Berlin – Correspondance spéciale - Pour la troisième fois en un an, l’Allemagne dépêche à Tunis son ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle qui effectuera dès ce mercredi 14 août une visite de deux jours. Il s’agit-là, relèvent les observateurs, d’une « grande marque d’amitié et de soutien à l’aboutissement du processus de transition démocratique. Cette visite intervient dans un contexte particulier de grave crise politique, accentuée par l’assassinat de Mohamed Brahmi, la suspension de nombre de Constituants de leur mandat et leur sit-in au Bardo, le gel des travaux de l’Assemblée nationale constituante (ANC), la recrudescence des attaques terroristes et l’appel à la dissolution du gouvernement et de l’ANC. Le timing a également voulu qu'elle survienne le lendemain même d'une manifestation historique des femmes tunisiennes, le 13 août, pour la préservation de leurs acquis mais aussi la défense des libertés et de la démocratie. Pas plus tard que lundi dernier, l'ambassadeur Jens Plötner était reçu par Ghannouchi, comme il a rencontré des dirigeants d'autres partis et mouvements.
Devenu un habitué de Carthage, de la Kasbah et du Bardo, le ministre allemand rencontre, outre les trois présidents Marzouki, Laarayedh et Ben Jaafar, des leaders de partis politiques, notamment le chef d’Ennahdha Rached Ghannouchi, mais aussi les dirigeants d’Al Jomhoury, Nida Tounes et autres formations, ainsi que les premiers responsables des organisations nationales, l’UGTT en tête. L’Allemagne se distingue de tous nos partenaires étrangers par une diplomatie très active vis-à-vis de la Tunisie depuis la révolution. Le chef du gouvernement Ali Laarayedh, était en juin dernier, l’invité de la chancelière Angela Merkel à Berlin pour une visite jugée très positive, à l’instar de celle de son prédécesseur Hamadi Jebali, en 2012. Les présidents du Bundestag et de l’ANC se sont rendus les visites et, sur place à Tunis, l’équipe de l’ambassade allemande se déploie intensivement. Pas plus tard que lundi dernier, l'ambassadeur Jens Plötner s'est entretenu avec Ghannouchi et nombre de dirigeants d'autres partis et personnalités tunisiennes.
Si le programme de la visite du chef de la diplomatie allemande est si chargé, c’est qu’il tient, affirme à Leaders une source informée, à « avoir une meilleure connaissance de l’évolution de la situation en Tunisie, mais aussi porter un message de félicitations pour tout le parcours accompli jusque-là malgré les embûches rencontrées ». A Berlin, on estime en effet que la Tunisie, bien qu’elle y ait mis du temps et traversé des crises passagères, est à deux doigts de finaliser sa constitution et aborder l’ultime phase des élections, ce qui constitue une perspective bien heureuse. Il s’agit à présent de persévérer dans cet effort, de s’attacher au cadre constitutionnel légitime que représente l’ANC issue des urnes du 23 octobre et de tout boucler le plus rapidement possible ».
Un électrochoc positif pour tout boucler et aller vers les élections
Quand on interroge les analystes allemands qui d’après eux est le mieux positionné pour prendre en charge cette ultime étape de bouclage et d’organisation des élections, ils estiment, dans une large majorité que la formation immédiate d’un gouvernement indépendant est capable de produire l’électrochoc positif général et de donner le signal de départ de la dernière ligne droite. Mais le plus urgent à leurs yeux est de protéger l’étape qui nous sépare des élections contre tous les risques à même de tout compromettre.
Les analystes allemands interrogés par Leaders rencontrent la même lecture de la situation en Tunisie que font nombre de leurs pairs internationaux. Ils placent en effet le risque sécuritaire et l’aggravation de la situation sociale avec les débrayages et revendications généralisées qu’elle peut déclencher au premier rang des graves menaces qui pèsent sur le pays.
Comment blinder le processus ?
Pour les aspects sécuritaires et tout en notant l’efficience croissante des dispositifs militaires et ceux de la Police, de la Garde Nationale et des Douanes, ainsi que le renforcement de la coopération régionale et internationale en la matière, ils considèrent que la fragmentation des groupes jihadistes et l’activation de leurs réseaux dormants accroît les risques.
Quant à la situation sociale, l’aggravation du chômage avec l’afflux dès cet été de dizaines de milliers nouveaux diplômés, le tarissement des différentes sources de revenu, l’érosion du pouvoir d’achat éprouvé par les dépenses du ramadhan, de l’été et bientôt de la rentrée scolaire et les annonces de fermeture de grandes entreprises étrangères (Jal Groupe, Continental, etc.), en plus d’un sentiment général de frustration et de désenchantement, cultivent un climat de tension sans cesse croissante qui risque de s’attiser davantage à la rentrée.
Témoignant de son appui constant au processus de transition démocratique en Tunisie, l’Allemagne aura certainement à explorer, à travers la visite du chef de sa diplomatie toutes ces questions. Ne serait-ce que lors de la partie publique des entretiens qu’il aura à cette occasion. Mais dès que les portes se ferment pour laisser le tête-à-tête favoriser des échanges plus profonds, personne ne peut prédire ce qui sera dit, d’un côté et de l’autre, même si l’Allemagne tiendra un même discours pour tous.