Qui a voulu la peau de Charles Milhaud ?
On s'attendait à l'évocation de la grande machination et nous voilà bénéficier en plus d'un manuel de management, de gestion de crise et de sagesse. Maintenant que les passions se sont apaisées, un an après avoir été débarqué de la présidence du Groupe Caisse d’Epargne, Charles Milhaud nous livre les clefs de cette grande manipulation dans un livre passionnant de bout en bout, "Qui veut la peau de l'Ecureuil? Petite histoire d'une manipulation"(1). Ni «un coup de gueule», ni pour solder des comptes, sa parole «n’est pas nourrie de vengeance ou d’amertume» mais, écrit-il, « je crois simplement que pour tuer le mensonge, il est parfois indispensable de briser le silence. »
Au-delà d’un cas d’école très instructif, ce qui intéressera le lecteur non hexagonal comme ceux de Leaders, c’est d’abord les enseignements de gestion au sommet de grands groupes et les leçons de communication de crise. C’est ensuite, la vision méditerranéenne d’un homme qui y croit et y œuvre. C’est en effet sous la conduite personnelle de Charles Milhaud que le groupe s’est implanté sur la rive Sud et a acquis la majorité de la Banque Tuniso-Koweitienne. Son engagement pour la coopération financière méditerranéenne est aussi actif que substantiel.
D'autres enjeux
Les faits et le contexte sont utiles à rappeler. Alors qu'en pleine crise financière internatioanle la Caisse d’Epargne décide d’éteindre progressivement son activité de trading, un jeune trader outrepasse les instructions et les procédures, finissant par faire perdre, en octobre 2008, 752 millions d’euros. Une somme importante, mais « que pèse-t-elle en réalité face aux 18.2 milliards de fonds propres du groupe?» Kerviel avait laissé à la Société Générale une ardoise de … 5 milliards. Le véritable enjeu est, cependant, celui de « la fusion de l’Ecureuil et des Banques populaires qui doit donner naissance à la deuxième banque française,» avec tant d’intérêts, d'ambitions et d’égo.
Tout se jouera sur le positionnement vis-à-vis de cette fusion. Chacun y voit une rare opportunité pour tirer meilleur avantage, gagner en hiérarchie et, surtout, prendre la relève de Charles Milhaud et l’équipe en place. Les couteaux sont sortis et les coups de poignard dans le dos pleuvent lors de ce « simulacre des putschistes » en pleine « parodie du conseil de surveillance ». Gardant sa sérénité et rassuré par ses entretiens de haut niveau juste la veille, Charles Milhaud n’avait pas vu le coup venir et ne s’attendait pas à ce cortège de trahisons, de haine et d’acharnement.
Les amateurs de révélations s’en délecteront. Le dimanche 19 octobre 2008 fut long et pénible à vivre: « je suis tellement sous le choc, écrira –t-il que ma capacité de réaction est altérée. Le piège qui m’a été tendu a bien fonctionné (…) Assommé par la fatalité, par ces coups venant de toutes parts, mes réflexes sont éteints.» Tard dans la soirée, retranché dans son bureau avec ses conseillers, il se décide, préservant sa dignité, à annoncer, par un communiqué à l’AFP, son départ. Il avait 66 ans dont 45 au service de l’Ecureuil.
De grandes leçons
Même s’il explique clairement la machination, et retrace son parcours personnel depuis son enfance à Sète et sa contribution substantielle à la transformation de la Caisse et son engagement solidaire, le livre de Charles Milhaud n’est pas en fait un simple témoignage factuel, certes utile, et centré sur un cas précis. Il se lit plutôt comme un ouvrage de management et surtout de gestion de crise. On y apprend beaucoup sur la formation des équipes, la gestion des hommes et l’engagement des grandes réformes. mais a surtout l’ampleur du parisianisme et la puissance des capacités de déstabilisation. «Au chapitre des regrets, je me demande parfois si je n’ai pas commis d’erreur en ne récompensant pas suffisamment les plus dévoués.»
Le lecteur découvre tout au long du récit, d’autres facettes du lobbying, du pouvoir des médias et de l’acharnement des rancœurs qui finissent pas influencer les décisionnaires, jusqu’aux politiques. Le chapitre " Info sous influence ou comment perdre la bataille de la com" vaut à lui seul véritable précis en la matière". «Je regrette ne pas avoir investi des sommes beaucoup plus importantes chaque année dans les faiseurs d’opinion que sont les cabinets de conseil", finit-il par reconnaître sincèrement.
L’avenir est Méditerranée
Mais, Charles Milhaud ne s’attarde pas trop à regarder dans le rétroviseur. Ce qui l’intéresse le plus, c’est l’avenir de la Caisse et l’avenir tout court. Pour la Caisse, il ne cache pas qu’il est rassuré quant aux perspectives de fusion avec les Banques Populaires, faisant confiance à son actuel successeur, François Pérol qu’il connait de longue date.
Quant à son nouveau combat d’avenir, il entend le livrer de toute son énergie pour la construction des ponts et instruments financiers au service de la Méditerranée. Sans en dire plus, il écrit : «lorsque je milite pour notre développement de l’autre côté de la Méditerranée, c’est la fin imminente du fossé Nord-Sud que je devine. En vérité, l’avenir n’est-il pas à Tunis, Alger, Rabat, le Caire, Beyrouth… ? En imaginant les chances d’un développement qui sera synonyme de bien commun, il m’est impossible d’envisager que nous passerons à côté de ce rendez-vous de l’Histoire.»
Un livre à lire et des enseignements à s'en souvenir.
(1) Charles Milhaud: Qui veut la peau de l'écureuil ? Petite histoire d'une manipulation.
Editions Alphée - Jean- Paul Bertrand.
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