La révolution tunisienne est-elle d'origine soufie ?
L’agitation salafie en Tunisie n’a fait que rendre plus évidente une conviction de plus en plus répandue que le pays vit à l’heure soufie. Les adeptes de cette philosophie qui incarne à merveille la révolution mentale de l’islam sont mêmes catégoriques: la révolution tunisienne est d’origine soufie. Ainsi racontent-ils avec délectation une anecdote rapportée des confidences d’un majordome du palais de Sidi Dhrif du temps du dictateur. Ils assurent que sa chute fut à la suite de la malédiction du saint Hmida Bennour dont la tombe qui se trouvait dans l’enceinte du palais fut démolie en vue de l’aménagement d’un couloir pour le passage du fils du président à vélo. Elle fut annoncée au dictateur lors d’un songe que Ben Ali prit au sérieux, multipliant en vain les offrandes pour calmer le courroux du saint homme.
Peu importe le degré de véracité de cette anecdote, son intérêt est de jeter une lumière sur la mentalité tunisienne faite de deux constantes anthropologiques : une croyance aux saints, qui n’est que l’enracinement dans la spiritualité, et une conviction que l’islam est un trait identitaire du Tunisien. Or, malgré les vicissitudes de l’histoire, un fait spirituel est resté invariant en ce pays, c’est celui de l’islam soufi. Cet esprit islamique incarné un temps par la grande mosquée Zeitouna. Il est dans le cœur de tout Tunisien selon des déclinaisons variées, allant de la religiosité la plus confite au comportement profane le plus libéré. Comme le reconnaît cheikh Slaheddine Mestaoui, membre du Haut Conseil islamique, les zaouias soufies ont joué un rôle important dans l’équilibre psychologique du Tunisien, lui procurant une sorte d’immunité spirituelle et morale, le croyant y apprenant à pratiquer l’effort maximal consistant à se perfectionner pour mériter la grâce divine, à être lui-même, bien dans sa peau, enraciné dans son pays; et donc patriote.
Le vrai islam zeitounien
Cheikh Mohamed Ali Kiwa, l’un des fondateurs du parti de la Tendance islamique, devenu Ennahdha, au pouvoir actuellement, est l’une des figures éminentes de l’islam soufi naissant. Cette évolution qui résume à grand trait celle de l’islam postrévolution en Tunisie se lit dans ce qu’il dit sur le regretté Chokri Belaïd que certains ont qualifié de mécréant. Il raconte avoir été invité par ce martyr chez lui et qu’il fut émerveillé par ses hautes qualités morales, notamment par la parfaite éducation de ses enfants venant lui réciter quelques-unes des plus longues sourates du Coran. Et cheikh Kiwa d’assurer que le parti Ennahdha — qu’il a quitté — est désormais contrôlé par la mouvance wahhabite; il rappelle surtout que l’islam tunisien revendique plus que jamais son appartenance à la tendance rationaliste représentée par le courant ash’arite que le wahhabisme considère comme apostat.
Contrairement à ce qu’on a prétendu durant la période coloniale sur un soufisme encouragé par le protectorat pour son manque de militantisme nationaliste, l’islam soufi, surtout zeitounien, fut à la pointe du combat pour l’indépendance. Nombreux furent les soufis guerriers; il suffit d’évoquer ici leur modèle parfait, l’émir Abdelkader, nationaliste et soufi. De fait, si les montagnes ont été leur refuge, c’est parce qu’ils y sont aux frontières, veillant à protéger la patrie. On peut citer Sidi Ali Béji au mont Manar (actuel Sidi Bou Saïd), Sidi Mehedheb entre Sfax et Gabès. D’ailleurs, la Kadirya, très répandue dans le pays, a encouragé ses adeptes à s’engager dans la lutte pour l’indépendance conduite par Ali Ibn Khalifa Neffati, lutte partie de Kairouan. De fait, la position soufie a été rationnelle, ayant refusé d’engager le combat tant que le rapport de force était défavorable aux Tunisiens, revenant à un suicide que la religion interdit. Dès que la preuve a été faite que l’engagement militant avait une chance de réussir, les soufis étaient au premier rang, poursuivant un engagement concret sur le terrain.
L’islam soufi tunisien
Si l’Orient a été incontestablement la terre de la prophétie, le Maghreb est une terre de sainteté, les saints parangons de la vertu incarnée par les prophètes. Et la Tunisie est une terre élue par les saints; on y trouve des Compagnons du prophète comme Abou Zama’a Balaoui à Kairouan ou Abou Loubaba Ansari à Gabès, outre Ali Ibn Ziyed, descendant du gendre du Prophète, qui a introduit au Maghreb l’œuvre majeure de Malek. Aujourd’hui, les soufis répètent à l’envi que la terre tunisienne a été préparée depuis 13 siècles pour l’heure qu’elle vit avec le Coup du peuple, premier des trois coups y annonçant le temps soufi. En tout cas, assurent-ils, la Tunisie ne sera jamais salafie parce que le vrai salafisme est bien le soufisme. Ils rappellent, avec fierté, que Sidi Ali Riahi, figure éminente de la Tijanya, tariqa très répandue en Afrique, était dans le groupe d’oulémas ayant répondu dédaigneusement à l’exhortation de Mohamed Ibn Abdelwaheb à rallier son orientation rigoriste.
En Tunisie, c’est la Kadirya qui est la plus nombreuse avec la Chadoulia et la Tijanya. On se rappelle que c’est notamment l’ordre premier cité qui a permis au parti de M. Hamdi de faire le score qui a surpris le 23 octobre 2011 en y apportant un appui décisif; ce parti, d’ailleurs, s’appelle aujourd’hui Mahabba, ayant repris une des devises du soufisme. Il est à rappeler que de cette tariqa relevait Ibrahim Ibn Ahmed Cherif, enterré à Nefta, qui a été le grand vizir et le premier conseiller de l’émir Abdelkader, meilleur représentant de l’esprit patriote soufi. À Tunis, Mehrez Ibn Khalaf est décrété sultan de la ville, étant le symbole de l’œcuménisme islamique puisqu’il est réputé y avoir été le protecteur des juifs; le sens populaire le fait aussi garant de la paix et de la sécurité de la capitale. Cette protection est maximisée par l’action d’autres saints, comme le célèbre Abou Hassan Chadouli dont le mausolée à Tunis est probablement le plus réputé. Mais le nombre des saints ne se compte pas, le cimetière Jellez en offre une belle illustration. On y trouve la tombe de l’illustre adepte de Chadouli, Sidi Ali Hattab, patron de la fête annuelle qui a lieu chaque année au village de Chadoula, au nord de la capitale, portant le nom de son maître.
Soufisme et politique en Tunisie
Si Bourguiba a lutté contre l’esprit soufi, y étendant le jugement occidental réducteur, il n’a pas pu oser y reproduire l’œuvre radicale de Kamel Atatürk, eu égard à l’enracinement du soufisme dans l’identité du peuple. Cela tenait aussi au pragmatisme du soufisme qui a toujours préféré le vrai jihad, celui de la purification personnelle, outre leur vison rationaliste de l’action politique militante contrairement aux autres mouvances islamiques. On a souvent dit que le soufisme a toujours eu de la réticence à faire de la politique. Mais il s’agit d’une fausse évidence, ou du moins d’une vérité incomplète. Rappelons à ce propos que le sens véritable de la politique est d’être la chose publique par excellence qui est représentée par la cité; au vrai, la politique n’est que la gestion de la cité. Or, l’islam est une religion duale où la foi cohabite avec la politique, la première étant la gestion de la cité de Dieu et la seconde celle de la cité terrestre. Toutefois, et contrairement à la conception chrétienne qui a inspiré les musulmans les plus intégristes, la cité de Dieu chez les soufis n’est ni au ciel ni exilée sur terre, mais dans l’homme, ce microcosme parfait; la gestion de la cité de Dieu revient donc à la gestion de sa propre âme et de sa propre conduite dans le cadre du grand effort, effort maximal ou Jihad Akbar.
C’est justement à cause de pareille confusion sur la scène politique où tout est possible aujourd’hui, le meilleur comme le pire, que le soufisme est en train d’activer la seconde de ses bases, qui est l’exemple à donner ou l’action pour le bien général . Celle-ci est intimement liée à la première, plus souvent et plus particulièrement vécue par les soufis, et qui est le fait de veiller à donner l’exemple dans son propre comportement. Aujourd’hui, plus que jamais, l’un ne va pas sans l’autre et l’exemple personnel est même insuffisant devant l’obligation de donner l’exemple pour les multitudes en danger. C’est la fibre patriotique et le sens du salut de la communauté qui animent le soufi, le vrai.
F.O.
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Vraiment quelle immense tâche vous vous donnez,dire que la religion est rationaliste est une oeuvre impossible; vous perdrez votre temps pour rien. La cité de Dieu et la Cité terrestre sont une oeuvre de Saint Augustin qui est un tunisien de l´époque´de Carthage( bien sûr vous le connaissez). Moi je pense´que la politique se fait en Tunisie surtout par la société civile et le peuple. Si vous lisez la période où la mère de Saint Augustin, qui s´appelle ";Monique" est qui est un nom local et peut être phénicien, n´était pas content que sa mère Monique adopte un Christianisme basé uniquement sur des rites, et le soufisme , selon moi, est aussi fondé sur des rites et non intellectuel. Nous savon Qu´Augustin n´est entré dans la religion seulement quant il a trouvé qu´il est possible d´y penser la religion. Nous savons l´oeuvre immense qu´il a laissée suite à ce travail intellectual. je ne crois pas que vous vous engagez dans cette voie, la voie de la recherché. Ataturc ila aussi éliminé l alphabet arabe, et ca ce n´était pas necesssaire. Bourguiba n´y voyait pas ca interessant, en tout cas je le pense.
le soufisme est l annonce d'une décadence de la civilisation. relisez l'histoire musulmane. il n'y ni islam zeitounien ni wahabite. un seul de Mohamed salla aleihi wa sellem. assez de diviser les tunisiens
Premier paragraphe de " L’islam soufi tunisien" figure imminente de la tarika tijania, était cheikh Ibrahim riahi et non pas Ali riahi allah yarhamhom les deux.