La troisième vague démocratique submerge le monde méditerranéen
«En 2011, des millions de citoyens du sud de la Méditerranée ont occupé des rues, exigé la fin de la dictature, le libre choix de leurs gouvernements, affirmé le droit à leurs identités culturelles et religieuses, ainsi qu’au bien-être. La troisième vague démocratique, au bout de trente-sept ans, touchait enfin la périphérie de la vieille Europe… et à présent, après dix ans perdus au début du XXIe siècle, elle est en train de submerger le monde méditerranéen et arabe».
Ainsi commence le livre d’Alvaro de Vasconcelos, La vague démocratique arabe- L’Europe et la question islamiste, qui vient de paraître aux Editions de l’Harmattan.Ancien opposant à l’Etat Nouveau de Salazar, fondateur en 1980 à Lisbonne,de l’Institut d’Etudes Stratégiques et Internationales, il a dirigé de 2007 à 2012, l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union Européenne. Il est aujourd’hui,directeur de projets au sein del’Arab Reform Initiative, un ‘think-tank’ formé d’une quinzaine de centres de recherche, de pays arabes en partenariat avec des centres européens et américains.
Disons-le tout de suite: l’auteur sait de quoi il parle. Son ouvrage, constitué, en grande partie, d’articles et d’essais publiés entre 1991 et 2011, est une démarche à saluer. Plus qu’un outil à l’intention des dirigeants de l’Union Européenne, confrontés aujourd’hui à la question islamiste, il est surtout un plaidoyer en faveur d’une réévaluation des systèmes de valeur qui prévalent en Europe, vis-à-vis des révolutions démocratiques dans les pays arabes. Ces derniers expriment de la sorte, selon Alvaro de Vasconcelos , “ ce que Paul Valery a appelé «l’air du temps», d’un monde en transition, du fait de l’accroissement de la classe moyenne dans les pays émergents, renforcé par le progrès universel de l’éducation et des technologies de l’information, et par le rôle nouveau des femmes dans la société.» ( p.25)
Est-ce une coïncidence ? Cette question vient justement d’être au centre d’un débat lundi 10 février 2014, à Paris, lors d’une table ronde franco-tunisienne organisée par l ‘association Initiative & Changement, réunissant plusieurs experts et représentants de la société civile et politique des deux pays.(www.leaders.com.tn).
C’est peut-être une simple coïncidence, maisil n’empêche que cette question est d’actualité et qu’elle interpelle les acteurs politiques tant du monde arabe que de l’Occident. Alvaro de Vasconcelos prend à bras le corps son sujet dès le début. Dans une lumineuse remontée dans le temps, il souligne “ les erreurs de Huntington“, les “demi-vérités et craintes dangereuses’ puis l’impact que la fameuse théorie du ‘choc des civilisations’ est susceptible de créerparticulièrement en Europe, dans les esprits de certains politologues en mal d’explication.En effet, il ne faut pas se leurrer et se laisser aller aux amalgames faciles. La civilisation arabo-musulmane est multiple ; elle ne saurait être réduite à une certaine politisation, à une seule et unique interprétation.
Dans la deuxième partie de son livre, qui s’intitule: ‘L’Ere Bush :le choc des civilisations comme stratégie’, Alvaro de Vasconcelos revient à la charge, et pariant sur l’esprit compréhensif de ses compatriotes, affirme que la religion n’est pas responsable de l’attentat du 11 septembre auxU.S.A. Cet acte terroriste n’est pas le signe d’un ‘choc des civilisations’ comme la théorie de Samuel Huntington le laisse à penser.
“La vie humaine, écrit-il, a la même valeur à New York, à Srebrenica, Ramallah, Karachi, Bombay, Oslo ou Tel Aviv. Le terrorisme résulte de politiques extrémistes que l’on peut trouver dans n’importe quelle partie du monde, et il n’a pas de lien particulier avec une race ou une religion spécifiques. Une lutte sérieuse contre le terrorisme n’est pas seulement une question de sécurité, elle implique la volonté de résoudreles crises et les problèmesqui en facilitent l’émergence. Elle exige aussi un combat soutenu contre la pauvreté, le totalitarisme et l’injustice- et non contre la démocratie“ . (p.87)
En politologue averti, usant d’une approche scientifique s’appuyant sur des tableaux et des statistiques officielles, Alvaro de Vasconcelos, s’investit en un observateur impartial dans la troisième et dernière partie, intitulée ‘L’Alternative arabe’. C’est, en fait, la substantifique moelle du livre, consacrée exclusivement à la quatrième vague de transition démocratique qui vient de déferler sur le monde arabe. Cette vague fait suite à celle qui concerne, à partir de 1974, des pays comme le Portugal en 1974, l’Argentine en 1983, les pays de l’Europe de l’Est au cours de la décennie 90 ou encore le Sénégal en 2000.Alvaro de Vasconcelos situe la première vague entre1828 et 1926 et la deuxième entre 1943 et 1962.
Le chapitre ‘L’Alternative arabe’ est structuré chronologiquement, et symboliquement,à partir du discours du Président Obama au Caire annonçant un changement d’attitude qui « a eu un impact significatif dans les régions concernées, et (qui) a sûrement joué un rôle dans les révolutions démocratiques arabes.» (p.129)En effet, ce discours, qui reprend les termes que le Président américain a déjà utilisés à Ankara et à Djakarta, a suscité un grand espoir non seulement dans les pays arabes mais également en Europe. Sa portée résidait surtout dans l’affirmation que « la démocratie et les droits de l’homme sont la meilleure façon de promouvoir la stabilité et la sécurité». (133)
Or la politique réalisée jusqu’ici par l’UE sur la question palestinienne correspondait aux objectifs et à la stratégie du Président Obamamais, selon Alvaro de Vasconcelos, «l’UE aurait dû, tout de suite après l’élection d’Obama, revoir ses positions les plus récentes. D’abord et avant tout, il fallait reconnaître le Hamas comme force politique légitime. Et pour tenir son rôle relativement aux aspirations palestiniennes, l’UE devait afficher la conviction que le cheminpour la paix dépend intimement du processus démocratique en Palestine, et admettre qu’elles’est trompée quand elle a refusé d’entériner les résultats des élections de 2006. En agissant ainsi, l’Europe aurait donné l’exemple et aurait pu ainsi influencer et aider la politique américaine, au lieu d’en dépendre». (p.132)
C’est justement sur de telles réflexions qu’Alvaro de Vasconcelos va fonder son analyse de la vague démocratique arabe. Nous n’en dirons pas plus. Il nous suffit de citer l’épigraphe, en tête du chapitre, tirée de Thucydide, Oraison funèbre prononcée par Périclès, Histoire de la Guerre du Péloponnèse (Livre II, chapitre VI.)
«Du fait que l’Etat, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse, et non d’une minorité, notre régime a prisle nom de démocratie.
Œuvre d’actualité, La vague démocratique arabe- L’Europe et la question islamiste est un travail de spécialiste qui s’inscriten une double activité de politologue et d’intellectuel critique, une source précieuse d’informations, riche d’enseignements pour tout un chacun.Le Secrétaire Général Exécutif du Service Européen pour l’Action Extérieure, Pierre Vimon, qui a préfacé l’ouvrage, le confirme:
«Ce n’est pas le moindre mérite des essais d’Alvaro de Vasconcelos que de nous offrir des pistes de réflexion aussi fécondes que stimulantes pour affronter un avenir riche de défis mais aussi de promesses. On se doit donc de lire cet ouvrage comme un guide à l’usage de notre temps, en pleine concordance avec la réalité que nous vivons au quotidien, et riche d’enseignements et d’orientations pour comprendre ce monde méditerranéen en cours de transformation».
Rafik Darragi
Alvaro de Vasconcelos, La vague démocratique arabe- L’Europe et la question islamiste, traduit du portugais par Hélène Guéguen, L’Harmattan, 212 pages.
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