Banquiers & Investisseurs chez CONECT à Paris
Le cœur de la Tunisie battait aussi à Paris vendredi dernier chez CONECT France qui a tenu son premier colloque de l’année 2014 sur le thème « Banque et cadre d’investissement en Tunisie », à la Maison du Barreau, en présence de professionnels de la banque et de l’offshoring/outsourcing bancaire.
Après un petit mot d’accueil chaleureux de la part d’un représentant du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris, Adel Fekih, Ambassadeur de Tunisie à Paris a fait l’ouverture du colloque et c’est Monsieur Mongi Marzoug Ministre des Technologies de l’Information et de la Communication qui en a fait la clôture en début d’après-midi.
Parmi les questions évoquées:
- L’Etat peut-il continuer à être juge et partie avec des participations dans une douzaine de banques?
- La Banque Centrale peut-elle enfin bénéficier d’une indépendance effective du Ministère des Finances?
- Sans aller jusqu’à des privatisations totales ou partielles des banques publiques ou semi-publiques, les participations de l’Etat seraient fort probablement gérées de façon plus rationnelle si elles étaient regroupées dans une holding à gouvernance clairement établie, permettant le cas échéant des optimisations, des synergies, des mutualisations, des regroupements et/ou des fusions dans le cadre d’une stratégie de valorisation des actifs de l’état et de développement de l’ensemble de l’économie.
- Les banques privées tunisiennes doivent-elles gagner en masse critique et se développer au-delà du marché local dans la région ou à l’international? Les Tunisiens Résidents à l’Etranger sont approchés seulement par le groupe Attijari en Europe et pourtant les autres banques tunisiennes qui connaissent l’importance des TRE les attendent encore en Tunisie!
- Les filiales de groupes bancaires mondiaux peuvent-elles tirer vers le haut l’ensemble du secteur bancaire tunisien ? Malheureusement la Tunisie pèse peu dans la stratégie de ses groupes mondiaux mais cela pourrait changer avec l’évolution de l’environnement des affaires en Tunisie. Quelle productivité, quelle profitabilité et quelle compétitivité du secteur bancaire tunisien? Un employé d’une banque privée contribue à générer 50% de plus de PNB qu’un employé de banque nationale à environ 3 fois moins qu’un employé de banque internationale. Objectivement, les processus, la technologie et la performance humaine méritent alignement sur les standards internationaux.
- Pour certains les banques affichent une santé financière en décalage par rapport aux difficultés économiques du moment et pour d’autres les banques ont une grande fragilité et de faibles profits dus aux provisions qui s’imposent au regard des risques encourus, de la transparence et de la bonne gouvernance s’imposent.
- A l’échelle de la région, pour Arab Banking Corporation dont le positionnement est notamment de financer des projets de l’ordre de la centaine de millions d’euros ou de dollars, la Tunisie est le pays de la région où ABC finance le moins de projets en nombre et en volume, et ce n’est pas faute d’avoir essayé !
- Les banques tunisiennes devraient certes continuer à financer des projets immobiliers tout en élargissant leurs financements au reste de l’économie selon les besoins des entreprises dans chacun des secteurs.
- Il est urgent que chacune des banques se dote en interne d’une stratégie de développement et gagne en efficacité commerciale et opérationnelle tout en maintenant un dialogue externe au sein du secteur et avec l’état pour s’assurer que les stratégies individuelles des banques se complètent en couvrant les besoins de financement l’ensemble des secteurs de l’économie et éviter que trop d’énergie ne soit perdue dans une concurrence neutralisante sur des petites niches.
Docteur Chawky Mahbouli et Docteur Achraf Ayadi ont respectivement apporté un éclairage juridique et économique sur le projet de nouveau code d’investissement. En attendant la version définitive de ce nouveau code d’investissement, nous retenons que tout un arsenal de mesures juridiques et fiscales a été prévu pour un alignement sur les meilleures pratiques internationales et que l’investissement ne se décrétant pas, il faudra bien plus qu’un nouveau code pour convaincre les investisseurs étrangers d’aller en Tunisie plutôt qu’ailleurs.
Le troisième thème traitant de l’offshoring et de l’outsourcing bancaire a intéressé autant les banquiers que les technologues de l’information et de la communication et les professionnels du BPO.
Walid Belghith d’Accenture a présenté une étude sur les destinations d’offshoring/outsourcing dans le monde avant d’animer les débats qui ont vu la participation de Karim Hajjaji de la Société Générale, Badreddine Ouali représentant de la Tunisie au sein de l’Alliance Numérique Franco-Tunisienne, Pascal Cochard de Allisone et Mongi Marzoug, Ministre des Technologies de l’Information et de la Communication.
Selon l’étude présentée, la Tunisie n’est pas identifiée parmi les destinations attractives de l’offshoring dans le monde, ce qui conforte la thèse de ceux qui voient l’offshoring comme un secteur économique à part entière, avec sa propre stratégie pour aller chercher de grands volumes à traiter grâce à un grand volume de ressources humaines de qualité, ce qui ne serait pas facile d’accès pour la Tunisie à court terme.
Selon Pascal Cochard, patron d’Allisone, qui a eu des expériences au Maroc et qui a choisi de s’installer en Tunisie pour traiter une volumétrie de BPO au service des banques, des assurances et des services financiers français, la Tunisie a un positionnement optimal et peut vite élargir l’assiette de ses prestations, le potentiel étant encore énorme.
L’offshoring représente 100 milliards de dollars de revenu pour l’Inde, soit 7,5% de son PIB, 2,8 millions d’emplois directs et près de 9 millions d’emplois indirects. Loin de faire une concurrence à l’Inde, la Tunisie peut tout de même prendre quelques positions de niches rentables en bonne intelligence avec le voisin marocain dont l’expérience est enrichissante sans mériter duplication à l’aveuglette.
Le potentiel de développement de la Tunisie est très prometteur pour le BPO bancaire selon Pascal Cochard, patron d’Allisone, qui trouve les diplômés tunisiens de bonne qualité et en nombre suffisant par rapport à ses besoins et qui regrette par ailleurs que les tunisiens dépensent trop d’énergie dans des frottements inutiles et des batailles de clans.
La réussite d’Allisone dans le BPO en Tunisie tient beaucoup à la pertinence de l’approche sectorielle, on ne fait pas de l’offshoring pour de l’offshoring ou juste pour coûter moins cher, on fait du BPO pour certains métiers de la banque parce qu’on délivre une meilleure qualité de service sur des processus opérationnels déterminants qui ne sont plus considérés par les grands banquiers comme leur cœur de métier (de plus en plus centrés sur la distribution).
Eric Hayat, tunisien, Vice-Président du MEDEF en charge de la Tunisie, Fondateur, Vice-Président et Administrateur de Steria précise à son tour l’importance de l’approche sectorielle dans l’offshoring (dans la banque comme dans le secteur public) et cite l’exemple de l’administration anglaise qui vient de confier un contrat de 1 milliard de livres sur 10 ans à un prestataire à Londres en contrepartie d’un engagement de réduction immédiate de 40% des coûts opérationnels de l’administration. Eric Hayat précise que l’heureux prestataire qui dispose de 1000 personnes au Maroc ne pourra pas traiter un tel contrat en dehors de l’Inde sans courir des risques majeurs sur la capacité de production.
Christian Jean, d’Oxia, précise lui que la Tunisie peut faire aussi bien que le Maroc à condition qu’elle s’ouvre davantage sur les Tunisiens de France mais aussi et surtout sur les français qui sont de plus en plus nombreux à s’installer au Maroc et contribuent de fait à son développement économique.
Les banques tunisiennes gagneraient en performance, en efficacité et en compétitivité si elles mutualisaient tout ou partie de leur back-office bancaire au sein de plateformes en mesures d’accueillir à terme l’exploitation ciblée de parties de back-office d’autres banques européennes ou africaines.
Elles s’inscriraient dans la logique d’une tendance plus que d’actualité dans le monde d’aujourd’hui, à savoir l’industrialisation du secteur bancaire (la même évolution qu’avait connue l’industrie automobile il y a quelques décades, où les constructeurs se sont focalisés sur le design du véhicule, la fabrication du moteur pour certains, l’assemblage des véhicules et surtout le marketing et la distribution, laissant l’essentiel de la production industrielle à des sous-traitants de rangs 1, 2, 3…).
Oui la Tunisie pourrait héberger d’ici quelques mois ou quelques années quelques-uns de ces futurs industriels sous-traitants des banques internationales, à la pointe de la performance dans l’exécution des meilleures pratiques de gestion bancaire et à la pointe de la technologie adaptée aux métiers en question. C’est ce qu’on appellerait un coup double, sauver la banque tunisienne, lui redonner des chances de financer l’économie tunisienne et donner du contenu à Smart Tunisia dans le cadre d’une co-localisation tant souhaitée par la France et la Tunisie.
Oui, il est permis à la Tunisie d’aujourd’hui de dépasser ses querelles partisanes et de rêver avant de s’inscrire dans une nouvelle construction durable qui nous permettrait à la fois de résoudre les difficultés du passé et de nous projeter dans l’avenir avec des offres en phase avec notre temps et avec la demande du marché mondial.
Ce serait une stratégie gagnante et il faudrait qu’elle soit portée par une vision politique à propulsion forte et non freinée par une instabilité durable.
La mondialisation ne pardonnant pas, sans mobilisation et union des forces des banquiers, des opérateurs de BPO, des patronats & autres syndicats sans oublier l’appui du gouvernement, nos idées prendront plus de temps pour mûrir, notre exécution ira moins vite ou n’avancera pas, et d’autres le feraient avant nous !
Osons tous compter sur Mehdi Jomaa, nouveau Chef du Gouvernement, pour donner une impulsion étatique à cet élan constructif et stratégique d’entrepreneurs enthousiastes que CONECT veut continuer à fédérer pour aller plus loin et plus haut, dans le secteur de la banque comme dans d’autres secteurs.
Mounir Beltaifa
Président CONECT France
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Bravo à la CONECT pour l'organisation de cette conférence. Intéressant mais à quand une réforme profonde du secteur bancaire en Tunisie et la fin du contrôle des grandes banques étrangère qui ne mettent pas la Tunisie sur leurs trajectoires stratégiques faute de taille critique. Concernant l'offshore, à quand l'installation des grands groupes reconnus à l'international pour crédibiliser le secteur et redonner confiances aux institutions internationales. Nous avons eu assez des intrus qui excellent dans les discours creux et la fraude fiscale (à l'instar du soi-disant investisseur français cité)