Quelle diplomatie pour le «gouvernement de compétences» en Tunisie?
Le «gouvernement de compétences» issu du dialogue national aura de lourdes tâches à assumer dans un contexte national et international difficile et en un laps de temps limité. Il ne serait pas exagéré d’affirmer que sa mission sera de sauver la Nation des grandes difficultés dans lesquelles des politiques transitoires souvent erronées l’ont placée et de préparer les conditions nécessaires au redémarrage sous un gouvernement émanant des prochaines élections que tout le monde espère libres et convaincantes. Cela est vrai pour la politique étrangère, et la diplomatie qui la soutient, comme pour la plupart des autres aspects de la vie du pays.
Nous n’allons pas ici effectuer une évaluation détaillée de l’état actuel de nos relations extérieures et de la place de la Tunisie dans le monde ainsi que la situation dans laquelle se trouve l’outil de notre diplomatie, à savoir le ministère des Affaires étrangères; cela est fait ailleurs dans ce dossier consacré au sujet. Qu’il nous suffise d’observer les atteintes à la crédibilité de la diplomatie tunisienne du fait du manque de clarté de nos positions sur les plans bilatéral, régional et multilatéral ainsi que la perception d’incohérence dans l’expression de ces positions, le repli par rapport à certaines constantes fondamentales de notre politique étrangère, le malaise grandissant parmi les cadres et agents diplomatiques, le recul de la place de la Tunisie dans le monde et de la confiance des pays frères et amis ainsi que des investisseurs et institutions financières internationales dans notre économie; sans oublier le laisser-aller politique et diplomatique par rapport au terrorisme tant au niveau régional qu’international, ce qui a facilité son extension en Tunisie. Il est manifestement difficile de penser qu’un gouvernement, au mandat et à la durée limités, pourra rétablir complètement la situation et relancer la diplomatie tunisienne sur des bases durables. Il est toutefois légitime d’espérer le voir viser certains objectifs à court et moyen termes, tels que les suivants:
1 - Rétablir la crédibilité de la Tunisie à l’étranger
- En revenant aux principes de base de notre politique étrangère qui ont bien servi notre pays depuis son indépendance, notamment la démarche modérée, le respect de la souveraineté des Etats et la non-immixtion dans leurs affaires intérieures, le respect de la légalité internationale représentée par l’Organisation des Nations unies et la recherche de solutions pacifiques aux conflits, qu’ils soient entre Etats ou à l’intérieur des Etats, politique de bon voisinage, promotion de la coopération internationale, défense des causes justes et des droits de l’Homme dans leur portée universelle, y compris les droits de la Femme …..
- En rééquilibrant nos relations avec les pays frères et amis sur la base des intérêts réciproques, loin de toute considération idéologique.
- En s’exprimant clairement, mais d’une manière pondérée, et d’une seule voix sur les questions internationales qui nous intéressent. La politique étrangère tunisienne doit avoir, en cette période transitoire délicate, un seul centre de décision qui est le «gouvernement de compétences» et un seul porte-parole qui est le ministre des Affaires étrangères(et ses collaborateurs).
2 - Contribuer au regain de la confiance du monde extérieur dans notre économie et dans la destination Tunisie pour les investissements, l’aide internationale et le tourisme.
3 - Participer à l’effort national et international de lutte contre le terrorisme. La Tunisie doit en particulier renoncer à l’attitude distante qu’elle a observée au cours des dernières années, notamment au sein des instances régionales et internationales, quand il s’agit des décisions collectives en la matière. Le regain de la confiance du monde extérieur en notre pays est lié, entre autres, à la perception de l’importance que nous donnons à cette question. Cette approche passe également par une coopération et une coordination sécuritaires plus étroites avec les pays limitrophes.
4 - Renforcer les mesures d’aide aux Tunisiens à l’étranger, notamment ceux que la situation interne du pays pousse à l’émigration illégale.
5 - Assainir la situation interne du ministère des Affaires étrangères et réhabiliter la profession diplomatique par la promulgation rapide du nouveau statut particulier réclamé depuis des années, la renonciation définitive aux nominations politiques extérieures au département pour les postes de responsabilité au siège comme dans les postes à l’étranger, le strict respect des règles de la fonction publique et du statut particulier du ministère pour les nominations aux postes fonctionnels et l’encouragement au mérite et au professionnalisme.
La Tunisie a des amitiés solides à l’étranger et une image que des générations de diplomates ont réussi à préserver. Ces amitiés et cette image peuvent être rétablies dans les court et moyen termes avant d’être développées sur le long terme. Le «gouvernement de compétences» peut le faire s’il a la volonté et la latitude nécessaires et s’il bénéficie de l’appui de toutes les forces politiques du pays.
Ali Hachani
Ancien ambassadeur
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