Etre président en Egypte et en Tunisie : entre la grande bouffe et le grand déballage
N’être rien, puis en instant devenir tout, comment réagit-on. L’humain est un être trop compliqué, trop égocentrique, retors et un brin calculateur pour prendre le don du ciel, car c’en est un, comme un bien fugace qui finit tôt ou tard par s’estomper. Mortel parmi les mortels, l’homme se croit immortel et c’est ce qui finit par causer sa perte. Deux hommes, deux arabes ont eu ce destin il n’y a pas si longtemps. Qu’ont-ils fait en ce moment précis où tout a basculé.
Pour eux et pour les pays et les peuples qui les ont choisis. Il s’agit bien entendu de Mohamed Morsi et de Moncef Marzouki, élus l’un et l’autre comme président de la République en Egypte et en Tunisie, suite à ce qu’il est convenu d’appeler les révolutions du « Printemps arabe ». Mustapha Békri journaliste égyptien a reconstitué pour le compte du Portail électronique «elwatannews. com» les moments précis où la vie de Morsi a basculé. Une fois sûrs, que ce sera lui le président, les gens du palais, entendez par là, la sécurité présidentielle, s’étaient rendu chez lui pour l’informer et le prendre en charge. Ils l’avaient trouvé, accoutré de sa jellaba traditionnelle.
Sa première réaction fut l’incrédulité. « Vous avez un document prouvant que je suis le président », dit-il à l’officier, médusé, venant lui signifier que depuis ce moment il est sous leur protection. L’homme n’en revenait pas. Après cet instant, la transformation est totale. Une véritable mue. Son premier réflexe c’est d’appeler le guide des Frères musulmans pour le féliciter. C’est d’ailleurs debout, pour montrer sa totale allégeance, qu’il parle avec son véritable patron qu’il appelle « fadhilet al-morched » (Son Eminence le Guide). Aussitôt, il ordonne d’être conduit à la télévision pour prononcer son premier speech de président surtout pour remercier ses électeurs. Après quoi, il fait un détour par le QG des forces armées où il rencontre le chef des armées le Maréchal Tantawi qui avait dirigé le pays après le départ de Moubarak. « Je ne vous oublierai pas », lui dit-il sans que personne ne croie un mot de ce qu’il vient d’avancer.
Une fois ces formalités accomplies, il demande à aller visiter le palais. Réflexe ordinaire pour un membre de la confrérie. Il lui faut prendre possession, sans plus tarder, du « butin » (de guerre) qu’il vient de gagner. Cette visite est révélatrice. L’homme est impatient de retrouver le bureau d’où il va exercer son pouvoir. Longeant les couloirs du palais, il foule au pied les tapis anciens d’une estimable valeur hérités de l’ère monarchique. Sa méconnaissance est navrante. « Enlevez-moi ces choses anciennes », ordonne-t-il et « faites venir des tapis nouveaux des Tisserands réunis », société qui fabrique des tapis d’usine, alors que ceux qu’il veut faire enlever sont de soie naturelle tissés à la main. Avant de partir, il réunit les gens du palais pour leur dire que, lui, il travaille de 8h du matin à minuit sans interruption « que ceux qui ne peuvent tenir ce rythme ne me montrent plus leurs visages », dit-il dans son langage imagé de l’homme de la rue. Après cette visite au pas de course, il demande à rentrer chez lui.
En route, il fait stopper le convoi devant le « supermarket » où il a ses habitudes, pour descendre acheter chez le traiteur du coin le plat traditionnel que sa femme préfère sans se soucier qu’il est devenu le président et qu’il peut commander tout ce qu’il veut et qu’il sera obéi au doigt et à l’œil. De retour dans son appartement, le chef de la sécurité vient lui annoncer que deux étages de l’immeuble où il habite seront vidés de leurs occupants pour faire place nette pour lui, sa famille, ses collaborateurs et les officiers de sécurité. Alors qu’une telle décision va chambouler la vie tranquille de paisibles citoyens dont le seul tort est d’être ses voisins, lui, le président islamiste que le prophète exige de lui qu’il prend soin de son voisin même lointain, acquiesce sans broncher. C’est hallucinant. Ce qui remarquable dit le journaliste c’est que durant l’année qu’il a passée au palais «al-Ittihadia » avec ses collaborateurs dont un parent de son épouse, un gros monsieur pesant plus de 160 kilos, qu’il charge fort opportunément de veiller à ses repas ; la préoccupation première, c’est la bouffe.
Depuis le matin jusqu’au soir, les tables sont dressées et les plats sont remplis dès qu’ils se vident. Après les viennoiseries et toutes sortes de crêpes le matin, ce sont les plats de poissons, de crevettes royales, de homards, de pigeons farcis, de poulets et de viandes qui sont apportés selon le menu du jour avec leur garniture. Manger à satiété, la bouche toujours pleine, c’est l’activité principale du président et de ses collaborateurs, dit Mustapha Békri. L’une des collaboratrices de Morsi retenue toute la journée et ne pouvant cuisiner chez elle rentre tous les jours avec sa « boîte » de nourriture sous le bras pour faire manger son mari et ses enfants avec l’autorisation de son patron. Mais dès le premier jour de l’accession du premier président islamiste, le chef des cuisines a été prévenu : il faut apporter de quoi nourrir 160 personnes lui a-t-on dit. Interloqué, il demande à raison : Vous avez des invités tous les jours. Mais non lui dit-on, c’est pour le chef de l’Etat et son staff uniquement. Ainsi en un an, cette « grande bouffe » à la Gargantua a coûté la modique somme de 14 millions de livres égyptiennes (3,4 millions de DT), une fortune en Egypte et ailleurs, contre 300.000 Livres (72.000 DT) sous l’ère Moubarak, c'est-à-dire presque 50 fois plus. Inimaginable. Quand on fait la remarque aux collaborateurs de Morsi, ceux-ci disent : « ceux-là (les gens du président déchu) volent le peuple mais font semblant d’être pingres à table), c'est-à-dire qu’eux sont tout le contraire de tout ça. Voire.
En Tunisie, jusqu’ici aucun journaliste n’a jusqu’ici reconstitué les premiers moments de la prise de fonction du président provisoire Moncef Marzouki. Tout ce que l’on sait c’est qu’à la différence de Mohamed Morsi qui est passé par le suffrage universel pour gagner ses galons de chef de l’Etat, lui, son poste il le doit au deal passé entre les trois partis, formant la Troika, qui se sont partagé les trois présidences. On ne nous dit pas quand Marzouki a mis les habits de président. Mais quand, le 12 décembre 2011l il arrive à l’Assemblée nationale constituante où l’élection du président provisoire est à l’ordre du jour tout le monde sait que ce sera lui. Accoutré dans un burnous en poils de chameau, pour montrer son appartenance à cette terre maghrébine (c’est l’un des attributs des habitants du Coucher arabe selon Ibn Khaldoun avec le couscous et la tête rasée). Dès ce jour il a tenu à se singulariser.
Alors que ces prédécesseurs portaient costume bien coupé, chemise blanche immaculée et cravate qui va avec, pour faire enfant du peuple, lui n’a aucun problème à s’habiller comme bon lui semble même dépareillé, refusant par-dessus tout de mettre une cravate. Pour en faire une marque de fabrique. De son discours prononcé devant ceux qui étaient devenus, de suite, ses anciens collègues, on ne retiendra que ses mots divisant les femmes entre « mouhajjabat »(portant le voile religieux, le hijab), « mounaqqabat » (portant le niqab, le voile intégral), et « safirat » (un terme désignant celles qui ne portent aucun voile). C'est-à-dire qu’il voulait montrer que deux femmes sur trois étaient de bonnes musulmanes. Un clin d’œil appuyé à son grand allié, Ennahadha. Mais personne ne peut croire que lui, l’intellectuel ne savait pas que ce dernier terme portait une connotation péjorative désignant des femmes aux mœurs légères. Premier discours, premières protestations.
De suite, il reçoit les attributs de sa fonction, une limousine de luxe, une protection rapprochée et l’aura à défaut de sceptre. Le lendemain a eu lieu la cérémonie de passation avec le premier président provisoire Foued Mebazaa au Palais de Carthage. Arrivant en grande pompe, le nouveau président provisoire a eu un accueil digne de sa fonction. Il était comme sur un nuage, déjà entouré de ceux qui sont, le mot doit être dit, ses courtisans. La cérémonie fut brève, l’ancien locataire voulant l’écourter autant que faire se peut pour retourner à son statut antérieur au 15 janvier quand on était venu lui imposer, après la courte parenthèse de Mohamed Ghannouchi, président intérimaire d’une nuit, de prendre un poste laissé vacant par l’ancien dictateur ce dont il ne voulait pas. L’un se trouvait libéré d’une fonction qu’il n’avait jamais cherchée, et d’un palais où il avait refusé d’habiter, l’autre était exalté par un poste auquel il s’était accroché et qu’il voulait à tout prix même au rabais puisqu’il a voté contre une proposition d’élargir ses attributions un tant soit peu.
Le poste certes mais tout ce qui va avec surtout. Les ors de la République. Mais surtout l’histoire de la République. Sa face lumineuse bien entendu. Il décide de reprendre le bureau de Bourguiba. La salle mais aussi les meubles. Ben Ali craignant le fantôme du premier président de la République a décidé de faire de son bureau une salle d’attente et de reléguer les meubles dans le sous sol avec toutes les archives. Voulant être le nouveau Bourguiba, Marzouki s’approprie son bureau et ses meubles. Il n’oublie pas de se rendre dans les sous-sols pour s’approprier aussi l’histoire de Bourguiba. Mais il veut être le Bourguiba rassembleur puisque profitant d’une fête nationale il réunit en son palais les familles de Bourguiba et de Salah Ben Youssef, les frères ennemis. On ne sait pas si la nuit il a dormi dans le lit de Bourguiba et dans sa chambre à coucher. Il y a tout lieu de croire que c’est le cas. Lui ne craint pas les fantômes.
Il peut très bien cohabiter avec eux. On ne sait grand-chose sur les plats qu’il préfère ni s’il mange peu ou beaucoup. Tout ce que l’on peut dire c’est ce que nous avons vu. Dans le reportage fait sur le palais de Carthage, Samir El-Wafi nous a montré que le cuisinier lui a préparé un loup au four. Un plat pas du tout frugal. Les collaborateurs du président prennent-ils leurs repas à Carthage. Le déjeuner certes pour ne pas avoir à quitter le palais pour le break de la mi-journée. Comme du temps du président déchu. Mais à la différence de l’Egypte la « bouffe » ne fait pas partie des priorités de la présidence tunisienne. Mais le cafouillage et le déballage si. Pour le cafouillage, voyez les affaires étrangères qui font partie de ses attributions. Deux exemples ne le soulignent que trop. Le premier c’est l’expulsion de l’ambassadeur syrien.
Cela ne s’est jamais vu de mémoire de diplomate. Expulser un ambassadeur n’est pas prévu dans les conventions. Le déclarer « persona non grata » et lui donné un délai pour partir si. Mais c’est la dernière mesure à envisager d’une série de mesures graduées. Il fallait auparavant penser aux tunisiens installés en Syrie pour qu’ils n’aient pas à payer les pots cassés et à charger l’ambassade d’un pays ami pour veiller aux « intérêts » de la Tunisie et des tunisiens. A moins qu’il n’en a point trouvé ce que l’on n’ose croire. Le second exemple c’est son discours à l’Assemblée générale des Nations-unies où il a demandé la libération du « président Mohamed Morsi ». Le Caire a pris mal cette déclaration et a décidé de « rappeler son ambassadeur en consultations » pour protester contre un tel agissement. L’entourage de Marzouki a expliqué que leur patron a agi en tant que « défenseur des droits de l’Homme », mais ils oublient que ses paroles engagent le pays.
Le déballage, c’est l’usage fait par les archives de la présidence. Ce fut d’abord le « livre blanc » contenant des lettres de Bourguiba au cours des années de sa résidence surveillée après le « coup d’état médical » du 7 novembre 1987, surtout les cinq dernières années de sa vie. Pour faire bonne mesure, la présidence a publié aussi le « livre noir » des journalistes ayant servi Ben Ali au cours de son règne. Dans le premier, il a fâché la famille Bourguiba. Dans le second il a fâché tout le monde. Des initiatives malheureuses, le moins que l’on puisse dire. Le chef d’Ennahdha Rached Ghannouchi dit d’ailleurs sans détours que son parti n’approuve pas cette initiative.
A trop chercher à bien faire, Marzouki tombe dans les travers de ses initiatives indues. On commence à estimer que « trop c’est trop ». Ses alliés sont fâchés. Ils commencent à le trouver encombrant. On n’exclut plus qu’il puisse faire l’objet d’une mesure « d’impeachment ». Il suffit d’une motion de censure qui recueille la majorité des suffrages de l’ANC pour qu’il soit « démissionné ». Si le parti islamiste le veut, ce ne sera qu’une formalité. Les supputations à cet égard sont-ce simplement des menaces. Ou bien sont-elles pour lui le début de la fin.
Les révolutions du « Printemps arabe » ont enfanté deux présidents : l’Egyptien a été limogé par l’armée et sa famille politique, les Frères musulmans, a été mise au ban de la société politique. Le Tunisien a mis beaucoup de monde contre lui, la Troïka le trouve bien encombrant et ne cache pas qu’elle veut s’en débarrasser. Les autres pays ne sont pas dans la même situation. La Libye est encore à la recherche d’un président, celui déchu ayant « cassé »les ressorts de l’Etat libyen qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Quant au Yémen, c’est le vice président qui remplace le président déchu. L’ombre d’Ali Abdallah Salah est trop présente et sa capacité de nuisance trop puissante pour qu’on puisse parler de changement de régime.
R.B.R.
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madoum el had.Il faur avoir les reins solides pour occupper le poste;avoir été élue;etre vacciné contre les flatteries des courtisans ;etre un vértable ascète travaillant pour le pays;savoir manier le hommes ; les faires travailer en équipes;connaitre les hommes ; habiter la fonction etc....
"N'être rien puis en un instant devenir tout": c'est une formule qui s'applique peut-être à M. Morsi mais certainement pas à M. Marzouki dont vous semblez oublier le parcours. Président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme de 89 à 94, emprisonné à l'isolement pendant 4 mois en 94, assigné à résidence de fait de 94 à 2001 puis exilé à Paris vivant de ses compétences de professeur de santé publique et de médecin, il avait déjà connu bien des hauts et des bas... Par ailleurs, devenir président, ce n'est pas "devenir tout", c'est plutôt endosser d'énormes responsabilités devant les citoyens et devant l'Histoire.
Tout se corrige ! Le plus important est d'être profondément honnête envers la cause et surtout le combat qu'est le pouvoir qu'on mène !!