité et de sécurité que celui de la réalisation des valeurs de la révolution : liberté, dignité et redistribution équitable des ressources».
Dans son vaste bureau de la chancellerie historique, rue Jamel-Abennaceur, en plein centre-ville, le diplomate italien, qui s’apprête à terminer avant l’été sa mission en Tunisie commencée en 2009, ne cache pas sa satisfaction d’avoir vécu des moments historiques. «L’ambassadeur d’Italie a toujours bénéficié dans ce pays de beaucoup d’attention et de bienvenue. Travailler ici aura été pour moi un double privilège. Conjoncturel, du fait de la révolution, et substantiel du fait de la grande sensibilité partagée en Italie sur la Tunisie. Dès 2010, nous étions convaincus qu’à force de s’autobloquer, l’ancien système politique ne pouvait tenir. Une fois de plus, l’histoire, qui ne se fait que par surprise, a porté cette révolution salutaire. L’Italie n’a pas hésité à lui apporter, dès le début, son plein soutien». «Il y a certes des questions sensibles, produit du voisinage, souligne-t-il. La Tunisie reste toujours à 45 miles marins des rives italiennes. Des moments particuliers aussi, en termes socioéconomiques et humanitaires, mais le bilan est positif. Ensemble, on a pu gérer au mieux une question aussi délicate que celle des migrants clandestins, avec respect et sensibilité mutuels. L’accord signé sur la question entre les deux pays le 5 avril 2011 exprime un esprit de véritable partenariat. L’Italie a fait des concessions politiques importantes en octroyant à des milliers de ces migrants des permis de séjour temporaires et en accordant à la Tunisie des quotas privilégiés au titre de l’émigration régulière. De son côté, la Tunisie a accepté un programme de rapatriement des clandestins arrivés après la signature de cet accord. Nous avons également mis en place un programme de soutien spécifique fournissant des moto-vedettes, des patrouilleurs, des voitures tout-terrain, des équipements et des formateurs en faveur des forces de sécurité. Nous avons toujours coopéré ensemble, à chaque incident survenu, comme lors de la tragédie des disparus en mer, prêtant toute notre assistance ».
Le politique, mais aussi l’économique
Pour illustrer l’intensité du dialogue politique à haut niveau, l’ambassadeur d’Italie rappelle que depuis la révolution, pas moins de 18 visites officielles ont été enregistrées, dont notamment celle du président italien, M. Giorgio Napolitano, les 16 et 17 mai 2012. L’aspect économique est lui aussi non négligeable. «La Tunisie, qui réalise 75% de ses échanges avec l’Europe, est pour nous un facteur de responsabilité. C’est pourquoi la coopération économique ne s’est jamais relâchée, l’Italie étant, après la France, le deuxième partenaire de la Tunisie. Une enveloppe spéciale de 215 millions d’euros a été allouée à la Tunisie, sous forme de don (35 millions d’euros) et de crédits à des conditions avantageuses (170 millions d’euros). Ces crédits sont destinés à un appui budgétaire pour la balance des paiements, un soutien au secteur privé avec des lignes de crédit en faveur des PME et une assistance technique dans différents domaines. Sans oublier, précise-t-il, la contribution directe de l’Italie à hauteur de 13% de l’aide octroyée par l’Union européenne à la Tunisie. Sur chaque 100 millions d’euros accordés, 13 millions sont fournis par l’Italie ».
L’ambassadeur cite également les entreprises italiennes implantées en Tunisie (entre 600 et 700 dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire, de la chaussure, de l’énergie, de la mécanique, des travaux routiers, etc.), mentionnant que certaines parmi elles ont connu, comme tant d’autres, au début de la révolution, des débrayages qui ont pu être surmontés par le dialogue et la négociation. Une difficulté supplémentaire s’est cependant ajoutée du fait de la crise en Europe. La chute de la demande a influé négativement sur les performances de ces entreprises. Mais, dès la reprise en Europe, les développements en Tunisie seront significatifs, affirme-t-il.
Une communauté réduite, mais de longue histoire
Quand on lui demande la taille de la communauté italienne en Tunisie, l’ambassadeur Pietro Benassi indique que bien que réduite actuellement en nombre, comptant près de 6 000 ressortissants, dont 3 200 sont immatriculés sur les registres consulaires, elle est de longue date et bien enracinée. Il rappelle en effet que lors des guerres en Italie, la Tunisie, terre d’hospitalité, a offert l’asile à de nombreuses familles et que le nombre des Italiens avait atteint jusqu’à 180 000 personnes entre les deux guerres dont on retrouve encore la trace dans nombre de termes utilisés jusqu’à aujourd’hui par les Tunisiens.
De l’autre côté, plus de 100 000 Tunisiens sont établis en Italie. D’ailleurs, ils ont élu trois représentants à l’Assemblée nationale constituante (Abdessettar Dhifi, indépendant, Oussama Seghir et Imen Ben Mhammed, Ennahdha). L’amitié entre les deux peuples et les deux pays, séculière, constitue pour lui un liant très solide.
De nouvelles perspectives
De nombreux nouveaux projets de coopération sont actuellement en discussion entre les deux pays, et couvrent de larges domaines, mentionne l’ambassadeur. Il cite notamment celui des accords judiciaires pour faire évoluer ceux conclus en 1967 vers des dispositions des dernières générations, que ce soit en matière de justice pénale, mais aussi de commerce et autres. Non sans regret, il évoque au passage le cas de l’enlèvement d’enfants mineurs issus de couples mixtes par leurs pères qui les retiennent en Tunisie, allant parfois jusqu’à leur interdire tout contact, ne serait-ce que téléphonique, avec leurs mères. Mais il garde espoir que les démarches entreprises finiront par y mettre fin. Sur l’extradition de membres du clan Ben Ali arrêtés en Italie, il affirme que les procédures sont en cours. Quant à l’idée de permettre aux Tunisiens détenus en Italie de purger le reste de leur peine en Tunisie, il a préféré ne pas se prononcer, le dossier n’ayant pas encore abouti.
De son intense mission en Tunisie, l’ambassadeur Benassi emportera un souvenir indélébile. Il garde le sentiment que l’avenir de la Tunisie est bien entre les mains des Tunisiens et relève qu’une grande partie de la société civile est très attachée à la démocratie, au progrès et au respect des droits de l’Homme. «J’espère que ces composantes essentielles pourront écrire une histoire de succès et je suis personnellement persuadé que la Tunisie a tous les moyens de sortir de cette phase délicate de transition démocratique, avec satisfaction et fierté, mais en considérant que la démocratie est une méthode permanente sur laquelle il faudrait travailler tous les jours pour faire de nouveaux pas en avant», conclut-il.
- Ecrire un commentaire
- Commenter