News - 23.06.2013

Dur, dur d'être porte-parole!

Métier à haut risque et à forte rotation? Etre porte-parole officiel du gouvernement, d’un ministère ou d’un organisme public dans la Tunisie post-révolution s’est avéré tout sauf une sinécure. Les têtes tombent vite, disparaissant des écrans. Au moindre faux pas, faux geste, lapsus, à la moindre phrase mal placée, le malheureux préposé à la fonction se voit fusillé par les médias, lynché sur les réseaux sociaux, jeté rapidement dans la trappe par ses supérieurs. On prend un autre et on recommence. A la Kasbah, comme aux ministères de l’Intérieur, de la Justice et dans différents  départements, rares sont ceux qui y ont échappé, à moins qu’ils aient su préparer leur sortie et se prémunir ainsi contre les foudres. Même l’habile Samir Dilou, nommé du temps de Hamadi Jebali  porte-parole du gouvernement en plus de ses fonctions de ministre de la Justice transitionnelle et des Droits de l’homme, a préféré y renoncer.

Communicant de Béji Caïd Essebsi, Moez Sinaoui avait quitté ses fonctions avant les élections du 23 octobre 2011, pour reprendre sa carrière diplomatique et rejoindre l’Union pour la Méditerranée à Barcelone. Après les élections, premier à quitter le navire dès début juillet 2012, Ayoub Messaoudi, conseiller de Moncef Marzouki qui intervenait ponctuellement dans les médias, même s’il n’était pas le porte-parole officiel de la Présidence de la République. Au palais du gouvernement, Ridha Kazdaghli, conseiller de Jebali, a cédé la place dès l’arrivée d’Ali Laârayedh à Abdesselem Zebidi. A l’Intérieur, après Néji Zairi, Hichem Meddeb et Khaled Tarrouche, c’est Mohamed Ali Laroui qui officie désormais auprès du ministre Lotfi Ben Jeddou. A la Justice, les intervenants officiels se multiplient et changent souvent.  D’autres résistent, avec des succès différents, à cette rotation rapide. Le colonel-major Mokhtar Ben Nasr, porte-parole du ministère de la Défense nationale, se distingue par ses interventions très précises, soigneusement préparées. A Carthage, Adnen Mansar, cumulant désormais la direction du cabinet présidentiel, s’emploie à perfectionner ses prestations médiatiques, même si des faux pas n’ont pu être évités.

Trois risques majeurs

Comment expliquer alors cette érosion rapide? Trois grandes raisons, répond à Leaders un spécialiste : la confusion des tâches, le manque de préparation appropriée et le contexte politique. La charge de porte-parole est en effet souvent cumulée avec celle de conseiller en communication et l’attaché de presse, alors qu’il s’agit bien d’une fonction bien précise. Bien que complémentaires, chacune des tâches garde sa spécificité.

En haut de la pyramide, le conseiller en communication établit la stratégie générale pour les médias, mais aussi les relations publiques et l’ensemble des gestes, propos  et initiatives. Il fignole la tactique quotidienne, supervise le dispositif dans sa totalité, lance les études d’image et les sondages d’opinion et scénarise chaque apparition. Souvent, il est dans l’ombre et ne prend que très rarement la parole dans les médias.

Comme lui, dans cette discrétion, l’attaché de presse est en relation  permanente  avec tous les acteurs du paysage médiatique. Il ne se contente pas d’entretenir des rapports étroits avec les journalistes et blogueurs, mais élargit son périmètre aux patrons de presse, rédacteurs en chef, techniciens et autres. Son rôle consiste surtout à préparer de bons dossiers de presse, textes, photos, vidéos, et listes de contacts pour des interviews, organiser des visites sur le terrain et des rencontres (briefings, conférences de presse, etc.) et, d’une manière plus générale, faciliter le travail des journalistes. Il est certes au service de son employeur, mais surtout à la disposition des médias.

Quant au porte-parole, sa mission est elle aussi très précise: exprimer la position officielle et l’expliciter. Cela suppose qu’un travail en amont est accompli pour que cette position soit définie par le ministre, ses conseillers et les services concernés et il appartient alors au porte-parole de trouver les mots appropriés pour la présenter aux médias. Dans de nombreux cas, il s’agit d’un texte écrit, ou appris par cœur, qui est ainsi délivré aux journalistes. Même s’il est improvisé, une transcription officielle en est immédiatement publiée afin d’éviter toute confusion. Souvent, un bon porte-parole a des réponses types bien préparées qu’il garde sous la manche pour répondre aux questions les moins attendues, ce qui le mettra à l’abri des surprises. Mais  lorsqu’il n’a pas de réponse ou n’est pas autorisé à se prononcer sur telle ou telle question, la sagesse le conduit à répondre par un «No comment» ou «Je reviendrai vers vous ultérieurement avec des précisions».

Cette rapide description des tâches met en lumière l’importance de la préparation. On ne s’improvise pas porte-parole, on s’y forme et s’y perfectionne. Ce training porte sur un ensemble de connaissances et de compétences à acquérir.

D’abord, bien connaître le paysage médiatique, support par support, la cartographie des acteurs, les modalités de fonctionnement des médias et leurs contraintes techniques (horaires de bouclage pour la presse écrite, et des journaux radiophoniques et télévisés, etc.), le mode opératoire avec les journalistes... Il y a aussi  la technologie de la communication avec tout cet art d’écrire, de choisir les vocables et les paraboles ;  sans oublier, naturellement,  la précision et  la concision.

Et, in fine, la manière de le dire, c’est-à-dire de se tenir devant une caméra, de poser la voix, de gérer la gestuelle, de traiter les questions, de rebondir, et de rester toujours sincère et crédible. Un véritable apprentissage grâce au coaching et au média-training.

Rester crédible

Tout cela est certes fondamental, mais ne suffit pas pour s’en sortir. Le plus déterminant, c’est le contexte politique. Le salut du porte-parole provient essentiellement de sa capacité à échapper à toute manœuvre d’instrumentalisation: ne dire que la vérité, quitte à ne pas révéler toute la vérité. Telle est la règle d’or. C’est le cas, tout récemment, des opérations menées par les forces armées et sécuritaires dans  la traque des jihadistes au mont Chaâmbi. Comment informer l’opinion publique des actions sur le terrain, tout en protégeant les équipes, ne rien divulguer qui puisse être utile aux terroristes? Tout est là. Nous avons cependant vécu d’autres cas, dans d’autres ministères, où les porte-parole ont été lancés en service commandé, nourris d’informations qui n’étaient pas toutes bien vérifiées, ce qui les a exposés à l’ire des médias et du public. «C’est une fonction, d’apparence politique, mais qui est en fait très technique, conclut le spécialiste interrogé par Leaders. Elle exige un réel professionnalisme et beaucoup de talent. A ne pas s’y méprendre !»

T.H.

Tags : Tunisie  
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