La ‘nouvelle' stratégie de la Troïka
La déclaration du probablement homme fort du moment d’Ennahdha, sur la Nationale 1, le 5 septembre, en a étonné certains.
Voilà que M. A. Mekki accuse l’opposition de vouloir retarder les élections, alors que l’objectif de son parti serait de faire aboutir le plus rapidement la ‘transition démocratique’ alors qu’on est « si près du but » et que le différend ne porterait que sur de ‘petits détails’ qui pourraient être réglés si « les intentions de la partie opposée étaient honnêtes et sincères ». Perfidement et de manière calculée, il ne met pas tout le monde dans le même sac et prend soin de désigner le Front Populaire comme responsable, car Ennahdha n’a pas encore désespéré de diviser Al Jebha. Et y a-t-il mieux pour le faire que de désigner une de ses composantes –celle du « zéro virgule » et qui de ce fait est supposée avoir le moins de chance de faire un score honorable aux prochaines élections- comme l’ennemi de la transition. Les gens de gauche ne sont-ils pas foncièrement des non-démocrates !
Cette accusation, qui commence à être répétée en boucle, par les leaders de la Troïka, constitue désormais sa ligne de défense officielle.
Ce genre de déclaration peut sembler paradoxal. Comment ce parti qui a usé de tous les stratagèmes pour faire traîner les travaux de la constituante, se fait-il aujourd’hui le champion de la volonté de faire aboutir et réussir le processus transitionnel. Ce qui a semblé pour certains comme un retournement est en réalité en totale harmonie avec la stratégie d’Ennahdha et de ses sous-produits.
Avant, ce parti essayait de retarder au maximum le processus de transition afin de gagner du temps lui permettant de mettre la main sur les rouages de l’Etat et d’installer les mécanismes nécessaires pour s’assurer la victoire aux élections. Pendant qu’il usait ses adversaires dans des combats artificiels, ses hommes travaillaient le terrain aussi bien public (appareil de l’Etat) qu’associatif (LPR, mosquées, réseaux associatifs de ‘bienfaisance’,…). Maintenant qu’il a presque réussi et que l’opposition commence à dévoiler le « pot aux roses», le temps, qui auparavant jouait pour lui, commence à jouer contre lui. Son intérêt est maintenant d’accélérer le processus afin de bousculer l’opposition et de ne pas lui laisser le temps de se préparer et surtout de ne pas laisser le temps à un éventuel gouvernement de compétences de démonter le stratagème qu’Ennahdha a installé, et de tout dilapider.
Pour cela ils sont prêts à faire les concessions les plus incroyables au niveau de la constitution et de tout le cadre législatif des élections, R. Ghannouchi ne disait-il pas dans sa célèbre vidéo, que les textes importent peu mais que ce qui compte c’est de tenir en main les rouages. Ceci explique le travail acharné ces derniers jours au sein de la constituante par ce groupe de députés qui squattent la Coupole afin de concocter et révéler chaque jour des ‘arrangements et concessions’ subtilement distillés afin d’appâter l’opposition et obtenir le retour au bercail des députés qui se sont retirés. Le dernier discours de M. Ben Jaafar s’inscrit malheureusement dans ce processus et en constitue l’ultime démarche. Remis de sa petite fronde –sincère ou calculée ?-, le président de l’ANC est rappelé à l’ordre et se remet au service de ses alliés.
Pour l’opposition, la priorité n’est plus aujourd’hui d’accélérer le processus de transition, bien au contraire, mais de se donner les conditions et le temps de défaire le montage qu’Ennahdha est entrain de parachever dans le but de mettre le pays sous la chape de plomb de son projet dictatorial transnational qui n’est pas seulement une menace à la démocratie et aux acquis de la Révolution, mais aussi une hypothèque de toute possibilité de développement économique et de progrès social. Et ce n’est pas un hasard que le processus soit parrainé par les principales organisations de la société civile symboles de ce développement et ce progrès. Ces organisations ne sont pas simplement des intermédiaires, mais en fait, partie prenante du combat. Ne sont ils pas les auteurs du projet qui fait aujourd’hui objet des discussions et qui constitue pour eux la seule voie possible de salut.
En fait, tout le monde avance aujourd’hui à visage découvert, et il n’y a plus que les leaders de la Troïka pour continuer à maintenir un semblant de masque et croire que les autres sont des naïfs. Le fait que les protagonistes soient aujourd’hui tout à fait au fait du jeu des uns et des autres, d’une part, et l’importance des enjeux d’autre part, font que chacun joue en fait aujourd’hui à quitte ou double.
Sur le plan formel, la Troïka a fait une série de concessions et l’opposition n’en a fait qu’une seule: la non dissolution de l’ANC mais la limitation de ses pouvoirs aux aspects constituants. La seule véritable ligne rouge pour Ennahdha est un gouvernement qu’elle ne peut contrôler, ce qui lui a laissé jusqu’à maintenant une grande marge de manœuvre. Toutes ses propositions successives, affichant une série de ‘concessions’ apparemment importantes ont lâché sur des aspects pouvant être considérés comme secondaires par rapport à cette ligne rouge. Soit dans l’ordre chronologique :
- Gouvernement ‘politique’ d’union nationale ;
- Gouvernement ‘de compétences’ présidé par Ali Laarayedh ;
- Gouvernement ‘de compétences’ présidé par une autre personnalité d’Ennahdha ;
- Gouvernement ‘de compétences’ présidé par une autre personnalité choisie par Ennahdha ;
- Gouvernement ‘de compétences’ mais maintien de l’assemblée dans ses pleines compétences, y compris
surtout le contrôle du gouvernement, la possibilité de bloquer ses décisions et au besoin le démettre.
Pour tous ces scénarios, le contrôle d’Ennahdha est maintenu soit à travers le gouvernement pour les quatre premiers soit à travers l’assemblée pour le dernier.
Si l’on considère que l’enjeu est d’avoir un gouvernement indépendant qu’aucune des deux parties ne contrôle, on peut considérer qu’on est arrivé aujourd’hui à une situation de blocage réel, chacun des deux protagonistes étant arrivé aux limites des concessions qu’il peut faire. Tout pas effectué par l’un vers l’autre se traduirait par l’écroulement de tout son édifice.
La question de chercher à obtenir de petites concessions de part et d’autre n’a plus aucune pertinence, le seul terrain de discussion possible ne peut désormais consister qu’à négocier ‘un pacte de non agression réciproque’ qui se concrétiserait entre autres dans une composition du nouveau gouvernement faisant l’objet d’un consensus réel. En dehors de cela, il y a risque qu’aucun processus de négociation ne soit plus aujourd’hui possible, et que les chances d’une issue pacifique soient définitivement compromises.
Mohamed Hedi Zaiem
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Seul la force du peuple et de la rue, sera la seule issue pour nous débarrasser de cette gangrène nadhaouite, tout autre issue ne fera que prolonger l'échéance, ....
Très bonne analyse M. ZAIEM, d'après moi il existe une autre solution : une nouvelle REVOLUTION avec les risques que cela comporte, mais la liberté n'a pas de prix.
Palabres que tout ça. Tout ce que je sais c'est qu'à la veille de l'assassinat de Mohamed Brahmi, on avait presque terminé de composer le haut comité machin chouette qui allait organiser les prochaines élections et on était à la veille de finir la constitution. Le lendemain de l'assassinat, l'opposition voulait revenir à la case départ. S'ils voulaient vraiment arrêter Ennahda, les députés de l'opposition auraient dû continuer le travail pour lequel le peuple les a élus. Regardez le temps qu'on a perdu à négocier. Aud Députés : Retournez tous au travail et qu'on en finisse.
C'est extraordinaire que de vouloir nous faire croire qu'un gouvernement indépendant puisse exister? Indépendant de qui? Mis en place par qui? je me le demande...Jusqu'à nouvel ordre, en démocratie, un gouvernement doit avoir l'appui d'une majorité parlementaire qui le contrôle et qui peut le démettre si elle n'est pas satisfaite de ses prestations..