La Poste tunisienne:Les grands défis d'une profonde mutation

Chaque jour, ils sont plus de 700 000 Tunisiens à pousser la porte d’un des 1 043 bureaux de la Poste tunisienne déployés sur l’ensemble du territoire.

Les prestations y sont multiples: outre le courrier, les mandats, les traditionnels livrets d’épargne et les comptes courants postaux, il y a de plus en plus de  services bancaires et même des produits d’assurance. Chiffres à l’appui : 70% des activités se font dans les prestations financières. En privilégiant cet aspect, certes plus rentable, la Poste tunisienne délaisse-t-elle son cœur de métier qu’est le courrier? Eprouvée sans doute par les incidents qui avaient émaillé le déclenchement de la révolution, début 2011, parviendra-t-elle à retrouver son plein régime de croisière et rebondir?

Le premier PDG nommé après la révolution, Hamadi Fehri, un universitaire, ancien  directeur de l’IHEC, n’y était resté qu’un an. Pour lui succéder, appel a été fait cette fois-ci à un banquier, Nabil El Madani, qui avait fait se preuves à Attijari Bank, puis à Zitouna Bank. Le recours à ce profil souligne la dimension financière de cette institution qui brasse des milliards de dinars, dégageant des recettes d’exploitation de 278 MD en 2012 contre 272 MD en 2011, et marque la volonté de lui imprimer la souplesse de gestion, en attendant la révision de ses procédures contraignantes. Mais, sa tâche n’est guère facile.

L’acheminement du courrier ne retrouve pas encore sa célérité, Rapid Poste n’a pas repris ses permanences le soir et durant le week-end, et les bureaux de poste restent encombrés, d’où de longues attentes. Pourtant, beaucoup a été rattrapé, affirme El Madani. «Le fléau des envois non retirés a lourdement impacté Rapid Poste,explique-t-il. Normalement, au-delà de 4 mois et 10 jours, nous devons les transférer à la Douane, ce qui n’a pu être fait et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec 12 000 colis, dont certains datent même de dix ans, ce qui obstrue nos centres. La solution trouvée en les transférant dans des dépôts de stockage, et nous voilà traiter rapidement tous les envois reçus, pratiquement à J+1. Pour ce qui est des permanences, nous sommes en train de renforcer nos équipes pour pouvoirs les reprendre».

Le PDG de la Poste ne cache pas cependant que les tarifs actuels de Rapid Poste sont  loin d’être rentables. Un envoi  à destination de l’Europe, payé par le client à 25 DT, coûte rien qu’en distribution par le partenaire européen jusqu’à 30 DT, soit à perte… mais cela fait partie du package total des services de la Poste.
Favoriser l’électronique

Quant à l’engorgement des bureaux de poste, Nabil El Madani considère que la solution ne peut provenir que du développement de la monétique et des paiements électroniques. Un seul chiffre suffit pour comprendre les enjeux: 14 millions de mandats postaux sont traités chaque année, avec tout ce que cela implique en impression de coupons, acheminement par facteur et paiement aux guichets. A elle seule, et rien que pour le remboursement des frais de soins, la CNAM adresse plus de 1,8 million de mandats. Heureusement qu’elle vient de développer une nouvelle plateforme intégrée permettant notamment d’avertir les bénéficiaires par SMS afin qu’ils aillent retirer leurs mandats, ce qui allège déjà le fardeau des facteurs.

Pour améliorer la qualité du service mandat, poursuit-il, la Poste a lancé un service électronique d’encaissement des mandats d’une manière instantanée et sans support papier. Le bénéficiaire est payé sur simple présentation de sa carte d’identité nationale. 

La Poste tunisienne vise d’ici janvier 2014 à dématérialiser l’opération du paiement des mandats CNAM (remboursement, rentes d’accidents et  maladies professionnelles…) qui seront payés d’une manière électronique sans support papier et sur simple présentation de la carte d’identité nationale. Mais on peut aller plus loin en procédant aux transferts sur carte électronique. La Poste lancera d’ailleurs bientôt une carte spéciale réservée aux salariés des secteurs public et privé devant servir pour paiement et retrait. Aussi, le parc des distributeurs automatiques de billets (DAB), fort actuellement de 172 unités, sera augmenté sous peu de 70 autres à même d’assurer également le retrait des mandats et le paiement des factures avec codes à barres. Cette dernière fonction est importante lorsqu’on sait que 7 millions de factures (Steg, Sonède, etc.) sont payées dans les guichets postaux.  Désengorger les bureaux de poste doit permettre aussi d’aménager des espaces financiers dédiés à la clientèle pour les actions à valeur ajoutée. La Poste tunisienne entend en effet se développer en inclusion financière et favoriser des conventions pour compte. Agissant pour d’autres banques, elle leur acheminera les demandes et relayera leurs réponses. Mais, d’ores et déjà et en tant que banque postale, elle traite les dossiers de commerce extérieur (crédits documentaires) et dispose de sa propre salle de marché pour le change en devises, en plus de ses propres SICAV.

Le courrier au cœur de la relation

Reste l’épineux problème de la distribution du courrier postal. Le développement urbain très rapide qui ne respecte pas toujours les plans d’aménagement et l’absence souvent de zonings bien identifiés et de noms de rues compliquent la tâche des services postaux. Faute d’une bonne programmation préalable, un an à l’avance, comme cela se faisait jadis et permettait de prévoir les besoins et y pourvoir à temps, la Poste s’échine aujourd’hui à suivre le rythme, parant au plus urgent. Au passage, on ne manque pas de glisser que le prix actuel d’acheminement d’un envoi de moins de 20 g, qui est de 250 millimes, s’avère nettement en decà du coût réel qui est de 720 millimes. Va-t-on alors vers un nouveau tarif?

Entre mission de service public et rentabilité, reprise de force et redéploiement, recentrage de ses fonctions postales et de développement de ses activités financières et bancaires, et développement des services en ligne et sur les mobiles, la Poste tunisienne fait face à de grands défis. Pour bien s’y préparer, la consolidation
de la gouvernance, comme de l’organisation structurelle et du système d’information, est accélérée. Un comité permanent d’audit interne et une direction de conformité rattachée directement au conseil d’administration ont été créés, souligne El Madani, ainsi que quatre autres directions en charge des projets, l’organisation, des méthodes, des systèmes d’information et des risques opérationnels. Avec l’inéluctable ouverture du secteur des services à la libre concurrence, l’unique choix sera celui de la qualité et de la compétitivité. De vrais chantiers.n

La Poste en chiffres

• Effectifs : 9 200
• Envois postaux : 86,6 millions
• Colis postaux  : 187 000
• Livrets d’épargne : 3 600 000
• Comptes courants postaux :  1 835 000
• Bureaux de poste : 1 042

T.H.